LE MAG – Taxi Téhéran : véhicule du portrait de la société iranienne
Pas de générique. Des images de la ville capturées derrière le pare-brise d’une voiture. Le début d’un voyage à travers Téhéran, enfermé dans l’habitacle d’un taxi. Une première scène de quelques minutes qui annonce la couleur du dernier film de Jafar Panahi.
Lors du festival de Cannes en 2010, une des chaises du jury était restée vide. Elle lui était destinée, il ne pouvait sortir du territoire iranien. Cette même année, il fut interdit de réaliser des films pendant vingt ans, entendons : à perpétuité. Ses précédentes œuvres ont été censurées par le gouvernement de la République islamique d’Iran, Hors Jeu notamment, qui n’a pas pu sortir dans les salles iraniennes car il traitait de la place laissée aux femmes dans son pays. Si Hors Jeu avait remporté l’Ours d’argent au Festival de Berlin de 2006, c’est l’Ours d’Or qu’on a décerné à Taxi Téhéran cette année. Un film incroyablement juste, drôle et souvent touchant.
« Rien ne peut m’empêcher de faire des films et, lorsque je me retrouve acculé (…) la nécessité de créer devient encore plus pressante »
Cette « nécessité de créer » que Jafar Panahi évoque transparaît parfaitement à travers l’originalité de son long métrage, filmé en quelques jours avec des moyens on ne peut plus limités, semblant se situer à mi-chemin entre la fiction et le documentaire. Ignorant les interdits, Taxi Téhéran est un film qui circule sans permis.
Exercice difficile que de résumer ce long-métrage sans tomber dans une description réductrice des scènes. Il est de ces œuvres qui déroutent, qui étonnent, qui poussent à l’analyse et qui se digèrent. Une succession de rencontres, de retrouvailles, de scènes tragico-comiques ou relevant presque du pamphlet politique.
Jamais on ne quitte le véhicule conduit par Jafar Panahi. Le réalisateur au volant va saisir ces petites scènes de vie qui dépeignent d’une très belle façon la société iranienne. Une discussion sur la peine de mort appliquée en Iran, deux vieilles amies étouffées par les rituels religieux, une avocate allant voir une prisonnière ayant entamé une grève de la faim…
C’est également une réflexion d’une grande intelligence sur l’image qui nous est offerte dans ce long métrage. Si la caméra fixée au rétroviseur central restera à son poste jusqu’à la fin du film, les passagers ne cessent de dégainer Iphone et appareils numériques pour immortaliser certaines scènes. On retiendra surtout la nièce du réalisateur citant tous les motifs de censure cinématographique en accord avec la loi de la charia qu’elle doit prendre en compte pour réaliser un court-métrage, écoutée par son oncle affichant un sourire en coin qui en dit long.
Dans ce film, il est enfin question de Cinéma, des « amoureux du Cinéma » plus précisément, avec des références d’une grande richesse, avec des chefs d’œuvres comme Il était une fois en Anatolie ou Midnight in Paris qui circulent par voie de contrebande, étant interdits de diffusion en Iran.
Est-ce le besoin irrépressible de créer et d’afficher sa vision 7ème Art ou bien sa volonté d’exposer les aspects de la société de son pays que Jafar Panahi transmet le mieux ? Difficile de juger. Son talent, en revanche, est incontestable.
La note :
8,5/10