Lis Tes Ratures, ou comment briller en société avec Nabokov

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Vous êtes convié à un dîner mondain chez des amis germanopratins. Installé, vous réalisez que les convives parlent fort et s’invectivent, disputant le bout de gras, ainsi que le prochain Goncourt. Anxieux que vous êtes de faire bonne figure, vous ne parvenez malheureusement pas à en placer une, vos maigres souvenirs du dernier Stendhal étant anéantis par les cent cinquante pages de droit ouzbek que vous avez ingurgitées la veille, entre autres réjouissances. L’angoisse de la discussion blanche ?

A l’aventure littéraire, avec La Péniche… et avec Lolita, le roman de Vladimir Nabokov !

 

  • Lolita, de Vladimir Nabokov (1955)

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Tout le monde connaît l’histoire de Lolita. Ne serait-ce que grâce au très beau film de Kubrick. Roman scandaleux s’il en est, il met en scène Humbert Humbert, intellectuel européen « nympholepte » (ou, moins poétiquement, pédophile) et sa passion obsessionnelle pour la jeune Dolores Haze, qu’il surnomme Lolita. « It was love at first sight, at last sight, at ever and ever sight » (oui, je fais partie des insupportables snobs qui vous expliquent que « la traduction est pas mauvaise en soi, mais franchement, ça vaut pas le style de Nabokov. Nan, si tu peux, lis-le en version originale, ça change complètement ta perception du bouquin. »).

Le roman est présenté sous la forme des confessions d’Humbert Humbert, qu’il aurait écrites en prison avant son procès pour meurtre. Il y raconte son enfance, ses relations avec des filles, puis avec des femmes, jusqu’à son arrivée à Ramsdale en Nouvelle Angleterre, où il décide de loger chez les Haze à cause de son attirance pour Lolita, la petite fille de la maison. Peu de temps après, il se marie avec sa mère, qu’il aime à surnommer la « grognasse ». Celle-ci finit par découvrir le journal de HH, et y lit des diatribes dégoûtées qui la concernent, mais surtout ses envolées lyrico-érotiques sur sa fille. En s’enfuyant de chez elle pour aller dire la vérité sur son mari, elle est renversée par une voiture et meurt sur le coup.

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C’est là que commence la relation entre Lolita et Humbert, qui a plus de trois fois son âge et est désormais son tuteur légal. Ce n’est pas une histoire d’amour, pas vraiment. HH est fou amoureux de la jeune fille, certes. Quand il se marie avec sa mère, Lolita a le béguin pour lui, oui. Elle accepte d’avoir des relations sexuelles avec lui, par provocation, peut-être ? Mais c’est bien l’histoire d’une petite fille abusée, aussi provocante soit-elle, qui nous est dépeinte.

La première fois que j’ai lu Lolita, et alors que j’avais encore l’âge d’être une nymphette, j’ai été absolument fascinée. C’est seulement à la relecture que j’ai vraiment compris pourquoi. Il n’y a dans Lolita ni pornographie ni moralité, Nabokov ne veut rien nous apprendre sur la perversité de la nature humaine ou l’atrocité de la pédophilie. Ce qui trouble le plus est la subjectivité de la narration. On se prend, notamment dans le début du livre, à apprécier Humbert Humbert, à avoir de l’empathie pour lui, presque. Lolita le provoque, le séduit, le contrôle, elle était amoureuse aussi ? Et puis on finit par s’apercevoir qu’on n’a qu’une version, celle d’Humbert. Et la manipulation est complète. Son ton ironique et plein d’autodérision, les mots compliqués qu’il utilise nous détournent des horreurs qu’il raconte. On aime mépriser avec lui la vulgarité de l’Américain(e) moyen(ne), on aime lire ses descriptions mélancoliques de Lolita, adolescente insolente, insouciante mais pas toujours innocente, on aime sourire à ses nombreux jeux de mots.


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Humbert utilise la langue pour persuader, séduire son lecteur, lui faire comprendre son point de vue, et ultimement se rendre sympathique. Enfin, on ne pourra pas lui enlever qu’il nous avait prévenus dès le fameux (et fabuleux) incipit du roman : « You can always count on a murderer for a fancy prose style ».

Elsa Cardona.