Tryad, ou comment la « musique libre » vient chatouiller vos tympans

C’est l’histoire de trois accros de la musique, adoptes du Web intensif, qui se sont lancés dans un projet aussi improbable qu’innovant : créer un groupe par Internet. Ce qui n’était à l’origine que le projet fou de trois autodidactes anglo-saxons arrive aujourd’hui à maturité : à l’heure de présenter son 3° album, Tryad élargit son aura par-delà les océans. De ce fait ils réalisent déjà un exploit, mais ce n’est pas tout. Leur musique est libre, quiconque le souhaite peut la télécharger en toute légalité, le groupe n’en retire délibérément aucun revenu. Tryad est à l’art d’Euterpe ce que Linux est à l’informatique : une révolution. Récit d’un exploit collectif…

La musique, si elle ne peut pas être réinventée, parvient encore à nous réserver quelques surprises. De bien mauvaises, si l’on s’arrête à ce que peuvent nous présenter non-exhaustivement TF1 et M6, d’excellentes si l’on creuse plus profondément à la recherche de la perle rare qui parvient à innover, à créer. Tryad est l’une d’entre elles.

C’est en janvier 2005 que trois jeunes musiciens, vav, rjmarshall et John Holowach se rencontrent par le plus grand des hasards sur Internet : John Holowach découvre sur le site Internet de rjmarshall des musiques libres de droits que ce dernier a réalisées. Souhaitant y ajouter sa touche personnelle, il remixe ces musiques et les poste sur son propre site. A l’issue de ce processus, vav ajoute une voix sur ces mélodies : Tryad, le premier groupe trip-hop par Internet, est né. Rapidement, les trois membres originels vont s’entourer d’une série de musiciens, tous recrutés sur Internet par candidatures spontanées, conduisant le groupe à compter aujourd’hui une vingtaine de membres.

Dès le 3 octobre 2005, Tryad – aussi écrit t r y ^ d ou t r y Δ d – publie son premier album Public Domain, composé de 17 titres originaux. Une performance, si l’on considère le temps normalement nécessaire à un groupe avant de réaliser un album. Mais l’aura du groupe n’est encore que trop limitée, et l’album ne connaît qu’un faible succès malgré la mise à disposition sur de nombreux sites de téléchargement légal tels que Jamendo ou Frostclick.com. Quelques rares journalistes musicaux saluent la publication de l’album, mais la notoriété est encore trop faible. En effet, publiant leur musique de manière « libre », ils ne bénéficient d’aucune promotion organisée et doivent construire pas à pas leur succès. C’est ainsi qu’un peu plus d’un an après Public Domain, Tryad dévoile en septembre 2006 son deuxième opus, Listen. Plus travaillé, réorienté vers des sons plus pop, l’album révèle le groupe au public amateur. Ce qui n’était qu’un petit point dans l’univers musical s’est soudainement révélé être le porte-drapeau de la nouvelle génération « musique libre ». Un clip est même réalisé (et interprété) par des membre du groupe sur Breathe, une piste du deuxième album. Tryad devient rapidement le groupe #1 des téléchargements sur Jamendo, où les plus fans s’évertuent même à décourager ce téléchargement et proposer l’achat de l’album aux internautes. En effet Tryad propose également ses albums à la vente sur CD Baby, tout en poursuivant sa politique de libre téléchargement et échange des fichiers comme en témoigne cet appel daté du 14 juillet 2007 please feel free to copy and share our music as much as you like. (Tryad). D’après les membres du groupe, la vente ne servirait qu’à couvrir les frais (conséquents) de la réalisation de chacun des albums. Un troisième opus, pré-intitulé t ^ 3, devrait très prochainement voir le jour, l’ensemble des membres y travaillant actuellement avec acharnement. Un troisième album que l’on espère plus épanoui encore que ses deux prédécesseurs, permettant alors définitivement d’asseoir Tryad dans le fauteuil de groupe confirmé.

Cependant, si le groupe est en train de se « faire un nom », il ne faut pas oublier qu’il possède deux particularités qu’il convient parfois d’analyser comme des inconvénients. L’originalité de Tryad, en-dehors du fait de s’inspirer à la fois de Portishead, Depeche Mode ou Beethoven, réside tout d’abord dans le fait que, puisque le groupe s’est constitué sur Internet et continue à vivre par ce biais, ses membres viennent de tous les coins du monde. Si l’on se base uniquement sur les fondateurs, vav est Hawaïen et rjmarshall vient de Grande-Bretagne. Et la diversité géographique s’est affermie au fur et à mesure de l’élargissement du nombre de membres. La plupart d’entre-eux ne se sont jamais rencontrés, et n’ont de contact que via la Toile. En ce sens Tryad est une sorte de groupe « virtuel », sans existence physique, dont seules les productions permettent de vérifier l’existence. Ou, en retournant l’argument, une innovation mondiale à tous les sens du terme…

La seconde particularité qui distingue Tryad des groupes « conventionnels » est le choix qu’ils ont fait de se baser sur de la musique « libre ». Comme décrit dans Intro (aka, The Samplist), le premier titre de Public Domain, ce choix est délibéré. Si ce choix semble assez « nouveau », c’est parce qu’il se base sur un procédé récent : les licences Creative Commons. Ces licences ont été créées le 16 décembre 2002, elles reposent sur 4 conditions possibles, dont une est indispensable : la paternité, en d’autres termes l’utilisation libre de l’oeuvre à condition de citer son auteur. Ces licences, insérées ou adaptées au droit des Etats, ont permis à des groupes tels que Tryad de faire évoluer la musique vers une plus grande liberté d’utilisation ou de modification. En d’autres termes, les musiques licenciées Creative Commons sont à la musique dite commerciale ce que Linux est à Windows ou Mac. En espérant suivre un chemin moins cahotique que leurs homologues informatiques…

6 Comments

  • auslander

    Super!!! Je viens de découvrir ce son via une vidéo youtube! J’adhère totalement à cette façon de faire de la musique, c’est génial je trouve de pouvoir s’enrichir (culturellement parlant) autant par internet!!! Dommage il n’y aura jamais de concert… vraiment dommage…

  • chriscrosoft

    depuis que j ai ecouter ce son et surtout les chants, je n ecoute plus que çà, je fais meme des video avec ce son derriere, moi je vous dis bravo et comtinuer comme çà, en esperant avoir la chance de vous connaitre plus

  • Olivier

    Oui ça existait déjà, mais c’est le concept de licences Creative Commons qui apporte une nouveauté – même s’il n’a évidemment pas été conçu par ni réalisé pour Tryad. J’ai surtout insisté sur ce groupe parce qu’il est une réussite du système informatique en cumulant musique libre et groupe ne se connaissant finalement même pas.
    Et puis mon goût très prononcé pour ce groupe a joué très largement dans le choix 😉

  • fred

    Je connaissais pas du tout ce groupe. C’est vraiment original, je vais écouter ce que ca donne.
    Par contre, le fait de laisser sa propre musique "libre", c’est-à-dire en téléchargement légal n’a rien de révolutionaire, The Brian Jonestown Massacre le fait depuis plusieurs années depuis leur propre site internet. Ils n’ont signé avec aucun major pour garder cette liberté de diffusion de la musique, et ‘to keep music evil’.