»Ma Mère » honorée.
Mercredi 19 novembre, le Ciné-Club du BdA de Sciences Po finissait son cycle « Voyeurisme et Perversion » par le très sulfureux Ma Mère de Christophe Honoré, qui avait fait scandale lors de sa sortie en 2004. La projection était suivie d’une rencontre avec Louis Garrel et Christophe Honoré, Emma de Caunes, clouée au lit, ayant malheureusement dû annuler à la dernière minute.
Adapté d’un livre inachevé de Georges Bataille, du même nom, le film raconte l’histoire d’une jeune homme, Pierre (Louis Garrel) vouant un amour passionnel à sa mère (Isabelle Huppert), cette dernière finissant par lui révéler sa vraie nature, celle du plaisir et de la transgression. Christophe Honoré, d’abord auteur de livre pour enfants et de romans, signe par ce second long métrage, une œuvre avant tout personnelle. Le considérant comme « le plus travaillé mais aussi le plus inutile » de ces films, Ma Mère a été pour lui un moyen d’assumer le fait d’être un cinéaste-écrivain, une manière de goûter à l’expérience intime de faire un film.
Filmer la sexualité
Le film a trait à la sexualité fantasmée, parfois explicite, parfois suggérée, mais qui ne tombe jamais dans le réalisme pur. Le réalisateur n’a en effet pas souhaité tout montrer ; il confie avec humour que ce qui l’intéressait chez Bataille, c’était avant tout « le travail de sa langue autour du sexe ». Refusant l’idée de performance, il a cherché à retranscrire quelque chose de plus mystérieux et d’introspectif. S’il est certain qu’on ne ressort pas de ce film indemne, Honoré explique que son but premier était de montrer des scènes de sexe réellement excitantes pour le spectateur et non répulsives. Le risque d’être jugé et que ces scènes soient attribuées à sa jouissance personnelle plutôt qu’à son travail de réalisateur était inévitable. C’est donc pour contourner sa peur et mieux se préparer que le réalisateur a choisi de les travailler avec des modèles à Paris avant de les faire jouer aux acteurs.
Christophe Honoré se souvient aussi que l’île des Canaries sur laquelle le film a été réalisé, Las Palmas, était l’endroit dépravé par excellence. « Les gens avaient des boucles d’oreilles sur le pénis… ! » remarque-t-il presque naïvement, provocant les railleries de son compagnon. Détail a priori anodin mais qui l’a tellement marqué qu’il l’a représenté dans une scène du film, tout comme Jumbo, cette étrange galerie commerciale pleine d’enfants le jour, qui se transforme en bordel la nuit.
Honoré colle au texte de Bataille, jusqu’à la fin aux allures inachevées de son film. Le contraste avec sa trilogie parisienne (Dans Paris, Les Chansons d’amour, La Belle personne), qui s’adresse à un public plus large, est saisissant : de la violence et la perversion aux amours diluviennes de petits bourgeois parisiens, le fossé est énorme. On comprend mieux cet écart lorsqu’il explique que Ma Mère a été fait pour lui, dans le but de se tester en tant que réalisateur, repoussant les limites du supportable.
Les premiers pas d’un jeune acteur
Lorsque qu’Honoré a contacté Louis Garrel, ce dernier jouait encore Racine au Conservatoire. Après avoir improvisé une scène au téléphone, l’acteur se souvient avoir été frappé par l’écriture du scénario de Ma Mère, dans lequel une scène de masturbation donnait cette étrange description : « Pierre s’attrape comme un singe ».
« Déjà nu et pas stressé » au premier jour de tournage selon Honoré, Louis a su très vite s’adapter du haut de ses 18 ans et jouir d’une certaine liberté. L’acteur n’a pas un souvenir traumatisant du tournage, bien qu’il ait dû tourner certaines scènes plutôt crues sans aucune simulation.
« C’était ma période pervers, polymorphe » déclare-t-il, jouant du décalage et de la nonchalance.
Il était surtout déjà rodé, après le tournage de The Dreamers de Bertolucci. « Le nu, c’est sa spécialité » lance alors Honoré. Le plus dur pour Louis aura été de s’immerger dans la psychologie de son caractère, Pierre. « C’est très fatiguant de donner de la consistance à quelqu’un qui est constamment naïf » déclare-t-il. Le meilleur : jouer avec Isabelle Huppert, « plutôt sexe dans le film ».
Humour et complicité au rendez-vous
Ce qui est ressorti de cette rencontre de plus d’une heure et demi, c’est la complicité toujours grandissante entre réalisateur et acteur, désormais muée en véritable relation de confiance. Honoré, surpris par le jeu à la fois particulier et très inventif de Louis, lui a permis de faire des choses qu’il ne ferait certainement pas « avec papa » (le réalisateur Philippe Garrel ndlr). Il lui a donné sa chance ; puis il l’a vu grandir, gagner en maturité et évoluer au fil de ses films. L’acteur lui-même constate son évolution : après s’être trouvé « affreusement mauvais » dans Ma Mère, il s’est simplement jugé « trop bon » dans Les Chansons d’amour. Et de finir sur une dernière riposte second degré :
« Je n’ai pas tellement de plaisir à jouer en fait, seulement à me reluquer ».
L’ambiance bon enfant qui s’est rapidement installée a permis aux étudiants de poser toutes sortes de questions, les invités ne lésinant pas sur les anecdotes cocasses. Louis Garrel est ainsi revenu avec humour son complexe principal, son nez, révélant qu’il a découvert la bosse qui le caractérise à 16 ans, en se regardant de côté dans un miroir. Heureusement, Jane Birkin l’a rassuré, lui disant qu’il n’y avait rien de plus sexy qu’un nez comme le sien ! De même, il a feint de s’insurger quand une élève a fait remarquer qu’on ne voyait jamais son « organe » dans Ma Mère et qu’une autre lui a demandé s’il avait lu Georges Bataille :
« Alors je n’ai plus d’organes, je suis analphabète : je me fais humilier à Sciences Po ! ».
Finalement Louis, ce n’est pas seulement des boucles d’ange rebelles. C’est aussi un humour singulier.
Par cette dernière projection, rassemblant plus de 500 personnes en amphi Boutmy – une grande partie ayant assailli les invités à la fin pour des photos / autographes – le BdA et son Ciné-Club ont donc clôturé avec brio leur premier cycle de long-métrages. Une renaissance pour un club jusque là en mal de reconnaissance ? Certainement, et cela avant tout grâce à des organisateurs motivés au carnet d’adresses bien rempli. Juan Paulo Branco, son responsable, aime à rappeler que l’association s’est organisée et activée en amont, mettant toute l’énergie nécessaire pour lancer la rentrée comme il se devait : un cycle choc, des intervenants chics, mais aussi de nouveaux partenariats avec la Cinémathèque et les Cahiers du Cinéma.
Mordus du 7e art ou simplement amateurs, sachez qu’un nouveau cycle s’est ouvert ce mercredi, consacré aux auteurs hollywoodiens. Le Ciné-Club nous réserve encore de belles surprises pour l’année, avec la venue espérée de Fanny Ardant et Agnès Varda, entre autres.
Article rédigé avec l’aide de Justine. Retrouvez plus de photos de la rencontre ici !