L’Indép’, l’hebdo disparu de la rue St Guillaume

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Source : david-colon.fr

.Alors que la population mondiale venait tout juste de franchir le cap des cinq milliards d’habitants, que Macgyver devenait LA série incontournable du moment et que Joe le Taxi déferlait sur toutes les ondes radios,  l’année 1987 voyait aussi naître à SciencesPo le journal étudiant historique de notre école qu’est « L’Indépendant de la rue Saint-Guillaume ».

Mardi 26 août, rendez-vous était donc pris avec David Colon (que l’on ne présente plus), l’ancien directeur de publication du journal, pour parler de cet Indépendant aujourd’hui disparu. L’occasion de nous plonger dans le SciencesPo des années 90 à travers photos (en noir et blanc, s’il vous plaît), archives et anecdotes inédites.

 

L’Indép’, un souffle nouveau sur le 27

L’Indépendant de la Rue Saint-Guillaume. En sept mots, voilà comment treize étudiants de SciencesPo baptisent l’hebdomadaire qui voit le jour à la rentrée 1987. Dans l’Institut d’Etudes Politiques de Paris des années 90, où la communication entre la direction et les étudiants n’était pas optimale, l’Indépendant s’est d’emblée posé comme la nouvelle mais aussi unique source d’informations à la destination des étudiants de SciencesPo.

Editorial du directeur de publication, sujets au cœur de la vie étudiante, agenda, tribunes libres à l’usage des lecteurs et citations de professeurs – de préférence avec lapsus – c’est sur ce credo que « l’Indép » a fidélisé des lecteurs toujours plus assidus. Fort d’un tirage hebdomadaire s’élevant entre 400 et 500 exemplaires avec un étudiant lecteur sur trois, l’Indépendant pouvait se prévaloir d’occuper une place clé au coeur du SciencesPo des eighties.

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L’ennemi public numéro 1 de la direction

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Caricature d’Alain Lancelot parue lors du 200ème numéro du journal

Mais loin de se cantonner à sa fonction purement informative qui avait largement justifié le choix de sa création, le journal n’a cessé durant son existence de se distinguer par ses papiers très critiques vis à vis de la direction, au gré des différentes lignes éditoriales. « Selon la personnalité du directeur de publication on se prenait plus ou moins au sérieux » affirme David Colon à ce sujet.

Il faut par ailleurs garder en mémoire que cet hebdomadaire de deux pages vendu 2 francs tous les mercredi matins en péniche voit le jour dans un SciencesPo tout autre. Alors sous la direction de Alain Lancelot, l’IEP de Paris était le sanctuaire du « guindé » où l’ouverture internationale était « mal vue ». Dans ces circonstances, difficile pour un journal étudiant d’évoluer sereinement et de transgresser les lignes du politiquement correct que la direction s’efforce de délimiter.

Des dessins humoristiques dont Alain Lancelot était le protagoniste de prédilection aux enquêtes sur la direction – gestion du budget, rapports de force au sein de la hiérarchie – ajouté au fait que très vite, d’anciens rédacteurs de l’Indépendant devenus journalistes reprenaient des articles du journal étudiant dans leurs propres parutions, l’hebdomadaire est vite devenu un des tourments de la direction.

David Colon, directeur de la publication de 1994 à 1995 nous confie à ce propos : « Lancelot me convoquait chaque jour. Toutes les publications devaient être remises à l’administration ». Ainsi, chaque mercredi, une copie de l’Indépendant était soigneusement déposée sur le bureau de la secrétaire du directeur. Et comme une vieille rengaine, chaque mercredi, David Colon, voyait au loin cette même secrétaire chargée de l’accompagner à sa convocation chez Monsieur le Directeur.

Mais loin de n’agacer que l’administration, l’Indépendant irritait particulièrement les syndicats de l’époque qui n’ont pas manqué d’être virulents à son encontre. A l’origine, l’étiquette d’indépendant clairement revendiquée aussi bien dans son intitulé que dans ses articles – les rédacteurs encartés dans des partis politiques ou dans des syndicats étaient interdits – était suspectée de n’être qu’un subterfuge pour occulter la nature réelle de l’hebdomadaire : « un organe de l’administration », nous explique David Colon. Le syndicat étudiant Sud (l’ancêtre de Solidaires) a même un temps publié une parodie de l’hebdomadaire si joliment intitulée « L’Indépendant des chiottes ».

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Plus qu’un journal, un organe de mobilisation

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Source : david-colon.fr

Mais au-delà du contenu éditorial à proprement parler, l’Indépendant de la Rue St Guillaume s’est aussi avéré être un véritable organe de mobilisation des sciencepistes. En janvier 1995, les étudiants de SciencesPo votèrent la grève générale et occupèrent trois nuits de suite les locaux de l’école suite à une action soutenue par l’hebdomadaire.

La direction avait en effet annoncé sa décision de supprimer le complément de bourse d’étude alloué par l’IEP et de le remplacer par des prêts bancaires. L’hebdomadaire va alors contribuer à une redoutable mobilisation. Durant cette semaine particulière, l’Indép devient un quotidien certes synonyme de nuits blanches pour ses rédacteurs mais aussi de tirages records. Efforts récompensés car le projet sera finalement abandonné par l’administration. Soldé par un succès, ce mouvement  n’a sans doute pas manqué de ternir les relations déjà électriques entre la hiérarchie et le journal.

Si l’Indépendant est parvenu à épargner les poches de ses étudiants lecteurs, il n’a pas manqué non plus de s’atteler à préserver leur havre de paix post-cours, le Basile pour les habitués. Sur le point de se faire racheter par un magasin de vêtements, le journal s’est mobilisé. Résultat, une lettre à Édouard Balladur plus tard, le dossier s’est retrouvé sur la pile du Ministère de la Culture lequel a sorti le Basile de la faillite.

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La mort de l’Indépendant, une institution dans l’institution

L’année 1998 sonne le glas de l’hebdomadaire. Après avoir tenté de transformer l’hebdomadaire en mensuel, le succès n’est tout de même plus au rendez-vous. Selon David Colon, la recette n’a plus fonctionné pour deux motifs principaux. La première trouve sa raison d’être dans ce qui avait justifié dès le départ la création du journal : « la rareté de l’information ». L’année 1995 annonce en effet à SciencesPo de nouveaux horizons avec la mise en service d’une connexion internet, et plus tard de la création d’un outil informatif, sciencespoinfo. La seconde raison, sur laquelle David Colon insiste car cruciale selon lui, tient à « la personnalité de Richard Descoings (arrivé aux commandes de l’IEP en 1996, nldr) tout à fait différente de celle de son prédecesseur ». « Bienveillant à l’égard des initiatives étudiantes », le ton contestataire de l’hebdomadaire n’avait de facto plus lieu d’être.

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David Colon, ancien directeur de la publication de l’Indépendant

« Grand quotidien de la désinformation » pour reprendre la formule de Richard Descoings, même si étudiant, le journal de l’Indépendant avait déjà tout d’un grand. Longévité extraordinaire pour un journal à SciencesPo, régularité de la publication, et plumes devenues plus tard des grands noms du journalisme – à l’instar de Pascale Krief ou de David Abiker – l’hebdomadaire a même été salué dans les tribunes de Libération pour la qualité de ses articles et son professionnalisme. Quoi qu’il en soit, l’Indépendant de la Rue Saint-Guillaume – dont les archives ont même trouvé leur place à la Bibliothèque de France – reste la référence en terme de journalisme étudiant à SciencesPo.

Mais que tous les nostalgiques de « l’indép » sèchent leurs larmes car si l’aventure appartient bel et bien au passé, il sommeille un peu partout de l’âme du journal : dans la cafet du 27 où l’équipe éditoriale se réunissait, à la librairie tenue par Nicole et Jeannette où les votes de la rédaction étaient organisés, mais aussi peut-être – et c’est David Colon qui le mentionne – dans notre journal. Lecteur fréquent de nos colonnes, il relève que les articles de Lapéniche « ressemblent à ce que l’on pouvait faire : de la dérision vis à vis des professeurs, de l’administration », avant d’ajouter, « … et vis à vis de moi-même : ce n’est pas désagréable ». À bon entendeur !