Beauté fatale : quand les femmes ne sont plus que de beaux objets !

« Don’t you know that a man being rich is like a girl being pretty ? You wouldn’t marry a girl just because she’s pretty, but my goodness, doesn’t it help ? » affirmait la croqueuse de diamants Lorelei, interprétée par la fameuse actrice américaine, blonde et voluptueuse, Marylin Monroe, dans le film réalisé par Howard Hawks dans le milieu des 50’s : Gentlemen prefer Blondes.

Bien heureusement cette iconique citation fait aujourd’hui grincer les dents de tous, nous pouvons en tout cas l’espérer. Le mouvement féministe des années 60 et 70 a évidemment fait bouger les lignes au sein des sociétés occidentales : la femme est entrée sur le marché du travail, elle peut légalement recourir à la pilule contraceptive et connaît une ascension sociale et économique. Ainsi, il semblerait que Lorelei dans Gentlemen prefer Blondes aurait aujourd’hui tout faux. Tout d’abord, puisque les femmes ne sont plus soumises à l’injonction sociale de se marier à un bon parti, autrement dit à un homme plein aux as capable de l’entretenir. En effet, depuis la « libération de la femme », cette dernière peut très bien s’en sortir seule. On peut alors citer la très célèbre interview de la chanteuse Cher qui déclarait en 1996 au micro de Jane Pauley « I am a rich man« . Autre dimension de la citation tirée du film d’Howard Hawks qui semble aujourd’hui totalement anachronique : l’idée que la valeur d’une femme se réduit à son apparence physique. La femme fait des études, elle travaille et a réussi à intégrer des sphères professionnelles alors exclusivement réservées aux hommes : son physique est donc aujourd’hui loin d’être son atout principal.

Néanmoins, il suffit de lire l’ouvrage Beauté fatale de Mona Chollet pour se rendre compte que, si la pression sociale qui force la femme à n’être que belle n’est plus aussi assumée qu’auparavant, elle continue de faire rage. En 2012, la journaliste et essayiste suisse Mona Chollet, publie cet essai qui souhaite rendre compte du poids du culte de la beauté imposé aux femmes. Mona Chollet est l’une des voix les plus importantes dans la littérature contemporaine féministe et une des critiques les plus virulentes de la société occidentale patriarcale. Dans Beauté fatale, publié aux Editions de la Découverte, l’essayiste souhaite démontrer les mécanismes de cette injonction à la beauté, de cette pression qui contraint les femmes à n’être qu’apparence.

Avec beaucoup d’humour, elle nous pousse à une brutale prise de conscience des mécanismes intériorisés et presque invisibles de nos sociétés patriarcales. Mona Chollet feuillette Elle et Voici, elle regarde Gossip Girl ou les films publicitaires de Dior, et nous démontre très justement que la femme, si elle a connu une certaine libération, reste, encore et toujours, limitée à son physique, peut-être plus encore qu’avant le mouvement féministe des 60’s. Effectivement, l’auteure parle d’un phénomène de « backlash« , c’est-à-dire d’une vengeance de la société patriarcale sur la femme qui a su faire tomber les barrières qui lui étaient imposées, en travaillant ou par l’usage de la contraception. Inconsciemment, comme pour s’excuser, les femmes, se seraient alors soumises aux normes de beauté toujours plus extrêmes imposées par les hommes.

À titre d’exemple, Mona Chollet évoque évidemment la problématique de plus en plus répandue de l’anorexie. Elle souligne que cette pathologie mentale répond à l’idéal de la femme enfant, fragile, silencieuse et invisible. En effet, comme le montre la philosophe anglaise Heather Widdows dans son ouvrage Perfect Me : Beauty as an Ethical Ideal sorti en 2018, l’idéal de beauté n’est plus seulement généralisé et homogène, mais tend à devenir pratiquement impossible à suivre, notamment en ce qui concerne la minceur ou la jeunesse qui se veut presque éternelle. On se souvient alors de la fameuse scène du miroir magique dans l’adaptation de Blanche Neige par Disney : la méchante reine demande « Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite ?« , ce dernier répond alors que bien que sa majesté soit absolument splendide, sa belle-fille de 20 ans de moins, à la peau blanche comme la neige est encore plus belle qu’elle. Cette volonté d’homogénéisation du beau et de la femme idéale renvoie donc également à la question du racisme. Ce n’est plus simplement une beauté homogène au sens d’identique, mais au sens de l’étymologie grecque, c’est-à-dire de « même race ». La belle femme ne peut donc être que blonde, aux yeux bleus et à la peau blanche. Certes, on compte quelques exceptions, des femmes noires ou asiatiques qui ont réussi a décrocher une couverture Vogue ou un rôle dans un film, mais cela demeure rare et souvent instrumentalisé comme outil marketing.

Il est très intéressant de voir que l’essayiste réhabilite la « culture pop » ou la culture de masse comme objet scientifique. Depuis longtemps, les sociologues américains utilisent les séries, les magazines ou le cinéma comme sources dans leurs études. En France, nous avons tendance à discréditer la culture populaire, la considérant comme impropre à l’étude scientifique sérieuse. Néanmoins, Mona Chollet a brillamment montré en quoi cette culture, constamment tiraillée entre logique créatrice et logique mercantile, regorge d’informations sociologiques. Par ailleurs, la culture populaire est par définition celle qui est proche du peuple, proche de nous. Sans que l’on ne puisse véritablement en prendre conscience, elle nous influence et nous impose les codes sociaux. C’est donc d’autant plus frappant de lire Beauté fatale que l’auteure critique des séries que nous avons vues, des films que nous avons adorés et des magazines qu’il nous arrive de feuilleter.

Ainsi, Mona Chollet décrypte avec pertinence, ironie et animosité notre culture occidentale de masse. L’hebdomadaire Elle en prend pour son grade et est décrit comme l’un des grands mensonges du journalisme féminin. En effet, alors qu’il se présente comme la lecture qui fait du bien aux femmes, qui les rassure et les aide, il participe à l’enfermement de celles-ci dans leur rôle de bel objet. De plus, l’essayiste souligne la débilité des articles qui sont renfermés dans les pages de papier glacé ; elle écrit notamment « À l’hiver 1933, on parie que l’événement le plus retentissant de l’actualité mondiale aurait été [pour Elle] le grand retour de la petite moustache bien taillée« . Le cinéma n’est pas épargné puisqu’il est décrit comme « un fantasme d’homme » par l’homme, pour l’homme. En creux, on discerne une critique de notre société de consommation dominée par un marketing absurde, dont la soumission de la femme n’est qu’un des aspects les plus déplaisants.

Finalement, Beauté fatale nous pousse à nous questionner : vouloir être belle est-ce donc un acte anti-féministe ? Mona Chollet tente de répondre de manière exhaustive à la question en évoquant la lutte féministe, déchirée entre le choix de rejeter cette culture « mode-beauté » vue comme un ramassis de stéréotypes ou celui de la revendiquer pour la réhabiliter comme légitime. Elle affirme pencher pour cette seconde option affirmant « il n’y a aucun mal à vouloir être belle, mais il serait peut-être temps de reconnaître qu’il n’y a aucun mal non plus à vouloir être« .

Néanmoins, Beauté fatale, ne cherche pas à répondre à cette question à votre place. Mona Chollet partage son avis, l’argumente, mais surtout vous donne les cartes pour trouver la réponse qui vous est propre. Elle décrypte toutes ces petites choses que l’on ne voit plus, elle rit de toutes les incohérences que nous avons intériorisées, elle s’indigne de tout cela et nous invite à prendre part au débat.

Crédit image : ©DeuxPlusQuatre, CC BY-SA 4.0