L’absurde en fran-allemand
Tourista de Marius von Mayenburg surprend avec plusieurs morts, quelques familles, deux jeunes amoureux, et une folle.
Le Projet Collectif Théâtre du campus européen franco-allemand de Sciences Po à Nancy a présenté mercredi 3 avril l’œuvre Tourista de Marius von Mayenburg au Theatre de la Manufacture à Nancy. Digne du campus, la pièce était en fran-allemand parfait. Une dramaturgie absurde et comique, qui vit d’un jeu talentueux et d’une mise d’images scéniques très réussite, nous fait immerger dans la banalité poétique, sombre et contradictoire.
C’est l’histoire d’un enfant qui meurt trois fois dans des circonstances différentes. Le cadavre, apporté à chaque fois de la même manière par une personne différente, examinée par le même docteur et acquitté par les mêmes mots douloureux, suscite des réactions diverses de la part des personnages : entre désarroi, peur et agression, la pièce joue aussi le comique de situation. Comme la mort survient plusieurs fois, et comme les procédés deviennent si normaux, pourquoi ne pas en rire, au final ?
Robin Ormond a mis en scène une comédie de l’absurde en français et allemand qui semble ne pas avoir de réponse aux qu’elle se pose elle-même. Il a crée une suite de tableaux composés et réussis, où les personnages ne sont qu’une partie de l’ensemble souvent perplexe qui semble perdu dans sa propre complexité. C’est l’histoire de quelques familles qui luttent contre le vide de leurs vies. C’est l’histoire d’un camping en forêt, au bord d’une rivière et à proximité d’une carrière, qui constitue le refuge pour ces personnes et le musé pour l’exposition leurs vies. Apparition du beau père, chasse aux bêtes de la forêt, grillades répétitives sans sens – les vies se croisent et divergent, s’entrecoupent et se repoussent. La langue est simple mais poétique, aux grandes aspirations mais sans y parvenir réellement. Le jeu est sobre, mais talentueux et entrainant. Répliques entrecoupées, discours interrompus – les grandes poésies ne sont possibles que seul au milieu de la forêt.
La mort redondante donne un caractère intemporel et embrouillé. Malgré l’absurdité comique, le public ne sait pas exactement ce que qu’il doit en tirer. Est-ce un indice sur l’inutilité de la vie qui ne fait que se passer sans que nous, pauvres petits êtres que nous sommes, y ont une quelconque influence ? Est-ce un appel à l’action, un appel de sortir de ce vide écrasant, et de prendre un main la vie qui n’est de toute façon très limitée ? Les désirs de ses simples personnes, leurs craintes et succès, nous semblent tellement banals – tout en nous touchant au plus profond.
Une folle y met ses mains, une sorcière peut-être, ou une voyante. Elle crée au sein de cette pièce sans but réel une strate à part, une couche de réflexion. Elle nous explique la vie comme elle la voit et est surtout présente quand il s’agit de contempler la mort. Vieille femme folle, elle symbolise la philosophie absurde d’une vie qui se noie tantôt dans l’alcool, tantôt dans la rivière. Les enfants, innocents de principe, y sont plus nombreux que les adultes qui les encadres mais qui ont plus de mal de contenir leur problèmes que tous les autres. L’adulte empiète sur l’enfant, rend justice à sa place, essaye de le protéger des réalités qu’il ne supporte pas lui même. Les émotions montent et attaquent lentement la paix succincte qui règne le temps entre les morts. L’approche irréelle entre deux adolescents contextualise l’histoire du camping. « Raconte moi ce qui se passe » demande-t-elle, sur quoi il commence à décrire des courts états de lieu de plusieurs villes du monde entier. Nous sommes nous même qu’une minuscule partie d’un tout ; d’un tout qui ne cesse d’évoluer à beaucoup plus d’endroits que nous ne le percevons. Les histoires du garçon donnent lieu à l’évasion. C’est la sortie de secours pour des jeunes en quête de plus. C’est le chemin vers le contexte qui donne de la valeur aux faits vécus. C’est aussi une source de rêves irréalisables, qui donnent de l’espoir sourd.
Scène simple et dépouillée, mais remplie par un jeu souvent de haut niveau, Tourista nous rend observateur d’un monde apoétique duquel elle fait un poème. C’est la vie elle même qui est ainsi, même si en soi il n’y a rien de spécial. Le banal est lyrique – la vie un poème si on le veut. Le lyrisme nous invite à l’évasion, à l’enchantement. L’image complète ne sera pas digne d’une œuvre d’art mais elle sera vu ainsi la plupart du temps. Il en est de même pou les personnages : Dans leur banalité assourdissante, ils se donnent à leur désirs qui décélèrent très vite, car ils se retrouvent contenus dans les limites des conventions sociales. Seul l’enfant à droit à l’erreur – et même. C’est l’adulte, dans ce cas, qui y exercera son contrôle. Ce qui est fou est réprimé, mais l’absurdité de la pièce montre bien son importance. Car la folle vit bien dans son monde plein de crème chantilly. Un appel à devenir fou ? Pas du tout. Mais peut être un appel à plus de recul sur ce que nous faisons et vivons.
La mise en scène a fait de se texte de Von Mayenbourg un spectacle sobre, quelque part minimaliste, mais très conscient de ses enjeux. Les répliques sont exactes, la façon de dire poétique. Les débats sont vivants et rapides, les moments de silence sont utilisés pertinemment tout au long de la pièce.
L’alternance des langues donne une dimension supplémentaire : est-ce l’absurdité ou la normalité qui provoque la compréhension mutuelle ? Quand des scènes entières se jouent dans une langue, c’est l’autre qui vient interrompre en tant qu’objet étrange. L’élément extérieur au romantisme des deux jeunes en allemand est le français ; l’annonce des morts vient toujours en allemand. « Der Bub ist tot. »
Que représente Oli, celui qui se fait fusiller, qui se noie dans la rivière, et qui nous apparaît en fantôme, chantant en une seule langue l’histoire du « petit bonhomme dans la forêt. » S’agit-il, dans la chanson, d’un champignon vénéneux ou d’une plante bienfaisante ? Fliegenpilz ou Hagebutte – le mystère littéraire restera pour toujours. L’enfant Oli est-il alors bien ou mal pour la société qui l’entoure et qui pleure ou non plusieurs fois après sa mort ? Que voulait-il nous dire au moment ou il se réveille pour quelques secondes avant de se rendormir pour toujours ?
Le théâtre de l’absurde en fran-allemand parfait nous fait rire – la texte chargé est en mesure de nous faire réfléchir. Les images sont composées, avec des efforts particuliers sur certaines scènes en léger dépit de quelques autres. Le langage est particulier, sobre, mais poétique en herbe. L’archétype du campeur est bouleversé. Est-ce la vie normale et banale qui n’est au final que projetée sur le camping et qui rend toute cette pièce si étrange ?
Par Yann Schreiber.