Conférence Tous Citoyens: « Pourquoi je n’irai pas voter en 2012 »
Les instituts de sondages ne connaissent pas la crise ; pour s’en apercevoir, il suffit de jeter un coup d’oeil à la Une des grands quotidiens : chaque jour, nous sommes submergés par des vagues de chiffres, par des multiples indices, entre des tendances haussières, baissières et des renversements de situation, le tout auréolé des très saints IFOP, Ipsos, TNS. La fragilité de leurs prévisions qui excitent tant les chroniqueurs masque pourtant une réalité facilement quantifiable : l’abstention. Avant d’être une bataille pour un candidat, les prochaines présidentielles devront être une bataille pour la démocratie. Depuis septembre, l’association Tous Citoyens place la question de la citoyenneté au coeur de l’institut de la rue Saint Guillaume. Elle organisait le jeudi 8 mars sa première conférence sur le thème de l’abstention : «Pourquoi je n’irai pas voter en 2012».
Devant une trentaine d’étudiants fuyant l’agitation fiévreuse du Basile, Claire Schreiber, présidente de l’association, recevait ainsi trois intervenants dont les approches différentes permirent de cerner et d’éclairer ce fléau des vingt dernières années : Razik Metiche de l’association la Balle au Centre (Bobigny), Céline Braconnier, sociologue à l’université de Cergy-Pontoise et co-auteur de La démocratie de l’abstention, ainsi que Claude Dilain, sénateur PS de Seine Saint Denis.
D’après leurs témoignages, l’engouement pour les élections présidentielles de 2007 ne fut qu’une parenthèse. En réalité, depuis, chaque élection est l’occasion de battre un bien triste record : celui de l’abstention. Dans les quartiers populaires, le sentiment d’abandon, l’impression que rien n’a changé malgré les alternances, la défiance envers les politiques ont contribué à la désaffection croissante des électeurs pour la vie politique. Mais comme le rappelle Cécile Braconnier, pour comprendre l’abstention, il faut en analyser les causes structurelles : l’école porte selon elle une responsabilité dans ce désintérêt massif. En effet, l’éducation civique n’est pas assez valorisée dans le système scolaire ; il est possible de quitter l’enseignement secondaire sans les moindres connaissances en ce qui concerne les institutions de la Vème république, les clivages partisans, les enjeux électoraux. Le fort taux d’abstention aux législatives de 2007 serait ainsi en partie dû à la méconnaissance du rôle de l’Assemblée Nationale. Les raisons des réticences des gouvernements à mettre en place une telle « éducation politique » sont fondées : en effet, dès lors que l’on enseigne ce qu’est « la gauche » et ce qu’est « la droite », la question de l’impartialité du professeur se pose.
Une autre variable du vote mise en lumière par les intervenants est l’importance du « leader d’opinion ». Souvent politisé, impliqué dans la vie associative du quartier, disposant d’un tissu social très dense, le « leader d’opinion » peut inciter les autres à s’inscrire sur les listes électorales et à aller voter. Cette dynamique d’entrainement joue un rôle fondamental dans le déplacement aux urnes ; c’est pourquoi les lentes démilitantisation et désyndicalisation des habitants de ces quartiers ont joué dans leur dépolitisation. En réponse à cela, des associations, notamment Tous Citoyens, ont mené des campagnes d’informations et d’inscriptions sur les listes électorales. Mais si le porte-à-porte a fait ses preuves outre-atlantique, son impact en Gaule reste pour l’instant incertain : c’est avec une larme à l’oeil qu’il faut souligner que cette étude est prise en charge par un ancien de la maison, aujourd’hui doctorant en économie au MIT (Vincent Pons) et dont Tous Citoyens constituait le bras empirique.
Ainsi, l’abstention, nourrie de malaise actuel et de dépolitisation structurelle constitue l’un des dangers majeurs de nos démocraties modernes. Chaudement applaudis, les intervenants avertirent, en guise de conclusion, qu’à ne s’intéresser qu’à la température de l’eau, on en oublie la tempête.