“N’ajoutons aucune souffrance inutile”

Suite aux évènements survenus à Sciences Po le mardi 12 mars 2024, des étudiants non affiliés à un organisme ont décidé de prendre la parole, pour appeler à l’apaisement et à l’empathie mutuelle.

Depuis une semaine, notre école est au cœur des polémiques médiatiques et politiques.

La raison ? Le 12 mars dernier, journée européenne de mobilisation universitaire en soutien à la Palestine, le Comité Palestine de Sciences Po organisait une occupation de l’amphithéâtre central. Celle-ci s’est articulée autour de conférences, dont l’une intitulée Judéité et antisionisme. Cet événement visait à exprimer un soutien légitime aux habitants de la bande de Gaza, victimes des privations et des bombardements infligés par l’armée israélienne.

Au cours de cette action, une étudiante membre de l’Union des Etudiants Juifs de France s’est initialement vue refuser l’entrée dans l’amphithéâtre. Avant de pouvoir y accéder sur demande de l’administration. Refusée, parce que sioniste1, selon l’UEJF, qui affirme que des intimidations à l’encontre des étudiants juifs ont été perpétrées à l’intérieur.

Pour le Comité Palestine, ces refus n’ont aucune justification communautaire ou religieuse. Les personnes exclues auraient précédemment filmé des membres de leur collectif sans leur consentement, les exposant à des menaces graves et du harcèlement2.

Face à ces évènements, exprimons assurément notre effroi. Soyons bien clairs : aucune compromission ne doit avoir lieu avec la honte.

Filmer, photographier ou cibler ad hominem des individus dans le cadre de leurs engagements politiques est intolérable. Si cela est avéré, nous condamnons ces actions.

Mais la réponse juste n’advient jamais dans un esprit de vengeance. Elle s’établit devant des instances académiques ou judiciaires.

L’hypothèse d’interdire quiconque d’entrer dans un amphithéâtre en raison de ses opinions politiques et – surtout – de son appartenance religieuse s’inscrit dans le plus haut degré de violence symbolique, à la frontière de celle physique, dans le délit. Une enquête pour “des faits à caractère antisémite”3 sera menée. Les témoignages discordants nous appellent à de la modestie. Si ces actes venaient à être avérés, que les auteurs de violence soient confrontés et fermement sanctionnés.

Pour un apaisement

Néanmoins, une autre question subsiste. Ces condamnations sont nécessaires ; mais que sont- elles si elles se révèlent aveugles aux peines de ceux qui subissent de plein fouet toutes ces violences ?

Mardi dernier, des étudiants juifs étaient en larmes, se sentant discriminés pour qui ils étaient plus que pour ce qu’ils défendaient. Des membres du Comité Palestine vivent avec la peur de voir leurs visages jetés en pâture sur les réseaux sociaux. Des étudiants de toutes confessions et opinions arrivent en cours la boule au ventre.

Nous le savons : ce contexte politique est lourd – singulièrement pour celles et ceux qui connaissent des victimes israéliennes et palestiniennes. N’y ajoutons aucune souffrance inutile.

Car un dialogue est possible. Vos deux mouvements peuvent converger vers un point : la paix pour les civils. Vous condamnez la violence au Proche-Orient ; vous vous battez en faveur d’innocents ciblés injustement. Rares sont ceux qui clament clairement soutenir les otages israéliens sans se préoccuper de la condition des Gazaouis, et vice-versa.

La polarisation est incontestable, mais elle est alimentée par des effets de foule ainsi que par ceux qui ne sentent se forger leur identité que dans l’excès. Ne nous laissons pas emporter dans le jeu des récupérations politiques et de l’emballement médiatique.

Notre direction, institution malade à la tête tranchée depuis ce 13 mars, est incapable de répondre pragmatiquement à ces discriminations. Sciences Po est une université aujourd’hui en crise, fragilisée par les scandales et – par-dessus tout – le manque de courage. Le courage de la responsabilité, le courage des mots justes, le courage de la nuance. Ces tensions ne sont pas des fractures insolubles et ne doivent pas le devenir.

Toute crise est un moment charnière d’interrogation sur ce que nous voulons être. Alors, questionnons-nous. Peut-être, pour toutes les communautés de Sciences Po, est-ce venu l’heure de l’écoute ? Peut-être, est-ce venu l’heure de la compassion ?

Peut-être, qu’à Sciences Po, il serait enfin temps de faire preuve d’un peu d’empathie.

Signataires (par ordre alphabétique) :

Noms complets :
Ninon BONNET DE PAILLERETS ;
Isidore BOUCHÉTY ;
Hugo CARIGNANO ;
Salomé CHABERT ;
Julie DUBOIS ;
Ismaël EL BOU-COTTEREAU ;
Louis MATHIEU ;
Arman PRANGERE ;
Arthur SAVOYE ;
Alexandre THUET BALAGUER ;
Thomas TOREL.

Initiales :
AG ;
EF ;
LP ;
OA ;
RV ;

  1. A lire dans le communiqué de l’UEJF Sciences Po sur « Les évènements du 12 mars et les fausses informations qui ont suivi » : https://www.instagram.com/p/C4d8JA0LXh4/?img_index=1 ↩︎
  2. Le Comité Palestine l’explique dans son communiqué du 12 mars : https://www.instagram.com/p/C4c0RkioqSS/ ↩︎
  3. Comme le rappelle le communiqué de Sciences Po du 13 mars, publié sur X : https://twitter.com/sciencespo/status/1768006938128716107/photo/ ↩︎