Les nouveaux visages de la mobilisation écologiste
A la veille du lancement de la COP 21, la Marche pour le climat à Paris devait être d’une ampleur sans précédent. Mais les mesures sécuritaires prises dans le cadre de l’Etat d’urgence ont changé la donne. En dépit de l’interdiction de se rassembler sur la place voie publique, nombreux sont celles et ceux qui ont participé à la chaîne humaine organisée par la Coalition climat 21. Le simple fait de s’y donner la main a été perçu par beaucoup comme un acte de « désobéissance civile ». Pour en savoir plus sur cette forme de mobilisation – dont les mouvements écologistes sont familiers, les Ecolos Sciences Po ont invité mardi 1er décembre deux activistes de Greenpeace. Formation expresse à la désobéissance civile.
La violence, ennemi numéro un
L’entrée en matière est amère. Les deux activistes, la mine sombre, réagissent aux affrontements ayant eu lieu dimanche dernier en marge d’un rassemblement place de la République. « Quand il y a danger, les rassemblements doivent être préparés. C’était le cas pour la chaîne humaine : le parcours était sécurisé, l’évènement limité dans le temps, et une fois les photos prises, tout le monde s’est dispersé dans le calme », explique Nathalie Delhommeau, l’une des 300 bénévoles de la Coalition Climat 21 ayant œuvré pour le bon déroulement de l’évènement.
D’après la jeune femme, les échauffourées en marge de la chaîne humaine sont en fait dûs à un second appel à rassemblement, lancé parallèlement par un groupe…plutôt inconscient des conséquences de son initiative. Pour cette activiste rompue aux mécanismes des manifestations, il était évident que les choses allaient mal tourner. « Quand les rassemblements sont interdits, la présence policière est renforcée. Cela attire ceux qui veulent ‘casser du flic’, ceux qui prennent pour cible l’Etat. Les conditions sont alors réunies pour que ça dégénère. »
Ce recours à la violence est fermement condamné par les deux activistes. « Cela met en danger la sécurité de chacun » dénonce Namad (ayant souhaité rester anonyme), avant d’ajouter « la violence n’a pas sa place en démocratie : elle ne transmet ni valeur, ni message ». Les images des affrontements ont même occulté le message que devait véhiculer la chaine humaine. « Les écolos passent pour des êtres violents, des terroristes qui utilisent les bougies des hommages aux victimes pour se battre », regrette Nathalie Delhommeau.
Préparation et stratégie
Face au phénomène de violence, ces militantes ont fait le choix de la désobéissance civile, une forme de protestation pacifique illégale. Loin d’un geste impulsif, ces actions nécessitent préparation et réflexion.
La stratégie suivie par Greenpeace est bien rodée. On détermine d’abord les objectifs et le temps nécessaires pour y parvenir. Puis, l’organisation opère un travail de fond consistant à réunir des preuves, à rédiger des rapports et à obtenir des rendez-vous avec les personnes concernées. « Le but n’est pas de faire couler des entreprises. On propose systématiquement des alternatives, des solutions permettant à ceux qu’on attaque de faire évoluer leurs activités pour adopter des modes de production respectueux de l’environnement », précise Nathalie Delhommeau. Bien souvent, ces propositions ne sont pas écoutées. Greenpeace passe alors à la vitesse supérieure : c’est le lancement des campagnes de communication et des pétitions pour mobiliser l’opinion. La non violente directe action n’intervient qu’en dernier recourt. Une fois tous les moyens légaux d’action épuisés.
Il s’agit alors de choisir l’action la plus adaptée à la situation, parmi les 198 formes de désobéissance civile répertoriées (blocage, boycott, harcèlement…) Les activistes insistent sur une stratégie particulièrement efficace : s’attaquer aux partenaires commerciaux de la cible en question. Nathalie Delhommeau prend pour exemple la lutte de Greenpeace en vue d’empêcher Shell d’aller forer en Arctique.
« On peut s’attaquer à la cible directement, en envoyant des activistes sur des bateaux pour occuper l’endroit. Mais un autre moyen de faire pression sur l’entreprise pétrolière a été de s’attaquer à Lego, qui, dans le cadre d’un partenariat, affichait le logo de Shell sur ses produits commercialisés dans les stations-services. En dénonçant publiquement l’hypocrisie d’une entreprise qui crée des jouets pour les enfants tout en commerçant avec ceux qui détruisent leur avenir sur la planète, on a réussi à rompre leur partenariat. »
Humour et créativité
Les actions de désobéissance civile sont ainsi mûrement réfléchies. « Il faut faire appel à la créativité, à l’intelligence. Tout est travaillé », rapporte Nathalie Delhommeau. Les militantes insistent notamment sur la nécessité de ne pas utiliser de termes violents ou insultants envers une personne. « Si vous écrivez sur une banderole ‘Valls, tire-toi’, c’est extrêmement violent », a répondu l’activiste de Greenpeace à une militante de l’UNEF lui faisant part de la difficulté d’évaluer la violence d’un slogan. Cette militante faisait référence à la polémique suscitée par ces propos qui avait été tenus lors de la venue de Manuels Valls à Sciences Po le 3 novembre 2015.
Les activistes préfèrent l’humour, qui suscite une plus large adhésion. C’est ainsi que lors du forum sur la COP 21 organisé par Libération à Sciences Po le 3 octobre 2015, un mouvement de désobéissants crée par Nathalie Delhommeau, les JEDI for Climate, avait organisé une Action Pipolaser dont le slogan était « L’agrobusiness pipote la COP ». Les JEDI avaient interrompu Xavier Beulin, président de la Fédération Nationale des Syndicats d’Exploitation Agricole, en jouant des airs de pipos avant d’être applaudis par la salle.
Les actions menées sont souvent symboliques, mais leur portée prend généralement une tout autre envergure. Les activistes se souviennent d’une de ces actions retentissantes : « il y a un an et demi, la Confédération Paysanne avait démonter des boulons et des machines à traire de la « ferme des mille vaches » à Drucat. Ce n’est que lorsque Laurent Pinatel, le porte-parole de la Confédération paysanne, avait remis les boulons à Stéphane Le Foll à Paris qu’on a compris ce qu’était les « mille vaches », c’est-à-dire une ferme illégale à tout point de vue, et qui « pollue considérablement. »
Les règles d’or de la désobéissance civile
D’après Namad, seule une action sur trois atteint son but. La clé d’une opération réussie est en fait sa médiatisation : sans cela, l’action ne sert à rien puisqu’elle ne permet pas de mobiliser l’opinion. Les actions de désobéissance civile sont donc toujours filmées– ce qui permet également de protéger les activistes de certaines violences qui pourraient être exercées à leur encontre.
Quel que soit les actions entreprises et le niveau de risque auxquels les désobéissants s’exposent, ceux-ci doivent auparavant être formés avant d’aller sur le terrain. « Les actions de désobéissance sont accessibles à tous, mais la formation est impérative », martèle la responsable des JEDI. Que sa durée soit de plusieurs jours pour les activistes de Greenpeace, ou de quelques heures pour des actions à moindre risques, la formation est en effet essentielle pour assurer la sécurité des activistes comme du public. La situation pouvant déraper rapidement, il est par exemple nécessaire de savoir comment réagir en cas de confrontation avec les forces de l’ordre. Enfin, certains reflexes sont à acquérir pour garantir le bon déroulement d’une action. Namad en révèle certains. « Je fais très attention aux termes que j’emploie quand j’explique à des ouvriers pourquoi je bloque leur usine. L’attitude aussi est très importante durant une action : je parle toujours les mains dans le dos afin d’éviter que des gestes soient mal interprétés sur des photos. »
Lanceur d’alerte
Si les désobéissants s’exposent à des violences physiques, les risques qu’ils encourent sont également juridiques. Illégales, les actions de désobéissance civile sont souvent portées au tribunal. C’est d’ailleurs là l’objectif poursuivi par les activistes : cela permet de faire avancer le dossier et de faire condamner ceux contre qui ils agissent. « Une action de désobéissance civile peut, dans une campagne, avoir un volet juridique. Tout se passe alors au tribunal, à visage découvert », assure Nathalie Delhommeau.
Et les activistes s’en sortent bien souvent victorieux. Durant le procès qui les opposait à la « ferme des mille vaches », par exemple, les tribunaux ont reconnu « la nécessité et le caractère démocratique » des actions menées par Greenpeace ; les activistes n’ont écopé que d’une peine symbolique. Néanmoins, ce statut de lanceurs d’alertes n’est toujours pas reconnu juridiquement. « Les chefs d’inculpation ne sont pas du tout adaptés à nos actions. Le statut de lanceur d’alerte permettrait d’économiser du temps en passant directement au tribunal civil. Aujourd’hui, on est obligé de passer par la cours de cassation », déplore Namad.
Si les peines ne sont parfois que symboliques, elles peuvent tout de même s’élever à des sommes importantes. « Heureusement, Greenpeace a les moyens financiers d’assurer ses actions et de nous protéger. Mais cela ne nous dispense pas d’évaluer avec précision le risque juridique afin d’estimer si une action vaut le coup d’être entreprise », précise Namad.
Néanmoins, toutes les associations n’ont pas les moyens de payer ce type de condamnation. D’où la recherche d’action moins risquées, et souvent plus innovantes. Par exemple, pour aider la Confédération Paysanne, des activistes qui ne pouvaient se permettre de s’attirer des problèmes juridiques ont organisé un « apéro climatique » devant la cantine du Ministère de l’Agriculture. De quoi réchauffer, aussi, sa créativité…