Recrutement: Jérôme Remeur, Associé chez Mac Allister

En tant qu’associé au sein du cabinet de recrutement Mac Allister, Jérôme Remeur nous fait part de sa perception du profil Sciences Po.

Mac Allister est un cabinet d’experts en recrutement spécialisé, cofondé en 2002 par trois associés et comportant aujourd’hui une trentaine de consultants. Mac Allister se focalise sur cinq métiers en particulier : finance et RH ; audit et conseil ; industrie et logistique ; nouvelles technologies ; marketing.

Pouvez-vous m’expliquer le fonctionnement d’un cabinet de recrutement et votre façon de procéder en tant que recruteur ?

Un cabinet de recrutement représente pour une entreprise un maillon de son recrutement interne. Prenons l’exemple d’Alstom : ce Groupe se fixe comme objectif d’être performant dans le recrutement d’ingénieurs et surtout dans celui de juniors. Toutefois, son service RH n’a pas forcément la capacité de dénicher les profils idéaux. Soit les profils qu’Alstom recherche travaillent pour la concurrence ou à l’international, soit Alstom recherche des compétences autres que celles d’ingénieur, plus atypiques pour l’entreprise, et ne sait pas où les trouver. C’est dans ces cas précis que les entreprises externalisent le recrutement et en délèguent la responsabilité à des cabinets comme le nôtre. Ces cabinets de recrutement ne représentent pas une concurrence pour les services RH des entreprises, mais davantage une solution pour elles lorsqu’il leur est nécessaire d’externaliser.

Ainsi, quand une entreprise fait appel à un cabinet de recrutement comme le nôtre elle externalise totalement son recrutement. Nous réalisons un travail en deux temps : d’abord un travail de « sourcing » et d’identification, puis une phase de « screening ». Concrètement, nous procédons par étapes : après avoir rencontré le client, formulé avec lui son besoin et l’avoir informé des procédés sur le marché, nous élaborons un cahier des charges du profil idéal ciblé. Puis nous cherchons sur le marché et dans différentes organisations la personne répondant aux critères de notre client. Une fois trouvée, nous la rencontrons et la «challengeons». À l’issue de ce processus, nous retenons un ou plusieurs profils et les soumettons à notre client, qui vérifie ensuite qu’il(s) correspond(ent) bien au cahier des charges fixé.

Notre cabinet dispose également d’un vivier de CV, qui fait office de base de données interne. Cela nous permet de suivre les profils intéressants et de les garder dans notre « écurie ».

Quelle image avez-vous du profil Sciences Po ?

Sciences Po offre à ses étudiants un bon parcours académique. On analyse plusieurs choses chez ce type de profil :

1) On peut préjuger que le Sciences Po est un profil intéressant, puisqu’il a suivi une formation élitiste et a, par conséquent, développé une certaine notion de la réussite.

2) Cependant, Sciences Po comme unique formation semble un peu léger. Si l’école a pour vocation de former des profils généralistes, je pense que le développement de la spécialisation en Master est une initiative excellente.

3) Le Sciences Po a reçu une bonne éducation. Cela ne signifie pas qu’il provient d’un milieu bourgeois ou fortuné, mais plutôt d’un milieu intellectuel, moins « business » et « cash-maker » que celui des Écoles de commerce. Les Sciences Po me semblent être davantage en interaction avec le milieu dans lequel ils vivent que concernés pas l’argent.

4) Enfin, le Sciences Po est un excellent « cadre d’altitude », c’est-à-dire qu’il a une compréhension certaine des grands enjeux, mais qu’au quotidien dans son milieu professionnel il n’est pas l’élément le plus « percutant ».

Personnellement, j’aime beaucoup cette formation, mais en l’occurrence, la seule critique qu’on peut lui faire est son côté généraliste. Le Sciences Po n’est pas suffisamment opérationnel. Il faut être capable de se vendre auprès d’une entreprise en lui proposant un profil spécifique et des compétences, afin d’être créateur de valeur.

Sciences Po devrait sans doute être une école recrutant davantage de profils Seniors cherchant à élargir leurs horizons pour se « dé-spécialiser ».

Avez-vous développé des préjugés -positifs ou négatifs- sur le Sciences Po ?

Mes préjugés sont plutôt positifs. Quand on rencontre un Sciences Po, on en attend beaucoup, plus que de la part d’un ingénieur. J’ai envie que le Sciences Po me pose des questions -les bonnes- et sache me renvoyer la balle avec aisance.

Qu’est-ce qui fait la différence chez un Sciences Po ?

Chez le Sciences Po Junior (25 ans environ), on recherche une intelligence de situation, une compréhension de l’environnement, une intelligence humaine. On attend de lui qu’il pose les bonnes questions (mais non qu’il donne forcément les bonnes réponses). Je n’aime pas beaucoup les gens scolaires et préfère ceux qui font preuve de curiosité et d’envie. A priori, ce sont des qualités très « Sciences Po ». Nous apprécions les personnes qui n’ont pas peur du contact, ont des idées et savent les défendre, sont en mesure de comprendre celles des autres et éventuellement d’y adhérer. Nous cherchons des personnes qui ont et défendent une posture.

Comment positionnez-vous le Sciences Po par rapport à la concurrence ?

Très clairement, le Sciences Po ne décrochera jamais un job d’ingénieur. Aujourd’hui en France, c’est l’industrie (Alstom, Areva…) et les boîtes intelligentes qui sont les plus performantes. Ces domaines très techniques sont adaptés aux profils des ingénieurs, caste très différente de celle des Sciences Po. Mais si la France est un pays d’ingénieurs, elle est également un pays d’intellectuels ; en revanche, pas tellement de banquiers ni de financiers.

Il n’est pas simple de positionner le Sciences Po. On sait surtout ce que les Sciences Po ne sont pas (ni des ingénieurs ni des financiers). J’orienterais davantage un Sciences Po vers les sciences humaines : ils sont plus proches de l’Homme que des technologies et ont besoin d’interaction.

Cependant, quand nous recrutons pour le compte de tiers, il est vrai que nous faisons davantage appel à des profils École de commerce qu’à des Sciences Po.

Démarchez-vous beaucoup de diplômés de Sciences Po ?

Non. Nous nous intéressons beaucoup plus au « track record » de l’individu ayant de dix à quinze ans d’expérience professionnelle. Globalement, nous prêtons davantage attention aux « achievements » de la personne qu’à son cursus académique. Celui-ci est secondaire, bien qu’en général parcours académique et professionnel soient corrélés.

À quels postes destinez-vous ou recrutez-vous a priori les Sciences Po ?

Plutôt aux grosses entreprises. Nous en destinons beaucoup à l’audit (Ernst & Young), mais très peu à l’industrie ou l’informatique. Nous en recommandons aussi quelques uns dans les nouvelles technologies, dans des start-up telles que Price Minister ou Facebook : nous aimons bien les positionner sur des postes de stratégie ou sur des business models qui ne sont pas encore avérés. En RH enfin, nous en recrutons beaucoup.

Souvent, lorsque nous prenons des Sciences Po, ils ne sont plus juniors et ont déjà gagné en expérience. Nous recrutons à des niveaux de rémunération avoisinant les 100 000 euro annuels, ce qui équivaut à minimum cinq-sept ans d’expérience.

Nous recherchons avant tout des profils « successful », à savoir des personnes ayant un parcours académique de haut niveau, un développement professionnel rapide, capables de faire valoir leurs idées auprès d’un Directeur Général sans appréhension. Bref, des personnes qui savent faire et savent le faire savoir (ce que nous appelons le « savoir faire » et le « faire savoir »). Nous recrutons des gens lucides, cohérents, qui ont confiance en eux, courageux et sachant nager en eaux troubles, c’est-à-dire ont une réelle intelligence de situation. En revanche, notez que l’arrogance est loin d’être un atout mais plutôt le signe d’un manque d’intelligence.

Avez-vous eu des retours de la part des entreprises pour le compte desquelles vous avez recruté des Sciences Po ?

Les feedbacks ont toujours été positifs.

Nous n’avons connu aucun cas de période d’essai non concluante avec un Sciences Po. Ce sont des personnes capables d’avoir un vrai avis, de faire le bon choix (de carrière en l’occurrence) et qui ne se laissent pas berner.

On note que leur progression dans l’entreprise est plutôt bonne. Cependant, les Sciences Po restent plus longtemps en poste que les autres. Peut-être parce qu’il n’y a pas d’erreur de casting quand ils prennent un poste, ce qui favorise la longévité. Ou alors pour des raisons de diplomatie : peut-être ont-ils du talent mais savent-ils moins le valoriser…

 »Quels seraient vos conseils pour un Sciences Po ? Comment se valoriser en tant que Sciences Po ? »

Plusieurs choses :


1) Savoir bien s’entourer est essentiel
2) Avant d’entrer sur le marché de l’emploi, il est fondamental pour un Sciences Po de réfléchir au type d’entreprise qu’il vise et à la posture qu’il souhaite adopter. C’est important de savoir où l’on veut aller. Puisque vous êtes des généralistes, vous ne devez pas hésiter à rencontrer des professionnels du recrutement qui pourraient vous conseiller et vous aider à déterminer un angle, une envie, et à exclure les organisations dans lesquelles vous ne souhaitez pas vous orienter. Tâchez de vous spécialiser au maximum sur un secteur

3) Cherchez également à ne pas vous mettre dans la file, tentez de sortir des rangs pour devenir exceptionnels. Ne cultivez pas la différence pour la différence, mais sachez prendre des risques –mesurés- en fonction de l’objectif que vous visez.

Illustration: Lesjeudis.com