Cédric Villani, un homme de science pour Paris?

Il aura fallu attendre décembre pour que l’arène accueille un gladiateur. Mercredi soir, le Grand Oral a investi l’amphithéâtre Émile Boutmy afin d’y recevoir son premier invité de l’année. Ce dernier n’était autre que Cédric Villani, mathématicien, député LREM et candidat dissident à la mairie de Paris. Deux heures durant, le lauréat de la médaille Fields s’est confronté à des étudiants soucieux de connaître ses projets pour la capitale. Et même s’il bénéficia d’une absence de contradicteur, Villani dût s’employer pour convaincre un auditoire qui, s’il semblait séduit par le flegme bienveillant de l’invité, demeurait partagé au moment d’approuver ses orientations politiques. Retour sur un Grand Oral durant lequel Cédric Villani tenta, en bon scientifique, de résoudre les inconnues liées à son programme.

La démocratie athénienne pour modèle

On retiendra surtout que l’adversaire de Benjamin Griveaux entend « réconcilier la politique et la science » et mettre l’accent sur la « démocratie participative ». Sur ce point précis, Cédric Villani souhaite se distinguer de ses opposants grâce à l’instauration d’un certain nombre de mécanismes. Parmi eux, on peut citer « l’agora citoyenne », assemblée constituée de 163 membres dont la vocation serait de se « réunir huit à dix fois par an » pour déterminer les principales problématiques à inscrire à l’ordre du jour du Conseil de Paris.

Le candidat souhaite également désigner 10% des membres de ses listes d’arrondissement au moyen d’un tirage au sort. Ce modèle, au même titre que celui de l’agora, est inspiré d’une démocratie athénienne pour laquelle Cédric Villani revendique son admiration : « C’est le système le plus représentatif que l’on puisse imaginer. »Le mathématicien ne fait pas mystère de sa volonté de rassembler au-delà des clivages partisans traditionnels, dans une démarche qui, selon son propre aveu, s’apparente à celle menée par Emmanuel Macron en 2017.

Une équipe affranchie de la Macronie

Pourtant, c’est bel et bien en tant que « candidat libre » que le député de l’Essonne s’est lancé dans cette course à l’Hôtel de Ville. Privé du soutien d’une partie de l’intelligentsia macroniste, Cédric Villani est allé chercher des colistiers au sein de la société civile. Dressant une liste non exhaustive de ses adjuvants, Villani évoque notamment Pierre Henry, directeur général de l’association France Terre d’Asile, Géraud Guibert, fondateur de la Fabrique Écologique, mais aussi les comités de soutien portant sa candidature, parmi lesquels on retrouve « Génération Villani », mouvement fédérant la « jeunesse qui soutient Cédric Villani ».

C’est donc en compagnie d’un équipage hétérogène que celui qui déclare « n’avoir d’action politique qu’au travers de ses militants » désire remporter les dix-sept élections municipales organisées à Paris en mars 2020 (une élection unique pour les 4 premiers arrondissements et des élections séparées pour les 16 arrondissements restants, ndlr ). En attendant le dénouement de la bataille électorale, le mathématicien mène une campagne que l’on pourrait qualifier d’intense. Arpentant la capitale à la rencontre des électeurs, Villani admet avoir laissé la recherche et l’enseignement de côté : « La vie politique mange tout votre temps. »

Cédric Villani, libéral à deux vitesses

L’ambition du candidat est de rompre avec l’image persistante du politique apathique, inerte, assoupi dans l’hémicycle de l’Assemblée Nationale. Cédric Villani, qui décrit la campagne comme un « test », aime se dépeindre en citoyen ordinaire : il affirme emprunter la ligne 13 de façon quotidienne, et confesse avoir été un amateur de « pogos » durant ses années estudiantines. L’élève est aujourd’hui devenu enseignant, et cela se sent dans son attitude sur scène. Lorsque Cédric Villani s’exprime, le ton employé est didactique, professoral. Interrogé quant à la très controversée réforme des retraites, il prend le temps de détailler ses grilles de lecture, ouvertement libérales sur ce sujet : « Le système actuel est un frein à la mobilité. (…) Ce qui est important pour moi, c’est qu’il y ait un changement systémique, que l’on passe d’une formule à une formule différente »

Libéral, Villani ne l’est plus au-delà d’un certain point. En témoigne sa réponse au sujet des suppressions de postes dans la fonction publique. « Je ne suis pas un dogmatique de l’externalisation » déclare celui qui entend « lutter contre la souffrance au travail » et « faire progresser le service public ». Il souhaite par ailleurs augmenter les dépenses de la commune dans des secteurs ciblés, au premier rang desquels figure la protection de l’environnement. Face à des étudiants concernés par le changement climatique, le candidat dissident a promis qu’il « consacrerait 5 milliards d’euros à la transition écologique » en cas d’élection. « Le budget pour l’écologie va augmenter, il sera le double de celui de la mandature précédente »

Oui, mais pour faire quoi ? Parmi les propositions-phare de Villani, on retrouve l’accélération de la « décarbonisation » du bilan énergétique de la capitale. Concrètement, cela passe par la promotion de sources d’énergie propres telles que l’hydrogène, cher au mathématicien. Le député de l’Essonne désire également « préserver à tout prix » les espaces verts face à la bétonisation, améliorer l’isolation thermique des logements parisiens, étendre le réseau de pistes cyclables et mettre en œuvre un « plan d’équipement » visant à pourvoir la commune en infrastructures « vertes ». Avec une ligne de mire : les Jeux Olympiques 2024. Regrettant que les Parisiens n’aient pas été consultés au sujet de l’organisation de cet événement, Cédric Villani fait toutefois preuve de lucidité : « Il faut les faire, et cela nous donne une échéance à laquelle il aura fallu rendre un visage accueillant à la capitale. »

« La politique doit se marier avec la science »

On l’aura compris ; le candidat dissident à la mairie de Paris entend donner la parole à ses électeurs. Il affirme à ce titre être favorable à « un seuil moins élevé en ce qui concerne le référendum d’initiative partagée ». Des mots prononcés fort à-propos, alors même que le projet de RIP sur la privatisation d’Aéroports de Paris vient de franchir le cap du million de soutiens. « Consultation » et « diagnostic » furent les maîtres-mots d’un intervenant qui désire « marier la politique et la science », répondant aux problèmes rencontrés par les Parisiens au moyen d’outils scientifiques. Sans, pour autant, faire fi de la dimension sociale qu’implique la gestion d’une municipalité de trois millions d’habitants. « Nous avons beaucoup de progrès à faire, notamment en ce qui concerne l’humanité avec laquelle nous prenons le problème en charge » concède-t-il lorsqu’une étudiante réfugiée l’interpelle quant à la condition des demandeurs d’asile vivant dans la capitale.

Comment apporter, à l’heure de l’intelligence artificielle, des réponses adaptées à ces problématiques éminemment humaines ? Tel est le principal défi auquel sera confronté Cédric Villani s’il troque son iconique broche araignée pour une écharpe tricolore. Les Parisiens seront fixés le 22 mars prochain, à l’issue du second tour des élections municipales. Dans l’intervalle, le « candidat baroque » poursuit ses pérégrinations à travers la Ville-Lumière. Et le verdict, qui tombera dans quatre mois, dira si la démarche électorale du plus scientifique des marcheurs était, en fin de compte, un calcul gagnant.

Le fonctionnement des élections municipales à Paris vous échappe ? Pas de panique, voici un résumé rapide :

À Paris, l’organisation des élections municipales est régie par la loi PLM (Paris-Lyon-Marseille) datant de 1982. Le principe est le suivant : chaque électeur vote dans son arrondissement de résidence, choisissant une liste parmi celles qui briguent la mairie d’arrondissement. Les listes gagnantes obtiennent des conseillers de Paris (leur nombre varie selon la taille et la démographie de l’arrondissement). Le rôle de ces conseillers est, ici, similaire à celui des « grands électeurs » américains. Après leur élection, ils se réunissent au sein d’un conseil municipal et procèdent à l’élection du maire de Paris. Ce dernier est donc élu à la majorité des « grands électeurs » du Conseil de Paris.

Photo : Marine Wolf