Etienne Wasmer : portrait
Pour compléter le projet d’interview de tous les grands professeurs de Sciences Po, voici celle d’Etienne Wasmer, connu de tous pour être l’auteur du manuel de microéconomie dont tous les 1A doivent se munir – cet objet d’angoisse profonde -, mais pas que. Lumière sur le parcours de ce spécialiste de l’économie du travail et du logement.
Quel a été votre parcours avant d’enseigner à Sciences-Po ? Qu’est-ce qui vous y a mené ?
Je suis tombé dans l’économie durant mes études à Polytechnique. Avec deux brillants professeurs, François Bourguignon et Daniel Cohen, j’ai travaillé sur le développement et l’économie du travail. Puis j’ai effectué ma thèse à la London School of economics sous la direction de Christopher Pissarides, prix Nobel en 2010. C’est un travail qui m’a beaucoup plu. Puis j’ai entrepris un parcours international : La Suède, la Belgique, le Canada… Et en 2006, on m’a choisi pour enseigner à Sciences Po.
Hormis l’enseignement à Sciences-Po, quelles activités rythment votre vie ?
Les recherches, beaucoup de recherches, et notamment à l’étranger. J’étais à Stanford au mois d’août, à Boston en juillet… C’est ma grande activité, presque ma principale. Je dirige aussi le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP), assez fédérateur puisqu’il traite des politiques publiques et permet d’employer des sociologues, des juristes, des politistes… Je supervise aussi des thèses en doctorat et je siège au Conseil d’Analyses Economique auprès du Premier ministre. J’ai donc plusieurs casquettes, celles-ci sont les principales.
Qu’est-ce qui vous plait/vous déplait dans l’enseignement à Sciences Po ?
Ce qui me plait, c’est que mon enseignement concerne tous les bouts de la chaîne. Avec les élèves de première année, on doit réfléchir sur notre discipline. J’enseigne aussi au niveau du doctorat et je suis confronté à des gens brillants, c’est particulièrement enrichissant. Et le fait d’avoir avant Sciences Po dirigé des études doctorales en économie me permet de tourner les cours de première année vers cette optique.
Rien ne me déplait, la logistique est excellente, tout comme l’organisation. La seule chose qui pourrait me déplaire c’est qu’il n’y ait que 12 séances de cours de microéconomie. Il en aurait fallu 13,14… (rires) Je vous annonce d’ailleurs la venue d’un invité surprise à la fin du semestre !
Vos spécialités sont l’économie du travail et du logement, pourquoi ?
Ces deux sujets sont identiques puisqu’ils concernent un marché frictionnel. On est en présence de logements vacants, tandis que certains en recherchent. Et c’est pareil avec l’économie du travail. Les mécanismes sont parallèles dans ces deux grands sujets sociaux. Ce sont deux domaines où l’Etat intervient beaucoup, et à mon avis très mal. Ces sujets touchent le quotidien des gens, ils sont en relation directe avec les grands décideurs.
Prenons un élève de première année qui sort d’une filière L sans spécialité maths, comment lui expliquer tous les principes économiques mathématiques que vous abordez dans vos cours ?
Il y a plusieurs façons d’aborder un sujet, dont la manière mathématique. Ca n’est pas suffisant, mais ça fait gagner du temps dans la modélisation. On peut raisonner de manière littéraire, mais cela demande plus de rigueur, c’est donc plus difficile.
Et à l’examen, les notes ne se différencient pas en fonction des filières suivies au lycée. Il faut être persistant.
Vous avez donc l’air manifestement attiré par les maths, à en juger par les milliers de formules dans vos cours magistraux, qui effraient la plupart des sciences-pistes… Pourquoi tant de haine ?
La manière mathématique est une façon parmi d’autres de raisonner. On a toujours réussi à laisser un trimestre aux gens pour s’habituer à cette manière de faire. Il faut dépasser cette angoisse. Et puis, vous serez fiers que tout le monde sache qu’on fait de l’économie quantitative à Sciences Po
Un conseil à donner à nos chers et nouveaux 1A pour réussir cette année en économie ?
Il faut continuer comme les camarades des années précédentes : regarder l’intuition avant la méthodologie. Cette année, l’illustration porte sur les politiques publiques, ce sont des briques qui servent pour raisonner, comme un langage universel. Plus concrètement, prenez les éléments les plus passionnants de tous vos cours, économie comme histoire ou droit, pour mieux décrypter l’actualité.
Revenons sur un fait d’actualité, la réforme des retraites du gouvernement Ayrault. Qu’avez-vous à dire sur cette mesure ? Qu’en pensez-vous ?
Je ne l’ai pas regardé suffisamment attentivement, mais avec l’allongement de la durée de vie, l’allongement de la cotisation est logique. Cette mesure va dans le bon sens. Mais cette réforme doit être progressive, il faut faire preuve de pédagogie, ce que les dirigeants politiques de droite comme de gauche font beaucoup trop peu.
Maintenant, passons au calcul du coût d’opportunité d’un élève : vaut-il mieux qu’il aille au Week-end d’intégration ou qu’il reste chez lui à étudier ?
Il faut y aller, le coût d’opportunité du WEI est faible. Il faut savoir se vider l’esprit, et ce genre d’évènement fait partie des meilleurs souvenirs de Sciences Po. Je vais moi-même samedi soir faire une soirée chez un collègue ! (rires)
Pour terminer, la Péniche.net a demandé aux lecteurs du journal de vous poser une question : « Quel rapport entretenez-vous avec les élèves puisque vous êtes réputé pour communiquer beaucoup avec eux ? Une nouvelle manière d’aborder l’amphithéâtre, voire de se faire pardonner pour ces difficiles cours magistraux ?»
En toute franchise, les réseaux sociaux m’ont fait découvrir que les sept promotions que j’ai connues se ressemblent peu. Ces dernières années, les étudiants sont plus détendus et ouverts sur le monde que les toutes premières promotions, et je pense que c’est parce que les réseaux sociaux sont passés par la. Certains de mes collègues considèrent toujours les réseaux sociaux comme un outil, mais c’est devenu un mode de vie – que mes enfants sont en train de découvrir. J’ai donc transformé mon blog en page Facebook. Je ne sais pas si je communique, mais je partage des articles, des idées, des agacements. Ca n’est pas une façon de se faire pardonner, mais une façon de percevoir la vie du campus.