Le Mag – Quand l’artiste fait scandale
Que faire de l’œuvre d’artistes à scandales ?
Si je vous dis La Chevauchée des Valkyries de Wagner, ça vous parle ? Non ? Voici qui devrait rafraîchir vos souvenirs :
Ah là ça vous dit déjà plus quelque chose ! Une splendeur, pas vrai ?
Mais si je vous disais que Wagner était antisémite… ? Si je vous parlais de l’amitié de sa famille avec un certain Adolf Hitler ? Le voyez-vous toujours comme un aussi grand compositeur ? L’exemple de Wagner relève peut-être du monde de la musique, et date du XIXe siècle, mais il n’en reste pas moins pertinent pour le sujet que je veux traiter aujourd’hui. Peut-on détacher un artiste et son œuvre de sa personne, de ses actions ? Peut-on considérer les films produits par Harvey Weinstein avec autant d’admiration en 2018 qu’en 2016 ? Le thème est récurrent depuis la rentrée 2017, et on ne cesse de lire que telle star du grand (ou petit, coucou Kevin Spacey) écran a abusé d’autrui, le plus souvent de moins influent que lui. Si au départ il est toujours question de boycotter ledit individu, il reste néanmoins la question de son œuvre. Devrions-nous proscrire toute production de l’artiste de notre consommation culturelle, ou au contraire nous détacher de la personne pour n’apprécier que son art ?
Le premier parti viserait à forcément lier la production au producteur. La trace de Weinstein serait trop visible sur Pulp Fiction, The Aviator ou encore Vicky Cristina Barcelona ; pour ne citer qu’eux. On ne pourrait ainsi plus réellement apprécier ces films sans avoir à l’esprit les crimes commis par le fameux producteur. Le deuxième avis nous conduirait, en revanche, à ne pas réduire une œuvre à son créateur. Car s’il est vrai que La Chevauchée des Valkyries, pour revenir à mon exemple introductif, est teinté d’antisémitisme et de haine, le prélude de l’opéra lyrique n’en reste pas moins un monument de la musique, quoi qu’on en pense.Il devient alors très compliqué de ne pas s’emmêler dans les rouages d’industries bien souvent perverties jusque dans leurs fondements.
Mais si nous partons du principe qu’il faut boycotter les œuvres d’artistes à controverse, comment tracer la ligne qui sépare ceux qu’il faut blacklister et ceux que l’on peut toujours accepter ? Il y a quelques semaines, le licenciement de James Gunn du tournage du troisième opus des Gardiens de la Galaxie a soulevé cette problématique : le réalisateur a en effet été viré à cause de la découverte de tweets « politiquement incorrects » datant d’il y a au plus 10 ans. S’il est vrai que ces tweets sont très provocateurs, voire à la limite de la moralité, on peut être tenté de comparer sa situation à celle de Woody Allen, (et Dieu sait que j’adore ses films…) qui a épousé sa belle-fille adoptive (oui, oui, google it) et est accusé par plusieurs de ses enfants d’abus sexuels, pour avoir envie de se dire que James Gunn n’a « rien fait ».
« The best thing about being raped is when you’re done being raped and it’s like, “whew this feels great, not being raped! » James Gunn sur Twitter en 2008
Mais dans les faits, Gunn est aujourd’hui privé d’une saga qu’il avait pourtant portée au succès grâce à son côté délirant qui changeait de la formule Marvel à laquelle on nous avait malheureusement habitué ; alors qu’Allen continue à produire un film par an, un rythme qu’il soutient depuis la fin des années 1960. Comment expliquer que Disney ait été si intransigeant envers un réalisateur avec qui ils avaient pourtant travaillé pendant si longtemps, alors que nombre d’acteurs et de producteurs continuent de collaborer avec une personne aussi controversée qu’Allen ? Autant de problématiques qui poussent à se demander si cela vaut vraiment la peine de lier l’artiste à son œuvre, si le détachement ne serait pas plus simple, plus commode.
Mais peut-on réellement appréhender une œuvre sans en comprendre tout le contexte ? Peut-on saisir tous les enjeux liés à un film sans connaître les raisons de sa genèse, les origines de ses fondements ? Pour peser le pour et le contre, on peut prendre deux exemples aux antipodes : Le Pianiste de Roman Polanski, et Les Gardiens de la Galaxie de James Gunn, deux œuvres dont les réalisateurs sont aujourd’hui considérés comme « à controverse » : James Gunn pour les raisons citées au dessus, et Roman Polanski pour des affaires (toujours pas prouvées) de relations abusives avec mineur.
Le Pianiste est, pour faire simple, un film se déroulant durant le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et si l’émotion est déjà palpable pendant tout le déroulement, savoir que Roman Polanski (le réalisateur) est un survivant de ce même génocide, rend le film d’autant plus perçant. Ici, le contexte est crucial, mais est-il primordial ? D’autant plus que la vie de Polanki est teintée de tragédie (en bref : il survit à la Shoah, sa famille se fait tuer, sa femme enceinte de 9 mois est assassinée par Charles Manson [le tueur en série et meneur d’une secte]). Devrions-nous pour autant passer outre ses actions, les mettant sur le compte d’un homme détruit ?Si l’on s’intéresse maintenant aux Gardiens de la Galaxie, on peut vite comprendre que la vie de James Gunn n’a eu aucun impact sur le space opera musical qu’est ce film. Mais peut-on toutefois totalement oublier tout ce qu’a pu faire Gunn dans sa vie pour entrer en immersion totale dans le film ?Je n’ai cessé à travers ces quelques lignes de soulever de plus en plus de questionnements, auxquels on ne peut hélas donner de réponse universelle et définitive. J’aimerais tout autant que vous avoir un avis tranché sur la question, mais faire mes recherches pour cet article m’a fait réaliser que plus je me penchais sur la vie des artistes qui ont fait l’histoire, plus je découvrais des passages qui me troublaient profondément. Qu’ils soient des monstres comme Weinstein, de mauvais blagueurs comme Gunn, des personnes influencées par leurs temps comme Wagner, des hommes détruits et apparemment destructeurs comme Polanski, le jugement de leurs œuvres ne dépend que de nous, et il appartient à chacun de « boycotter » ou non un film, un livre, une chanson… C’est le genre de sentences qui ne peuvent être prononcées qu’au cas par cas, après étude. Leurs actes, s’ils sont avérés, restent évidemment condamnables et ne doivent pas être pardonnées par la qualité de leurs œuvres. Difficile de trancher : quand on voit tout le mal qu’a pu faire Harvey Weinstein à des femmes et à l’industrie cinématographique en général, on peut se dire qu’en tant que producteur, il n’avait peut-être pas tant d’impact sur les films, et que les oublier serait faire du mal à tous les autres artistes ayant mis de leur temps et énergie sur ces projets… ou bien qu’au contraire, en tant que tête pensante de ces projets, il aurait marqué ces films de son empreinte, et qu’il serait donc légitime de les mettre de côté.
Pour ma part, si je devais vraiment proposer une forme de solution, dans une certaine mesure évidemment, je dirais que plus qu’une culture de la contextualisation, il faut commencer par éduquer le spectateur sur ce qu’ils vont « consommer » comme contenu. Comme on peut mettre un « warning » sur les tranches d’âge conseillées pour un programme, on peut également imaginer un petit disclaimer pour les intéressés, qui mettrait dans son contexte la réalisation du film. Toutefois, il ne faut pas se figurer que cela remplacerait la justice, pour ne pas tomber dans le lynchage systématique de personnes, sans avoir l’avis des professionnels. Je tombe très vite dans les suppositions et les recommandations presque fantasques, mais régler un problème aussi abstrait avec des solutions concrètes est
Pour aller plus loin, voici le lien d’une vidéo très intéressante sur le sujet :
Sur ce, à la prochaine !
Rita Faridi
seizethemovies.wordpress.com