Cérémonie du baccalauréat : une vie derrière soi
L’élève de première année à Sciences Po oublie bien vite que sa boite mail puisse recueillir des informations autres que les newsletters du BDE ou les sondages en tout genre. Pourtant, il lui faut bien se rendre à l’évidence : le mail qu’il a sous les yeux ne concerne en aucun cas une conférence donnée par l’ancien ministre géorgien des affaires étrangères mais bien la cérémonie de remise du bac donnée par son lycée. Le bac ! Le lycée ! Bon sang de bonsoir ! Il faut se livrer à un exercice de réminiscence extrême pour visualiser à peu près de quoi il s’agit. Mais c’est bon, l’étudiant s’est remis les idées en place et se dit qu’après tout, cette idée de remise du bac n’est pas mauvaise et qu’on va y trouver un certain plaisir. A quoi sert-elle? Elle sert majoritairement à revoir des visages connus dont on avait oublié le potentiel comique, à se retrouver nez à nez avec des individus dans lesquels on n’avait franchement plus envie de déceler un potentiel comique, et à se sentir bien, dans une atmosphère de pré-adolescence perdue et d’enfance presque retrouvée.
Une page de l’Histoire qui se tourne
La remise du bac signe la fin complète des grandes années de notre vie qui sont allées de la sixième à la terminale. Cette fois-ci, c’est bien fini, nous dit implicitement le beau diplôme si rare du baccalauréat. Finis les cours d’arts plastiques de 16 heures à 17 heures dans une salle surchauffée, les extraits des « Dessous des Cartes » en histoire, les goûters à répétition à partir du 5 juin, les photos de classe que l’on montre à ses parents. L’ancien élève fait ses adieux à la scène, à toutes ses blagues immatures au collège, et à tous ces moments où il s’est dit, en riant, qu’il était quand même très immature au collège. Il s’en va, comme Lucky Luke vers le soleil couchant, sauf que Jolly Jumper a disparu et qu’il ne peut compter que sur son pauvre diplôme et sur un verre de Fanta Leader Price pour lui remonter le moral.
Il faut effectivement rappeler que ces trois heures appelées pompeusement « cérémonie » sont marquées par une organisation qui ferait pâlir d’envie l’administration de Sciences Po. Tout y est ! Chaises en bois avec de belles pensées inscrites dessus telles « Marseille enculés », « bite » ou « fais une croix si tu t’ennuies ». Tiens, c’est drôle, un certain nombre de croix ont déjà été gravées. Le directeur a un micro qui ne fonctionne pas, et personne n’arrive à se décider quant à la classe qui recevra son diplôme en premier. Pour arroser la soirée comme il se doit, les gobelets en plastique dignes de nos plus grands anniversaires sont de la partie, remplis de boissons consensuelles mais non-alcoolisées, il ne faut pas non plus exagérer. Le cake aux olives de la prof d’espagnol a été massacré par un étudiant en informatique qui a apparemment perdu l’habitude d’utiliser des couteaux, et tout le monde doit donc se rabattre dans l’allégresse la plus totale vers une table accueillant chips, bretzels et noix de cajous en tous genres. Finissons cette description en précisant qu’évidemment, la remise solennelle de notre « passeport pour l’enseignement supérieur » se fait dans le somptueux gymnase qui abrite généralement roulades, poiriers et matchs de ping-pong, ce qui est la preuve d’un certain standing qui n’a tout de même rien à voir avec l’amphi Boutmy !
Coquillettes, thermodynamique et « richesse de la vie étudiante »
Au milieu de ce paradis d’organisation dont la gestion a sûrement été confiée à la personne le moins à même d’organiser un évènement de cet acabit, tous les protagonistes cherchent la meilleure attitude à adopter. Le rôle le plus délicat revient indéniablement aux profs. Ils ont déjà oublié la moitié des prénoms, et il est difficile de se trouver une contenance crédible quand l’étudiant qui fait face au prof de philo lui parle de sa passion pour la biochimie. Ils ont déconseillé à la plupart de leurs élèves d’être dans la filière dans laquelle ils étudient aujourd’hui, et doivent donc se montrer beau joueur quand on leur apporte sur un plateau la preuve de leur manque d’influence. Les anciens élèves déambulent dans la plus grande confusion.
Le statut de l’étudiant de Sciences Po est un peu à part : il est temps de faire preuve d’un minimum de prétention arrogante en parlant d’un air profond de la qualité de l’enseignement, de la richesse de la vie étudiante, de l’ouverture d’esprit de ses ( nouveaux ) pairs ; enfin bref, de déblatérer une dernière fois le contenu de sa lettre de motivation. Ensuite, à chacun de se forger son attitude : les étudiants de fac n’y vont plus et prennent un air nonchalant, ceux qui sont partis dans une autre ville et qui ont pu venir parlent de leurs premiers plats de coquillettes, ceux qui sont dans des écoles se retrouvent dans la certitude que la sienne est infiniment meilleure que celle du voisin, ceux qui sont en prépa parlent de cours avec leurs anciens profs et arborent des cernes remarquables, et enfin ceux qui sont en PACES ne sont pas là, trop occupés par l’apprentissage ligne par ligne d’un bouquin de thermodynamique.
L’heure des adieux arrive cependant bien trop vite, car il est nécessaire que le gymnase retrouve sa disposition traditionnelle pour le cours d’acrosport du lendemain matin. Les mains se serrent, les joues se croisent pour les dernières minutes communes de gens qui ne se reverront sans doute jamais, mais dont le souvenir sur les anciennes photos de classe illuminera les soirées, dans vingt ans. Le lycée ferme ses portes, enfermant le dernier endroit où pouvaient se côtoyer un fan de programmation et une lectrice de Bukowski, une passionnée de la relativité d’Einstein et un spécialiste des régimes totalitaires. Le lycée, ultime étape de l’enfance, époque des différences rapprochées par des rires et des jeux, nous dit adieu et nous laisse, notre gobelet en plastique à la main, pas tout à fait prêt pour affronter tout ce qui va suivre.