Mathias Vicherat, une démission passée (presque) inaperçue

Le début du mois de mars ne fut pas de tout repos pour Sciences Po. L’emballement médiatique et l’essaim de journalistes autour de l’école nous ferait presque oublier l’annonce tombée mercredi 13 mars à 8 heures 38 : la démission de Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po et administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques depuis novembre 2021. 

Avec La Péniche, nous avons voulu sonder la communauté étudiante sur ce départ furtif en vous posant nos questions aux détours des couloirs. Que pensez-vous des modalités et de la temporalité de la démission de M. Vicherat ? Comment vous sentez-vous face à cette nouvelle en tant qu’étudiant.e ? Quelles sont vos interrogations sur l’administration et la gouvernance de Sciences Po à partir de maintenant ? Grâce à vos réponses, nous avons tenté de dresser un tableau le plus juste possible sur la position des étudiant.e.s face à cette vacance de poste. 

Mais tout d’abord, comment en sommes-nous arrivé.e.s là ? 

En 2021, Mathias Vicherat, alumni de Sciences Po, est élu directeur de l’IEP de Paris et administrateur de la FNSP (les 2 allant de pair). Un des objectifs clés de son mandat était la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, une problématique qui avait suscité mauvaise presse à l’école après l’implication de Frédéric Mion dans l’affaire Olivier Duhamel et le hashtag #sciencesporcs. 

Je pense que c’était un peu inéluctable” exprime Hugo, en deuxième année.

La démission du directeur de Sciences Po Paris, après avoir été longuement demandée, était dorénavant attendue. Le 5 décembre 2023, lendemain de l’annonce par les médias de la détention de Mathias Vicherat en garde à vue pour violences conjugales, avaient lieu des blocus sur plusieurs campus de l’IEP. Les étudiant.e.s en ont organisé 24 en tout sur plusieurs mois, le dernier ayant eu lieu sur le campus de Dijon le 5 février 2024, selon des représentant.e.s de l’Union Étudiante. Dans un premier mail à la communauté universitaire le 5 décembre, l’ancien directeur déplorait la fuite “d’évènements relatifs à [sa] vie privée et à celle de [sa] compagne”, avant d’annoncer sa mise en retrait en continuant de “[contester] les actes de violence qui ont été rapportés par la presse et sur les réseaux sociaux”. 

C’était quelque chose qui était très attendu par l’ensemble de la communauté étudiante” nous confie Lily, étudiante en deuxième année. Peu d’étonnement, donc, à la réception du mail de mercredi dernier informant de la démission du directeur. Une nouvelle passée d’ailleurs presque inaperçue au milieu des nombreuses autres polémiques qui agitaient l’institution au même moment, concernant notamment l’occupation de l’amphithéâtre Emile Boutmy pour une journée de mobilisation pro-palestinienne.

Une démission arrivée trop tard ?

Un argument revenu à plusieurs reprises chez les étudiants et étudiantes a été celui du devoir d’exemplarité de la part du directeur. C’est d’ailleurs ce devoir qui, selon sa communication par mail du lundi 11 décembre, a motivé sa mise en retrait : “Une institution ne se résume pas à la seule personne qui est à sa tête, mais la fonction de direction expose plus que toute autre et, surtout, impose, plus qu’aucune autre, un devoir d’exemplarité.” Ce poste obligerait ainsi à se comporter comme un modèle pour la communauté universitaire mais aussi en tant que représentant de l’école devant les médias, les puissances publiques ou encore les investisseurs. C’est par là l’image de l’institution qui serait en jeu : “On considère que par souci d’exemplarité, il aurait dû démissionner dès sa mise en garde-à-vue” explique Romain, représentant du syndicat l’Union étudiante. Lily partage également cet avis : “Il y a eu énormément de discussions sur les raisons précisément qui pourraient conduire à cette démission avec beaucoup de débats sur la présomption d’innocence. Je pense que ce n’est pas un débat qui devrait avoir lieu dans la mesure où à partir du moment où on a le directeur de Sciences Po qui est accusé de violences conjugales, qu’il soit coupable ou non, c’est dommageable à l’institution et c’est pas possible au regard de l’histoire de Sciences Po”. 

De plus, les étudiant.e.s ont retenu que Mathias Vicherat, lors de son accès à la direction de l’établissement, avait décidé de mener en priorité un projet de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. “Au bout de 4 mois, il démissionne enfin, d’autant plus qu’il a été élu sur un projet de mettre en avant la lutte contre les VSS. C’est quand même assez drôle, si je peux utiliser ce mot” nous dit Hugo, 2A.

Selon Nicolas, qui nous a parlé au nom du syndicat NOVA, la démission du directeur a surtout permis d’apaiser la communauté étudiante : “cette démission, même si elle intervient tard, est bienvenue après une période de tensions”. Pour Hugo, étudiant de première année “un retour au calme c’est surtout que les cours puissent être assurés normalement déjà, mais ça, ça dépend pas que du directeur évidemment, et puis qu’on évite tous ces scandales qui décrédibilisent notre école, et qui après je pense ont un impact aussi dans le monde professionnel et après nos études.”

Que ce soit par souci d’exemplarité, pour une question de confiance nouée avec la communauté étudiante, pour l’image de l’école ou bien pour des raisons symboliques, beaucoup considèrent que cette démission intervient trop tard.

La future gouvernance de Sciences Po est aussi un sujet d’interrogation pour les étudiants. Pierre Catalan, directeur de la Vie Étudiante, explique : “il va y avoir une administration provisoire, une commission va être nommée pour sélectionner le ou les candidats présentés au conseil, ce qui va prendre beaucoup de temps, mais l’administration provisoire va pouvoir permettre de s’occuper des affaires courantes, notamment tout ce sur quoi le directeur est censé avoir une signature unique à laquelle personne ne se substitut.”

Certains syndicats ont cependant formulé le souhait de réformer le mode d’administration de l’établissement1. Lola, une étudiante de l’Alternative Étudiante de Reims nous dit ainsi : “c’est vraiment une question de représentativité étudiante lors des instances, donc lors du Conseil d’Administration [de la FNSP] mais aussi par rapport la séparation Conseil d’Administration [de la FNSP] et du Conseil de l’Institut qui est selon moi à remettre en question. Même si en théorie ils ont des fonctions séparées, ce qu’on retrouve c’est que le Conseil de l’Institut, qui a le mérite d’être légèrement plus représentatif des étudiants, détient beaucoup moins de pouvoir que le Conseil d’Administration [de la FNSP], et pour moi c’est quelque chose qu’il faut vraiment changer.”

Enfin, une dernière idée semble parcourir la tête des sciences pistes. “Après, il y a la question qui est posée aussi justement aussi d’avoir éventuellement une directrice à la tête des Sciences Po ? Ça pourrait être une idée aussi ? On a une présidente de la FNSP, pourquoi pas, une directrice également” propose Hugo, 1A, plus tard secondé par Perrine : “Je pense que c’est assez impensable aujourd’hui qu’un homme soit désigné après toutes ces affaires. Ca ferait du bien aussi d’un point de vue symbolique que ce soit une femme qui reprenne la tête de l’institution” 

Le futur de Sciences Po sera-t-il écrit au féminin ?

Propos recueillis par Rose McCloud et Clémentine Gigot

  1. Pour plus d’information, voir : https://newsroom.sciencespo.fr/lancement-de-la-procedure-de-nomination-a-la-direction-de-sciences-po/  ↩︎