La semaine cinéphile du Mag’ #9
Ellis Island.
The Immigrant, de James Gray
C’est l’histoire de deux jeunes polonaises qui débarquent à New York dans les années 1920. Passage obligé par Ellis Island. On les sépare alors, l’une d’entre elle est tuberculeuse et va être mise en quarantaine dans l’hôpital de l’île. C’est l’histoire de sa sœur, Ewa, qui va tout faire pour la sortir de là. Lâchée par sa famille habitant New York, prête à être expulsée en Pologne, elle se fait aider par un homme, Bruno Weiss (alias Joachin Phoenix) qui la prend sous son aile. La main tendue est empoisonnée, elle s’en rend compte assez vite. Vie de comédienne et de théâtre ? Vie de prostituée. Bruno Weiss, un père protecteur ? Un maquereau jaloux. Mais voilà, elle a besoin de lui, elle a besoin d’argent, car il y a sa sœur. C’est l’histoire d’une jeune immigrée qui se bat contre les perversions et les travers d’une société et d’une ville qui au départ lui promettaient le rêve américain.
Si vous aviez encore un doute, nous sommes bien dans un mélo. Larmes, violence, jalousie ; atmosphère sombre, froide, c’est bien ça. Mais James Gray touche juste. Le scénario est impeccable. Du cinéma classique, mais intimiste. Pas de New York grandiose, pas de foule à la Scorsese. Quelques rues sales, la chaleur d’un appartement, les couleurs vives d’un théâtre, un tunnel froid de Central Park, la dureté d’Ellis Island forment les principaux décors.
L’acteur fétiche de Gray, Phoenix, incarne un souteneur ambigu à souhait : tantôt protecteur et tantôt violent, tantôt juste et tantôt fou, tantôt sentimental, tantôt manipulateur. Quant à Marion Cotillard, elle réhabilite l’actrice douée qui est en elle. Ainsi, malgré une mise en scène intimiste, la distance du personnage est parfaite : Ewa est forte, mais à chaque instant on redoute un fléchissement. Elle nous apparaît en même temps fragile, en possession de si peu de ressources tant matérielles que physiques.
Elle se bat, et on veut qu’elle s’en sorte, Ewa. Car elle, comme sa sœur – à propos de qui elle nous dit : « She deserves to be happy. »
Cécile Lienhard
Une comédie pas si gay.
Les garçons et Guillaume, à table !, de Guillaume Gallienne.
« Les garçons et Guillaume, à table ! », c’est l’adaptation au cinéma du one-man-show autobiographique de Guillaume Gallienne, de la comédie française. A l’écran comme sur scène, il d’une voix feutrée quoique haut perchée ses jeunes années. Celles d’un garçon qui rêvait d’être une fille pour ressembler à sa mère castratrice, celles d’un adolescent pour qui aimer un garçon « n’a rien d’homosexuel, puisque je suis une fille », celles d’un jeune adulte résigné à faire ce que tout le monde attend de lui : avoir des relations homosexuelles.
« Maman ? Maman ! Maaaman ! – Oui, quoi encore ? ». Et on découvre les deux person… Euh, Guillaume G., en femme d’âge mur, lascivement étendue sur son lit, une clope à la main, et Guillaume G. encore, le visage d’un poupon disgracieux, les mains sur les genoux et le regard candide. L’enfant a la même voix que sa mère, et s’applique à entretenir l’ambigüité en imitant ses tons, ses mimiques. La mère n’a pas de fille, et déjà deux garçons, alors pourquoi freiner l’œdipe biaisé de son rejeton ? Guillaume grandit donc persuadé d’être une fille, se travestit dans sa chambre, s’entiche d’un jeune anglais (lui beaucoup plus porté sur la gent et les jambes féminines) en pension, et s’offusque lorsqu’on lui parle d’homosexualité. Et lorsque, résigné, il rencontre des hommes « comme lui » (selon Maman), les résultats sont peu probants…
Il parait que le spectacle du même nom était à mourir de rire. Moins rythmé, plus triste, le film fait des déçus. Alex B. J., plus ou moins cinéphile et rédacteur de talent pour un obscur journal étudiant, a vu les deux. Le constat est accablant : « Cette adaptation est un pâle ersatz du spectacle qu’on a tenté de déguiser en film. C’est un bricolage un peu bancal ». Ouch.
Heureusement, on n’a pas tous vu le spectacle. Du coup nous, on rit, on s’attache, et on aime ce coming out hétéro. Parce qu’en fait, Guillaume G. est marié depuis 2005 avec Amandine, qui est selon nos sources bel(le) et bien de sexe féminin.
Barnabé Tardieux
Enduring Freedom.
Wajma, une fiancée afghane, de Barmak Akram
C’est une réalité pure, entourée de très peu d’artifices, que nous livre Wajma, une fiancée afghane, réalisé par Barmak Akram. Ce film quasi documentaire ne cache pas les ambivalences de la société afghane, sans pour autant se retrancher derrière elles.
Wajma (jouée par Wajma Bahar) est une jeune fille de la classe moyenne afghane. Elle ne porte pas la burqa, va faire des études droit et elle sort même de chez elle sans être accompagnée. Elle représente les aspects modernes de l’Afghanistan actuel. Le film s’ouvre donc dans l’espoir : il existerait une liberté pour les femmes afghanes. Wajma tombe amoureuse de Mustafa (Mustafa Abdulsatar), ils ont des rendez-vous et s’aiment comme des jeunes gens heureux, même s’il faut se cacher et ruser pour se voir. Et puis Wajma tombe enceinte : le film plonge alors dans une tout autre atmosphère. Petit à petit, la jeune femme est agressée, violentée et détruite par des traditions oppressantes dont toute la société est empreinte.
Le film tire de ces deux tonalités deux qualités : tout en se faisant porte parole des drames de la société afghane, il prend le temps de ne pas sombrer dans le démonstratif et le caricatural. Il nous rappelle qu’il y a une jeunesse, que cette jeunesse a des aspirations au bonheur et à la liberté comme toutes les autres jeunesses, et qu’elle sera peut-être porteuse d’un changement. Le tout dans une grande simplicité de mise en scène, le film ayant été tourné avec une petite caméra de documentaire dans les rues de Kaboul.
S’il fallait nuancer, nous aussi, notre propos, on ferait remarquer qu’étant donné la force de certaines scènes sur le papier, on s’attendrait à être submergé par l’émotion. Ce n’est pas le cas. On se demande alors si la forme est à la hauteur du fond.
Elise Levy
Le monstre venu du froid.
Borgman, de Alex Van Waderman
Conte glacial, à la limite du funeste, Borgman, le nouvel objet du cinéaste néerlandais Alex Van Waderman est une œuvre singulière et marquante. Parfait dans la confusion des genres, le long-métrage oscille entre film social et science-fiction, thriller et horror-movie absurde. L’incohérence est volontaire, elle permet d’amuser le téléspectateur mais aussi de débrider son imagination. Ainsi le cinéaste crée devant nos yeux incrédules de spectateurs un petit bijou de maléfice. Qui est cette homme qui visite cette famille ? Est-il un monstre ? Un message philosophique ? Est-il réel ? En introduisant le malsain dans cette famille d’une banlieue cossue, le réalisateur nous donne sa propre critique d’une société bourgeoise étriquée et hypocrite.
Par une mise en scène maitrisée, euphorisante et brillante de mystère, Alex Van Waderman nous interpelle et attise notre curiosité. Ainsi jalonné de scènes marquantes qui resteront dans l’imaginaire du spectateur, Borgman est bien un film dérangeant, déconcertant, drôle, poétique, tout et rien à la fois. Qu’il s’agisse d’un bain , d’un tour dans le lit du couple ou de l’acte sanglant d’une fillette, le bizarre est omniprésent. Chaque moment est un tableau, un dessin. Parce qu’il n’explique rien mais nous donne tout avec un scénario formel et impressionnant, le cinéaste nous montre que le Mal est avant tout un symptôme. Intriguant, il nous permet de réfléchir mais aussi de nous faire découvrir un univers cinématographique aussi maitrisé qu’une composition picturale.
Borgman parle aussi d’exorciser les démons intérieurs, car les interprétations possibles se concentrent sur le Bien, le Mal, la violence mais aussi la force décapante des peurs inconscientes. Le cinéaste devient ainsi psychanalyste, conteur et bien sur marchand de rêves capable de toute les punitions. Dans la lignée de Funny Games de Michael Haneke, Borgman, film inclassable, se montre capable de signifier un malaise et de susciter la compassion. Parce qu’il nous offre une vision du cinéma assez jubilatoire, parfois maladroite mais sincère, cette oeuvre significative est un essai transformé. Un sacré monstre en somme.
Maëva Saint-Albin