Interview de Laurence Bertrand Dorléac – Partie 3/3 : Enjeux du mandat à venir

Suite à la nomination de Laurence Bertrand Dorléac à la présidence de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) le 10 mai dernier, la rédaction de La Péniche a souhaité s’entretenir avec l’historienne de l’art, commissaire d’exposition et professeure à Sciences Po. Dans ce troisième et dernier volet, la Présidente de la FNSP nous détaille ses chantiers pour son mandat à venir.

Madame Bertrand Dorléac a souhaité répondre à nos questions à l’écrit. Après avoir reçu ses réponses, nous avons souhaité prolonger l’entretien avec des questions d’approfondissement, que nous lui avons posées à l’oral lors d’une entrevue et auxquelles elle a souhaité répondre également à l’écrit. Lesdites  questions d’approfondissement ainsi que les réponses correspondantes sont indiquées en italique.
La Péniche : Quelles sont vos priorités ? Quels chantiers vous tiennent à cœur pour votre mandat ? Vous évoquez une envie de créer du lien entre les différentes communautés de Sciences Po : concrètement, comment resserrer ces liens ?

Laurence Bertrand Dorléac : « Procéder à la désignation d’une direction dans les meilleures conditions.

Faire de notre conseil d’administration un lieu d’observation et de délibération vivant et actif. Identifier les sujets qui fâchent et tenter de réparer. Pour les étudiantes et les étudiants, les associer au processus de discussion. De façon générale, encourager la participation des différentes communautés. Faire du lien entre elles. Je pense par exemple aux donateurs et aux donatrices qui ne rencontrent pas forcément celles et ceux dont ils aident les études ou la recherche. Ils ne doivent jamais peser sur le contenu, bien sûr, mais cela n’empêche pas de tisser des liens pour que l’on apprenne à se connaître. 

Du point de vue des grands sujets majeurs à encourager, outre les questions déontologiques déjà abordées, je voudrais encourager les recherches et la diffusion de la recherche en matière d’environnement et de ce qui touche aux nouvelles technologies et à Intelligence artificielle. Ils concernent au plus haut point nos conditions d’existence en démocratie. »

LPN : Dans une interview parue le 10 mai 2021 dans Le Monde, vous déclarez souhaiter une présidence “aux antipodes du vieux Sciences Po.” Comment définir le “nouveau Sciences Po” et diffuser cette image de modernité ?

« Hors de son contexte, cette déclaration sonne faux. En fait, je voulais parler d’un Sciences Po qui n’existe plus depuis longtemps et auquel les médias nous renvoient, tout particulièrement lorsque nous vivons une crise. Il faudrait que les journalistes qui simplifient parfois croisent davantage les sources et viennent s’installer 48h à Sciences Po. Quel que soit le campus, la réalité que nous habitons n’a rien à voir avec la fiction à laquelle on nous associe. L’image que je voudrais voir s’imposer est tout simplement plus réaliste. »

LPN : En mars 2020 une tribune rédigée par des élu.e.s étudiant.e.s était publiée sur le site de La Péniche : ses rédacteur.ice.s reprochaient à la gouvernance de Sciences Po un manque de démocratie, critiquant des conseils (de l’Institut et de la vie étudiante) faisant office de chambres d’enregistrement et une représentativité perfectible au sein du conseil d’administration de la FNSP. Que répondez-vous aux élu.e.s étudiant.e.s qui demandent une réforme profonde de la gouvernance de Sciences Po, qui accorderait notamment une plus grande place à la communauté étudiante ? 

« Pour le conseil de l’Institut, j’ai assisté à une séance où les étudiants et les étudiantes m’ont semblé s’exprimer et voter pleinement. J’ajoute qu’une réforme des statuts — qui a permis aux étudiantes et aux étudiants d’être représentés —,  est une entreprise longue, lourde, complexe, dont nous sortons à peine (2016) et que nombre d’améliorations et de progrès peuvent être accomplis à moins grands frais et avec souvent plus d’efficacité, sans en passer par un décret. Il n’empêche, j’étais récemment invitée par le conseil de la vie étudiante et de la formation et je constate que la revendication existe d’une plus grande participation à la prise de décision. Il faut donc étudier ce qui laisse à désirer car à première vue, les étudiantes et les étudiantes sont très respectés par la direction et les instances même si les conseils sont des lieux paritaires où toutes les communautés de Sciences Po sont également présentes, aucune n’ayant la majorité à elle seule. »

LPN : Le groupe de travail sur les violences sexistes et sexuelles présidé par la sociologue Danièle Hervieu-Léger, mandaté par Bénédicte Durand en février 2021, a publié son rapport en mai dernier. Parmi ses recommandations, trois axes principaux se font jour : un renforcement des dispositifs d’écoute et d’accompagnement des victimes, mais aussi des procédures disciplinaires et une formation accrue sur ces enjeux.  Vous évoquiez des dispositifs qui n’étaient pas suffisamment “professionnels” dans une interview pour France Inter[i] : ces mesures seront-elles suffisantes ?

« J’ai bon espoir que ces mesures changeront la donne considérablement. Le droit impose de la précision dans les bonnes intentions. Nous avions déjà des dispositifs qui allaient dans le bon sens mais il reste à les rendre mieux connus, plus accessibles et finalement plus opérationnels. »

LPN : Également mandaté par Bénédicte Durand, le groupe de travail sur la déontologie, présidé par la conseillère d’État Catherine de Salins, a aussi rendu son rapport. Il en ressort notamment une nécessité de rendre plus accessible l’information sur les règles déontologiques et de clarifier celles-ci. Un travail de sensibilisation est-il ce qui va permettre de diffuser une “culture déontologique” au sein de Sciences Po ?

« J’en suis sûre et nous y travaillons déjà activement avec notre administratrice provisoire. En matière de déontologie et de représentation étudiante, je vais proposer dès la prochaine séance du CA que l’on élargisse la commission dédiée pour qu’elle passe de trois à huit membres au moins. Nous intégrerons un ou une étudiante et des membres extérieurs à Sciences Po. »

LPN : À eux deux, les rapports sur les violences sexistes et sexuelles et sur la déontologie formulent 91 recommandations : comment prévoyez-vous la traduction de ces mesures dans la réalité ? Allez-vous suivre l’ensemble des recommandations et des modalités de mise en œuvre proposées par le groupe de travail ?

« Toutes ces recommandations ne sont pas de la même nature et ne réclament pas toutes des mesures concrètes. Nous allons commencer par l’essentiel et observer attentivement les effets de ces mesures. Si cela ne fonctionne pas bien, nous rectifierons vite pour que cela marche. »

LPN : Le 2 juin dernier, les candidats au Bachelor de Sciences Po ont reçu leurs résultats sur la plateforme Parcoursup : il s’agit de la première promotion issue de la nouvelle procédure d’entrée au Collège universitaire. Quel premier bilan peut-on tirer de cette session ? 

« Il est encore tôt pour dresser le bilan de cette nouvelle procédure mais d’ores et déjà, nous avons reçu deux fois plus de candidatures que l’année dernière. Cette hausse considérable laisse présager une forte diversité des profils des candidats. Ce qui est déjà remarqué, c’est l’excellence des candidates et des candidats. La note moyenne des admis est de 71 sur 80. Quatre épreuves ont été la garantie d’une évaluation poussée. Les 15 000 candidatures ont fait l’objet d’une double évaluation, 800 évaluateurs ont été formés en amont. Les critères avaient été travaillés lors de réunions auxquelles j’ai pu assister et ce long travail contribue à l’équilibre de la procédure. La nouvelle épreuve sur image à laquelle je suis attachée a donné de très bons résultats. Commenter une représentation visuelle permet de convoquer des savoirs, une sensibilité et une intelligence différemment d’un texte. Elle ne se substitue pas au reste, elle le complète. »

LPN : L’année 2021 marque également les vingt ans des Conventions d’Éducation Prioritaire (CEP), anniversaire célébré le 31 mai dernier lors d’une cérémonie en amphithéâtre Boutmy : au-delà des chiffres, que retenez-vous de la procédure CEP ? Que signifie cet anniversaire pour Sciences Po ?

« Comme toutes les institutions vivantes et qui ne se reposent jamais sur leurs lauriers, Sciences Po n’a guère le temps de se pencher sur son histoire. Cet anniversaire avait le mérite de revenir sur cette politique mise en œuvre par Richard Descoings en 2001.  Cette révolution n’avait alors rien d’évident. Il s’est battu avec quelques-uns et quelques-unes. Il a gagné, nous sommes enviés, copiés.

Dans cet esprit, nous préparons le 150e anniversaire de Sciences Po avec un livre qui retracera les grandes étapes de cette aventure et, plus généralement de son histoire. Il y aura des surprises car on ne se connait jamais bien soi-même. Toutes les équipes y contribueront et j’espère aussi les étudiantes et les étudiants. Si vous avez des propositions à faire, elles sont les bienvenues. »

LPN : À ce sujet, Sciences Po présentait en 2019 son projet pour les 150 ans de l’institution. Le Sciences Po de 2022 était présenté selon trois thématiques : l’ouverture, le rassemblement et la transformation.  Pourquoi ces trois thèmes sont-ils importants ?

« Il s’agissait déjà d’ouverture, de rassemblement et de transformation permanente au profit d’une plus grande diversité. Les CEP sont nées de cela aussi mais aussi l’internationalisation dans le respect des différentes cultures. »

Propos recueillis par Elise Ceyral et Sarah Miansoni.

Crédit image : Philippe Chancel, droits réservés.


[i] FRANCE INTER, Laurence Bertrand Dorléac : à Sciences Po, « il faut aller vers une culture du respect entre les personnes », interview de Léa Salamé dans “L’invité de 7h50”. France Inter, 12/05/2021,  [en ligne], URL : https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-12-mai-2021