Hugues Gall, itinéraire d’un passionné
Tout doit être fait avec passion. Les premiers souvenirs d’Hugues Gall sont ceux d’émotions musicales : tout petit déjà il avait la musique dans la peau. C’est autour d’un café que nous nous retrouvons place Vauban afin de jeter un regard sur son passé et qu’il m’en fasse le récit amusé.
Un parcours atypique
Né en 1940 à Honfleur dans le Calvados d’une mère normande et d’un père allemand, Hugues Gall a très tôt été immergé dans le latin, le grec, la philosophie, la littérature, Balzac et Proust. De cet univers familial teinté de cultures germanique et française s’est développée sa passion de la musique et de l’Opéra. Il rejoint Paris après des études en Suisse. Après hypokhâgne et khâgne à Lakanal, il entre à SciencesPo en 1961 ; il a alors 21 ans, et entame parallèlement une licence d’allemand à la Sorbonne.
Les cours à SciencesPo étaient alors organisés en cours magistraux et conférences, dont certaines étaient très courues comme celles de Jacques Rigaud, conseiller d’Etat et futur directeur de cabinet de Jacques Duhamel, ou de Jean Dromer, inspecteur des finances qui fera une carrière considérable dans l’industrie – conférences indispensables pour songer à intégrer l’ENA, un but dont Hugues Gall se disait « totalement indifférent » : il n’a jamais voulu y entrer. Se définissant comme un élève « quelconque », on le disait pourtant « brillant » en raison de son bagage culturel beaucoup plus large que celui de ses camarades.
Il échoue néanmoins à son examen en 1964. Son père est alors « fou furieux », l’examen ne paraissant pas infranchissable. Il recommence donc sa troisième année, interrompue par la mort subite de son père. Signe du destin ou sauvetage par le gong, il reçoit l’aide d’un avocat brillantissime à la carrière politique importante que son père avait eu dans ses affaires et dont il était resté très proche : Edgar Faure. Sa fulgurante carrière professionnelle démarre alors.
L’homme d’Etat le prend sous son aile et l’intègre dans son équipe. Faure devient en 1966 Ministre de l’Agriculture et est chargé de conclure les négociations du Marché Commun Agricole dans un contexte d’active construction européenne. Puis, il devient ministre de l’Education Nationale et confie à Hugues Gall le dossier de la réforme des enseignements artistiques, qui l’a « beaucoup amusé et passionné ». En sont issus les baccalauréats option artistique. D’autre part, hors des conservatoires n’existaient pas d’enseignement des arts dans le cadre de l’enseignement public comme Gall a pu le voir en Suisse. L’université de Vincennes créée après la fermeture de Nanterre à l’été 1968 a servi de terrain d’expérimentation au projet novateur d’Hugues Gall. Mais malgré les importants moyens financiers et politiques, le projet se heurte à une difficulté majeure : impossible d’être professeur d’université sans un doctorat d’esthétique, d’où la difficulté de trouver des enseignants. Beethoven, Picasso ou Fellini n’auraient par exemple jamais pu enseigner – ce qui, entre nous, est un comble.
Il fut ensuite nommé « dans le sens de ses intérêts personnels » par Edmond Michelet, Ministre des Affaires Culturelles, Secrétaire Général de la Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux, regroupant Opéra Comique et Opéra de Paris depuis 1939 : une réforme en profondeur d’un Opéra de Paris en pleine décadence et dont l’existence même faisait débat apparaissait comme une nécessité.
C’est en devenant en 1973 l’adjoint de Rolf Liebermann, administrateur de l’Opéra de Paris, qu’il apprend peu à peu les ficelles du métier qui sera le sien : celui de directeur d’Opéra. En 1980 il est appelé à la direction du Grand Théâtre de Genève où il restera 15 ans puis, en 1995, à la demande du Ministre de la Culture Jacques Toubon il devient directeur de l’Opéra National de Paris (Opéra Garnier et depuis 1989 l’Opéra Bastille) où il restera 9 ans. Il est alors au sommet de sa carrière.
Quel est précisément le rôle d’un directeur d’Opéra ? Je n’en avais absolument aucune idée ! Etre directeur d’opéra c’est d’abord être capable de construire une programmation tant lyrique que chorégraphique, et donc avoir une vision et une politique artistiques sur plusieurs saisons. Il faut donc avoir une véritable passion de la musique mais également une culture musicale et un répertoire très pointus. Une difficile alchimie entre la programmation et le côté novateur de certains programmes doit être assurée par la politique du directeur. Le travail de celui-ci est de rendre acceptable le poids financier de l’opéra par la collectivité : étant une entité extrêmement coûteuse (60% du budget de 160 millions d’euros de l’Opéra est issu de la subvention de l’Etat), il doit jouir d’une véritable légitimité.
Quand on lui demande pourquoi avoir choisi SciencesPo, Hugues Gall n’en a pas une idée très précise, si ce n’est que l’institut était « l’école de tous les possibles », et qu’étant passionné par le service public, c’était la meilleure voie pour « se rapprocher des choses de la Cité et de l’intérêt général ». SciencesPo lui a apporté, outre le contenu des enseignements, « les codes de la société, le langage, la terminologie, le langage des signes de l’ordre public, politique et administratif ». Ces notions permettent de communiquer au sein de l’appareil administratif dans un langage compris de tous. Le sens du service public lui a été instillé « tel un virus », l’essentiel n’étant pas les sensibilités politiques des acteurs mais de veiller à ce que l’Etat soit le plus efficace et le plus juste possible. Hugues Gall a eu la chance de pouvoir entrer très tôt dans l’appareil d’Etat grâce à des circonstances personnelles, « ce qui est généralement le cas dans la vie ». « Il est très amusant de penser qu’à 26 ans, je devais convoquer les directeurs généraux des services vétérinaires de France pour appliquer tel décret du ministère de l’agriculture alors que 6 mois auparavant je loupais le diplôme de SciencesPo ! » m’avoue-t-il, sourire aux lèvres. Sans son passage au 27 rue Saint Guillaume, il lui aurait été impossible de comprendre et de connaître « cette superbe abstraction qu’est l’Etat » dont l’Opéra est une cellule atypique, une corporation de 2000 talents faisant vivre une part essentielle de notre culture.
Nombre de jeunes issus de la bourgeoisie française et d’éminentes lignées de hauts fonctionnaires étudiaient à Sciences Po, créant ainsi une très forte connivence des élites dont Hugues Gall devint à son tour un élément. Dans « ce marigot, on sait qui est qui. C’est utile et comme ça on ne peut pas se raconter d’histoires. Tout le monde se connaît, se retrouve, et cela m’amuse, encore aujourd’hui. » Ses meilleurs souvenirs à Sciences Po sont ainsi le côté « très sympa et chaleureux des rapports entre camarades » qu’il retrouvait au café du coin, le bien-connu Basile ; ainsi que la séance de dédicace se déroulant une fois pas an. Mais c’est du séminaire d’Alfred Grosser, grand spécialiste des relations franco-allemandes qu’il garde le meilleur souvenir. Il y allait avec « soif d’apprendre et grand appétit ».
Il a ainsi utilisé chaque étape de sa vie et de son existence pour faire coïncider sa passion pour les arts de la musique avec sa vie professionnelle, sans avoir « loupé de marche » si ce n’est celle du diplôme. Dès qu’Edgar Faure lui confia sur sa demande le dossier de l’enseignement artistique, le processus était lancé. Hugues Gall a pu conjuguer sa passion avec son job. « Je ne me suis pas ennuyé un moment dans ma vie. J’ai été préoccupé, j’ai eu des tensions, des ennuis – mais jamais d’ennui au singulier. » Une vie passionnée et amusée : peut-être est-ce cela la clé du bonheur.
1961 : entrée à Sciences Po 1969 : Secrétaire Général de la Réunion des Théâtres Lyriques 1980 : Direction du Grand Théâtre de Genève 1995 : Direction de l’Opéra de Paris 18 décembre 2002 : élu membre de l’Académie des Beaux-Arts