« Le 11 septembre 2001 j’ai cru à une invasion extraterrestre »
A l’occasion du onzième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, LaPeniche entame une série inédite de témoignages décalés sur les grandes dates qui ont fait l’Histoire, intitulée « J’étais à SciencesPo quand c’est arrivé ». Pour cette première, nous sommes allés à la rencontre de Nicolas Degand, haut-fonctionnaire au ministère du travail et Christophe Dansette, journaliste à France 24.
Nicolas Degand préparait un Master en commerce international à Sciences Po lorsque le mardi 11 septembre 2001, la vague d’attaques terroristes que l’on connaît ébranla l’Amérique et laissa le monde entier estomaqué. Alors qu’il s’apprêtait à partir en 3eme année à Berlin, Christophe Dansette a vu comment « dix ans d’espoir d’une paix éternelle »partaient en fumée. Aujourd’hui respectivement « responsable des postes informatiques» au ministère du travail et journaliste audiovisuel au sein de la rédaction de France 24, les deux hommes ont accepté de revenir sur cette journée funeste où le sort du XXIème siècle a basculé.
Les premières heures d’effroi
L’hypothèse d’une attaque extraterrestre
C’est dans une petite salle cossue du ministère du travail, situé au beau milieu du XVème arrondissement, que nous reçoit le sympathique Nicolas Degand. Pendant plus d’une demi-heure, il va nous dévoiler les détails croustillants de son improbable « 9/11 ».
Agé de 21 ans au moment des faits, le jeune étudiant effectuait un stage obligatoire dans la société de consulting Cedar. « Ce sinistre mardi de septembre 2001, je vaquais à mes occupations quand j’ai décidé d’aller faire un tour sur le site de Libé, pour voir quelle était l’actualité bouillante du moment » raconte-t-il, visiblement ému, « je ne savais pas encore que les Etats-Unis vivaient les heures les plus sombres de leur histoire. » Il dit se souvenir comme si c’était hier de cette « ‘Une’ bâclée, pondue sous forme de dépêche de 3-4 lignes par la rédaction web du quotidien, à travers laquelle on nous informait de manière quasi laconique que deux avions de ligne s’étaient crashés sur les Tour Jumelles, le World Trade Center. »
Abasourdi, l’étudiant passionné par les relations internationales qu’il est tente d’en savoir plus, de dénicher un maximum d’infos pertinentes, sans succès. Il se heurte à « la saturation du réseau internet ». « Les sites ne répondaient pas, c’était presque irréel » explique-t-il. « Pendant la première heure, j’ai échaudé toute sorte d’hypothèses, allant du début de la 3ème Guerre Mondiale à une invasion extraterrestre. Croulant sous les rumeurs infondées qui se propageaient telle une trainée de poudre, mes collègues ne savaient plus à quel saint se vouer. Bref, je ressentais un mélange d’excitation, d’inquiétude et surtout d’incertitude. »
« J’allais entamer mon périple Berlinois »
Diplômé du Master « Management des medias et journalisme », cursus aujourd’hui disparu, Christophe Dansette fréquentait avec assiduité le Basile lors de sa scolarité a Sciences Po. C’est dans ce bar hype aux confins de la rue Saint-Guillaume que nous l’avons rencontré, pour un entretien riche en anecdotes.
« Le drame s’est produit la veille de mon départ à Berlin, où je devais passer ma 3A. Evidemment, il fallait régler tout un tas de soucis logistiques majeurs, notamment celui du logement. » se remémore le journaliste généraliste. « Avec un ami qui partait aussi outre-rhin, on était en quête d’un appartement et multipliait les recherches sur le net. Aux alentours de 14 heures, ma mère fait irruption dans ma chambre, pour m’annoncer la terrible nouvelle : un avion de ligne venait de s’écraser accidentellement sur un gratte-ciel de Manhattan. » Mais, obnubilé par les préparatifs de son année à l’étranger, Christophe Dansette ne prend pas immédiatement conscience de l’ampleur des évènements. Ce n’est qu’un quart d’heure plus tard que le futur reporter comprend que le sort du XXIème siècle vient de chavirer. « Quand ma mère me prévient qu’un second avion s’est crashé, cela n’a fait qu’un tour dans ma tête. Il s’agit d’un attentat, d’une attaque terroriste sans précédent. Je me rue sur la télévision et prend le direct de LCI, qui diffusait sans discontinuer les images bouleversantes d’une Amérique défigurée. C’était l’un des premiers gros « direct » de la télévision française… » Il y a 11 ans jour pour jour, la manière de traiter l’information vivait également un énorme chamboulement.
Une effervescence paroxystique
Des avions de chasse survolent Paris
Ce mardi là, Nicolas Degand n’est pas au bout de ses surprises. « Aux alentours de 17 heures, quand des avions de chasse pénètrent dans l’espace aérien parisien, fait extrêmement rare –les autorités craignaient un ‘effet domino’, c’est a dire que les terroristes aient d’autres équipes prêtes a agir- l’effervescence atteint alors son paroxysme et je décide de regagner mon domicile pour visionner les images à la télévision. Quand j’arrive chez moi, les grandes chaînes venaient d’entamer leur fameux marathon, 24h de direct non stop. TF1 diffusait en boucle des images d’un Manhattan en émoi, France 2 d’un Pentagone qui partait en fumée, France 3 de pompiers héroïques…Un scénario a la croisée du dramatique et de l’apocalyptique. Je prenais progressivement conscience de l’ampleur des évènements, les extraterrestres laissaient inexorablement la place aux kamikazes surentrainés d’Al-Quaeda. »
Scotché devant son poste, le futur fonctionnaire hallucine littéralement, secoué par ces images d’une rare violence diffusées à des heures de grande écoute. L’inimaginable devient réalité, le XXIème siècle s’enlise de manière inattendue dans l’horreur. « Les chaines généralistes ont totalement chamboulé leurs programmes. Après le JT présenté par PPDA , TF1 devait passer la célèbre série américaine « Urgences » avant de biensûr la déprogrammer
« Tout le monde en parlait »
Vers 17 heures, Christophe Dansette se voit lui dans l’obligation de quitter le domicile familial. « J’avais un rendez-vous avec une copine. Apres s’être promené un petit peu, on décide de se poser autour d’un verre. Au moment où l’on pénètre à l’intérieur du bar choisi, la première tour du World Trade Centrer s’effondre. Tout le monde était bouche bée, même le barman regardait la télé et les passants médusés s’arrêtaient net pour voire les images de l’irréel. Lorsque on a repris notre balade, on entendait tous les gens qui ne parlaient que de ca. En réalité, c’était bel et bien l’unique sujet de conversation dans les rues parisiennes. » décrit notre interlocuteur, avec une précision d’orfèvre.
L’évènement vu de Sciences Po*
Des amis sous le choc
« Le lendemain des attentats j’ai joint au téléphone plusieurs copains également étudiants à Sciences Po, tous étaient sous le choc. » révèle Nicolas Degand. « Même si dans ma bande de potes certains affectionnaient l’humour noir et tentaient drolatiquement de détendre l’atmosphère, il n’empêche qu’on commençait déjà à cerner la portée géopolitique exacte de ces attaques terroristes. Et bien sûr elle ne s’annonçait guère reluisante, les conséquences directes s ‘en ressentent aujourd’hui encore »
Dix ans d’espoirs réduits à néant
« Je dois avouer que je n’avais pas particulièrement envie de parler des attaques avec mes amis de Sciences Po, j’étais plus dans une démarche personnelle et citoyenne que de communication. » concède Christophe Dansette. « Pour moi, le 11 septembre a marqué la fin de dix années de naïveté et réduit à néant les espoirs d’une paix éternelle, illusion forgée par la pacification des relations entre le bloc occidental et le bloc soviétique. La criminalité avance aussi vite que la technologie et malgré tous les systèmes de sécurité mis en place, un attentat type 11 septembre reste dans le domaine du possible. »
Quelques mois après le drame, Nicolas Degand et Christophe Dansette sont revenus arpenter les couloirs du 27 rue Saint-Guillaume. Aujourd’hui, leur constat est identique: « Les enseignants faisaient déjà du 11 septembre un élément structurant de leurs cours. » Eux-aussi avaient compris que désormais, rien ne serait plus jamais comme avant.
* En 2001, les cours à Sciences Po ne reprenaient que mi-septembre. Le mardi des attentats, la rentrée n’avait pas encore eu lieu.