Martine à la campagne – ou comment votent les campus délocalisés.
Nous sortons tout juste de l’intense période de campagne et d’élections des syndicats à Sciences Po… Mais saviez vous que les syndicats existaient aussi en province ?Eh oui, tout comme l’électricité, Internet et les boîtes de nuit, malgré les apparences. Alors allons donc voir ce qui se passe à la campagne.
Chasse, pêche et traditions, et syndicats.
Tout d’abord, on peut remarquer que la présence syndicale sur les campus semble refléter les résultats des élections : ainsi, l’UNEF a actuellement des équipes dans 6 des 7 campus (Menton faisant exception, malgré quelques contacts sur place en cas de problème), quand l’UNI-MET n’est présent qu’à Reims et au Havre, tout en essayant de développer des sections à Nancy, Dijon et Poitiers. SUD Solidaires lui,fait preuve d’un centralisme typiquement français puisqu’il n’est présent pour l’instant qu’à Paris.
De plus, il arrive que les équipes parisiennes s’aventurent dans les jungles provinciales : en début d’année notamment, l’UNEF visite tous les campus afin d’informer les étudiants sur les aides qu’ils peuvent demander, la Sécurité Sociale étudiante… Mais c’est surtout en période d’élection que l’on voit débarquer des équipes syndicales prêtes à tout pour nous faire voter, et de préférence pour elles. De manière générale, Sciences Po rembourse les transports aux syndicats à hauteur de deux trajets durant les élections et deux durant le reste de l’année, pour chaque campus délocalisé.
Ligne directe Province-Paris
Alors être syndiqué en campus, à quoi ça sert ? Les équipes syndicales y tiennent en fait un double rôle : celui de membre d’un syndicat au même titre que les militants parisiens et celui d’acteur pour les droits des étudiants au sein même du campus, par exemple dans les conseils de vie de campus hebdomadaires avec l’administration. Un engagement prenant puisqu’il implique une coordination logistique avec Paris pas toujours simple : les élus doivent par exemple se rendre régulièrement à Paris, et si les billets de train sont remboursés par Sciences Po et les absences justifiées, on comprend mieux que Menton ne brille pas par ses équipes syndicales. Car disons le tout net, faire un aller retour de 900km pour une réunion qui durera quelques heures, c’est quand même un peu frustrant.
Pour faire fonctionner tout ça, l’UNEF a donc deux responsables de la coordination avec les campus délocalisés, qui ont notamment la sympathique tâche de papoter une fois par semaine avec les représentants UNEF des campus pour voir ce qui fonctionne et ce qui reste à faire.
Au niveau des élus, les listes sont plus ou moins mixtes : l’UNEF a désormais trois élus venant de campus délocalisés (Poitiers, Nancy et Reims), l’UNI-MET comptait sur sa liste deux étudiants de campus qui n’ont toutefois pas été élus, et SUD Solidaires présentait une liste 100% parisienne.
Campagnes à la campagne
Avec leurs 2 740 étudiants environ, les campus délocalisés sont réellement un enjeu important pour les élections: nous avons donc droit ici aussi à notre période de campagne où chacun essaye en vain d’échapper aux représentants UNEF, UNI-MET et SUD tapis dans l’ombre, leurs valises contenant assez de tracts et d’affiches propagandistes pour recouvrir tous les murs du campus 3 fois ou pour éventuellement vous étouffer si par hasard vous ne vouliez pas entendre raison.
Une présence pré-électorale qui paraît parfois un peu utilitariste : nous étions ainsi nombreux la semaine dernière à
découvrir l’existence de SUD Solidaires, qui ne s’était pas vraiment manifesté auparavant… Jeune syndicat à Sciences Po, il suffit d’ailleurs de poser quelques questions à ses représentants, par curiosité, pour voir leurs yeux pleins d’espoir se poser sur vous, désormais considérée comme une cible potentielle pour l’ouverture d’une section SUD à Poitiers. Par ailleurs, on sent une légère dissonance culturelle avec les militants de l’UNI-MET quand ceux ci, l’air très parisien, vous annoncent que leur principal projet pour votre campus est d’organiser les épreuves de l’IELTS à Poitiers, ce qui est en fait déjà le cas depuis 3 ans… Vous avez dit mal préparé ?
Des spécificités en campus délocalisé
Tentons maintenant de faire un peu de sociologie électorale provinciale. S’il est impossible d’accéder aux résultats des élections par campus puisque tous les bulletins sont comptabilisés à Paris, on peut toutefois cerner quelques caractéristiques. Tout d’abord, il est clair que les étudiants votent plus facilement pour les syndicats présents sur leur campus, car ce sont eux qui sont présents au quotidien pour revendiquer et négocier avec l’administration locale. C’est là que l’UNEF place habilement ses pions dans la bataille électorale : la grande majorité dont il dispose à chaque élection faisant de lui un syndicat attractif, il parvient à être présent sur quasiment tous les campus et donc à mobiliser des voix plus facilement.
Mais le vote syndical n’est pas dépourvu d’une dimension plus politique et idéologique : l’UNI-MET affirme ainsi dans son programme que « le nombre d’étudiants a aujourd’hui atteint une limite » et suggère de se « concentrer sur la qualité de nos conditions d’études » plutôt que de « continuer à augmenter la quantité ». On entend souvent dire que ce désir de limiter les effectifs se porte principalement sur les procédures CEP et internationales, accusées de faire baisser le niveau de Sciences Po car allégées des épreuves écrites. Rumeur ou fait avéré ? Si cette ambition supposée n’est pas clairement affichée par l’UNI-MET, il n’est pas rare que l’on en parle entre sciencepistes. Or les campus comptent plus 50% d’étudiants étrangers ; à Poitiers par exemple, seuls 25 étudiants sur 85 admis en 2013 l’étaient par procédure examen. Il ne serait donc pas étonnant à mes yeux d’apprendre que la majorité des 1091 voix qu’a remporté l’UNI-MET aux dernières élections sont des voix parisiennes…
Une réelle participation
Mais perdre le soutien des étudiants étrangers est une erreur stratégique puisqu’ils représentent 46% des étudiants ; il est par ailleurs très réducteur de considérer que les étudiants étrangers ne votent pas aux élections syndicales. Car si les étrangers à Paris sont généralement des étudiants en échange restant un semestre ou une année seulement à Sciences Po, les étudiants étrangers en campus sont là comme les autres pour cinq ans et ne sont pas d’insouciants fêtards bafouillant trois mots de français– même si, il faut bien l’avouer, niveau ambiance, en campus, on vous écrase.
Et les chiffres sont là pour le prouver : ainsi cette année, Poitiers a le meilleur taux de participation aux élections syndicales avec environ 83% des étudiants de 1ère et 2ème année qui ont cédé aux « T’as voté ? » tantôt suppliants, tantôt menaçants de l’équipe UNEF, qui semble avoir campé dans le hall pendant deux jours. Le taux de participation global des campus délocalisés s’élève à 56% environ – toujours sans comptabiliser les 3A. La présence syndicale en campus apparaît donc comme une des clés du succès : ainsi à Menton, où aucune équipe syndicale n’est présente, le taux de participation n’était que de 28%.
Pour finir, il faut rappeler que la personnalité des militants et l’orientation donnée par le dirigeant d’une section syndicale joue beaucoup dans des structures aussi petites que celles des campus, et que tout peut par conséquent changer très vite… Alors parisiens, cessez donc de vous regarder le nombril et tournez vous vers les provinciaux que nous sommes, c’est peut être nous le secret de votre succès (et promis, on n’est pas des sauvages).