Au nom de la transition écologique, le géant français de l’énergie EDF viole les droits des communautés indigènes au Mexique

Retour sur la conférence « Colonialisme vert et transition énergétique : la face cachée du renouvelable » du 1er octobre 2021 tenue à Sciences Po

C’est début octobre au 13 rue de l’Université que s’achève pour Andrea Manzo, Norberto Altamirano Zarate et Josefa, venus de l’Isthme de Tehuantepec (Mexique) pour l’occasion, un cycle de conférence d’un mois visant à dénoncer les agissement d’EDF sur leurs terres. C’est dans cette même démarche qu’a été créé par de jeunes français.e.s le collectif Stop EDF Mexique, présent ce soir là pour assurer la traduction de l’espagnol vers le français. Cette conférence est organisée par le syndicat Solidaires Etudiant.e.s Sciences Po, le Collectif Villes et Décroissance et PAVéS. 

« La malédiction du vent » : multiplication des parcs éoliens dans l’Isthme de Tehuantepec

Situé au sud du Mexique dans l’Etat d’Oxaca, l’Isthme de Tehuantepec habité par des populations indigènes mexicaines (Zapotèques, Huaves, Mestizos), attise la convoitise de nombreuses entreprises étrangères. Originaire du village Union Hidalgo, une des intervenantes parle de la « malédiction du vent », un attrait pourtant aux yeux de nombreuses sociétés privées qui y ont installé des parcs éoliens. Seuls deux appartiennent à la Comision Federal de Electricidad (CFE), donc au Mexique. Tous les autres sont détenus par des entreprises étrangères telles que Vestas (Danemark), Iberdrola, Gamesa, Gas Fenosa et Acciona (Espagne), Enel Green Power (Italie), et enfin EDF pour la France. Si un peu plus de 2000 éoliennes ont déjà été installées sur le territoire, la compagnie française EDF porte depuis 2016 le projet Gunaa Sicaru (signifiant « jolie femme ») visant à créer un parc éolien de plus.

Le paradoxe d’une énergie renouvelable pas si verte

L’argument de la transition écologique est constamment mis en avant par ces sociétés privées du nord économique qui à l’instar d’EDF monopolisent des milliers d’hectares dans des pays du sud pour y installer des parcs éoliens. Pourtant, l’énergie produite participe à la destruction de l’écosystème

Tout d’abord, les parcs éoliens entretiennent un lien très fort avec l’extractivisme minier. Non seulement, une partie de l’énergie créée sert à alimenter l’extractivisme menant à la déforestation des terres indigènes et un accès à l’eau plus difficile ; mais la construction d’éolienne nécessitant ces mêmes matériaux augmente la demande en minerais (zinc, cuivres…etc). Comme un cycle sans fin…

À cela s’ajoute la question de la répartition de l’énergie, très inégale et participant au surtout au green-washing de multinationales polluantes. Centralisée par de grandes entreprises comme le géant américain Walmart ou sa version mexicaine Bimbo, l’énergie ne bénéficie pas aux populations locales, qui d’ailleurs ont un besoin en énergie assez peu élevé. Plus largement, la question des besoins en énergie mérite d’être soulevée. En effet pour une véritable transition écologique, il faudra nécessairement revoir les consommations à la baisse, nous dit-on. 

Accaparement des terres et violation des droits des populations indigènes

Le Land Grabbing ou accaparement des terres renvoie au « processus d’acquisition ou de jouissance de terres à des fins principalement agricoles mais pas seulement dans un contexte d’économie mondialisé ». [1]Du nord vers le sud pour une écrasante majorité, ces investissements privés ou publics gagnent depuis la crise alimentaire mondiale de 2008 en ampleur et en vitesse. L’Afrique représente la moitié des terres accaparées, 10% se trouvent en Amérique latine. On distingue au Mexique trois statuts juridiques de propriété de la terre : privé, public ou social. La propriété sociale, aux mains de la communauté se divise entre comunidades et ejidos (peut être parcellisée). La réforme constitutionnelle de 1992 rend possible la commercialisation de parcelles de terres, allant à l’encontre du caractère social de cette propriété. Représentant une grande partie des terres mexicaines, les terres collectives bénéficient d’un statut historique puisqu’existant avant la colonisation. Aujourd’hui c’est un conflit juridique qui oppose Etat mexicain et populations indigènes sur la question de la propriété de ces terres, vendues par l’Etat mexicain à des entreprises étrangères. Mais comment peut-on vendre ce qui ne nous appartient pas ? Derrière le conflit juridique se pose la question des valeurs qui s’entrechoquent : à l’exploitation des terres pour l’enrichissement personnel on y oppose une autre conception du rapport à la nature « Servir la terre plutôt que de s’en servir ». 

Résistances 

Face à l’arrivée d’entreprises étrangères aux activités écocides sur leurs terres, les communautés indigènes se mobilisent pour résister. Une résistance qui ne va pas sans une augmentation des violences contre les populations. Pour l’instant la lutte est surtout juridique, en témoigne la plainte lancée contre EDF le 13 octobre 2020. Si en octobre 2018 un tribunal fédéral mexicain avait ordonné à EDF de lancer un processus de consultation de la population, ce dernier est vécu par les communautés locales avant tout comme un instrument de légitimation de plus plutôt qu’une véritable discussion. 

Virés de l’amphithéâtre Jean Moulin par un appariteur peu courtois qui interrompt les invités sans les laisser terminer leur phrase,après quelques protestations, tout le monde se retrouve un peu sonné devant le 13 rue de l’Université. On nous demande rapidement de circuler. Peu après, alors qu’un cercle s’est finalement reformé un peu plus loin pour au moins se dire au revoir, Norberto nous confie « La façon dont ça s’est passé avec l’appariteur, le peu de respect avec lequel il nous traite, ça m’a un peu rappelé la manière dont se passent les consultations d’EDF au Mexique. » De quoi être fier.

Crédit image : ©Emilio Labrador, Waiting for El Tehuano Winds


[1] Géoconfluences, Glossaire, ENS Lyon