Une potiche mais certainement pas une cruche!

affiche-du-film-potiche-10328531uibut.jpgIl y a des films qui sont plus intéressants que leur campagne marketing ne le ferait penser. Potiche en fait partie. Les affiches de Lucchini ou Deneuve « post-ités » depuis quelques semaines vous ont sûrement intrigués. La bande-annonce vous fait penser à une énième comédie française au scénario banal, cliché et bancal, du type Les Petits Mouchoirs ? Au secours, un nouveau Bienvenue chez les Ch’tis version féministe? Et bien détrompez-vous, jeunes science-pistes qui considérez en public que les comédies françaises ne sont bonnes que pour satisfaire une population avide de divertissement de type TF1-TF2-TF3.

Potiche est en effet bien plus sophistiqué que l’on s’y attend, et ce dû à l’habileté de François Ozon, à la performance de Fabrice Lucchini et de Catherine Deneuve. Les clichés sont presque toujours habilement exagérés et tournés en dérision par Ozon, sans pour autant qu’il ne s’y enferme ni ne franchisse généralement la limite du grotesque et du déjà-vu.

Deneuve montre une nouvelle fois ses ressources exceptionnelles en faisant évoluer le personnage de Suzanne Pujol de la potiche bourgeoise à celle de la directrice d’entreprise maternaliste. Lucchini régale en misogyne réactionnaire, dont les répliques sont toujours empruntes d’un cynisme violemment hilarant. Gérard Depardieu convainc avec une sensibilité doublée d’un communisme bourru et un peu endormi. Karin Viard est d’une grande justesse en secrétaire victime à-demi consentante du patron, révolutionnée par le vent féministe, tandis que la prétendue femme moderne, incarnée par une Judith Godrèche au brushing époustouflant, se révèle être soumise sous son image de cinglante réac comme Papa. Enfin le fils blondinet étudiant à Sciences Po, Jérémie Reinier, portrait craché de Cloclo, réserve finalement assez peu de surprises contrairement à ce que l’on pense au premier abord mais complète de façon amusante le schéma familial.

Potiche moque adroitement autant le machisme que le féminisme, les renvoyant finalement dos à dos. Les premières minutes du film déclenchent une avalanche de bons sentiments à mourir de rire, de « kikou » habilement ridiculisé : la bourgeoise Catherine Deneuve en survêtement rouge seventies fait son jogging, s’émerveille devant la beauté de la nature, parle aux animaux et écrit des pastiches à l’eau de rose qu’elle nomme « poèmes ». Suit soudainement le cynisme gonflé et tyrannique de son mari : la transition est caustique.

Potiche est une adaptation d’une pièce de théâtre et cela ce sent. On a souvent l’impression d’une pièce de théâtre filmée, tant le jeu des acteurs est mis en valeur. Le film a le sens du spectacle permanent.

La quasi-totalité des scènes est à lire à différents degrés, notamment à travers le prisme politique actuel, bien que les références certes décapantes ne soient pas toujours caractérisées par leur légèreté. L’inattendue richesse du film est sans aucun doute son regard distancié sur l’époque, ainsi renforcé par une dose d’anachronisme ironique, dont la relecture est encore plus intéressante après le conflit social de l’automne.

Heureusement, la fibre nostalgique des années 70 n’est pas utilisée à outrance : tout est parfaitement orchestré pour coller parfaitement tantôt au cliché, tantôt au pittoresque. On ne peut que contempler à quel point Michèle Torr et les Bee Gees s’accordent avec les constructions capillaires des personnages féminins, les pulls en laine bariolés, le téléphone familial habillé de cuir et le papier peint à grosses fleurs jaunes. Mais sont aussi présents dans cette symphonie vintage et ambigüe la loi Weil, le communisme et la revendication ouvrière, un petit clin d’œil à l’homosexualité, et surtout la représentation et place de la femme, « une potiche, mais certainement pas une cruche ».

La femme en Deneuve accumule la sympathie du spectateur au cours du film (elle porte tous ses bijoux et son vison pour rencontrer ses ouvriers, après tout « c’est bien à eux que je les dois ! »). Mais cette femme fait soudain peur. L’arrêt final sur le blanc immaculé de Deneuve accentue encore la dérive matrimoniale d’un pouvoir féminin, Royal par de nombreux aspects.

Foncez donc vous complaire de la finesse du regard d’Ozon et de son ironie très juste, parfois dérangeante, laissant au final un sentiment d’étrangeté. Une sorte de Mad Men de la France des seventies.

4 Comments

  • Libération des femmes

    « Loi Weil ».

    Ou comment prendre l’académicienne pour la philosophe.

    Je ne traite pas l’auteur d’inculte, par respect pour son travail.

  • Chach

    « Une énième comédie française au scénario banal, cliché et bancal, du type Les Petits Mouchoirs « 
    MERCI, j’en avais ras-la-touffe d’entendre dire du bien de cette merde phénoménale qu’est le film de Canet…