Tous mobilisés pour nos invisibles contaminés

Image : L’équipe mobile sanitaire Précarité Covid-19 prenant ses dispositions pour les dépistages

Et si nous profitions, en cette période troublée, de ce bel élan de solidarité pour nous intéresser aux « oubliés » ? Ceux à qui l’on ne pense pas mais qui, eux aussi, sont touchés par le virus COVID-19 qui frappe actuellement la France et le monde.

Je veux parler des « vulnérables », les « sans chez soi », ces personnes en situation de précarité extrême et qui n’ont même pas cette « chance », ignorée par certains, de pouvoir seulement se confiner. La solitude et le manque de considération, ils connaissent. Ils vivent cela chaque jour, masqués par le tourbillon de vie qui anime nos rues et nos villes. Mais là c’est différent. Les quartiers sont maintenant déserts, de nombreuses maraudes se sont arrêtées. L’espoir de croiser un regard s’éteint et cela fait quelques jours que des yeux ne se sont pas posés sur eux. Le fameux hashtag #stayathome, ils ne connaissent pas. Où s’enfermer si l’on a pas de « chez soi » ? comment se protéger si on n’en a pas les moyens ? Avec quelles armes ?

J’ai eu la chance de suivre la belle aventure de médecins niçois qui, comme bien d’autres soignants, ont décidé de tenter de rendre à ces oubliés leur visibilité. De leur apporter un peu de calme et de les mettre à l’abri de cette tempête qui nous bouleverse tous.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une mise en situation est nécessaire.

Lorsque le SRAS-Cov2, le virus à l’origine du Covid-19, a commencé à se propager rapidement en France au début du mois de mars, la Direction Générale de la Santé (DGS) a envoyé des directives santé pour la prise en charge des sujets « sans chez soi » (c’est ce terme qui a été retenu, plutôt que le terme habituellement utilisé de Sans Domicile Stable).

La question des personnes testées positives au coronavirus et sans domicile s’est alors posée. L’accueil et la prise en charge des plus vulnérables n’ont rien d’innovant, c’est déjà le rôle des Centres d’Accueil de Jour/Nuit et des dispositifs d’hébergement d’urgence à charge des services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). Cependant, ces hébergements (déjà insuffisants en temps normal) ne suffisent plus en période de crise. 

Alors, la solidarité s’organise pour trouver plus de lieux où accueillir les sans-abris : gymnases, salles des fêtes, chambres d’hôtels. L’Etat affirme le 2 avril dernier que c’est près de 7 600 nouvelles places qui ont été trouvées pour héberger les concernés

Un problème persiste

Malgré la volonté de faire respecter les fameuses « mesures barrières » et la distanciation sociale, les difficultés apparaissent rapidement. La propagation du virus est trop importante dans ces hébergements collectifs où le confinement est difficile à gérer. De plus, l’accès au soin et le suivi médical de ces « oubliés » restent toujours complexe, tout comme le dépistage.

La direction de la santé propose alors de monter des « Équipes Mobiles Sanitaires Covid-19 » sur tous les territoires, en liaison avec tous les acteurs locaux de la précarité dans le but de renforcer l’action des maraudes sociales. L’objectif est de tester les « sans chez soi » susceptibles d’être porteur du virus. Des équipes de médecins et d’infirmières arpentent désormais nos rues et se rendent dans les centres d’hébergements collectifs et dans les places d’urgence pour dépister les possibles nouvelles victimes du Covid-19. Toute une coordination se met en place : gestionnaires d’hébergements, maraudes sociales, Samu social, 115 et associations… Tous se mobilisent pour alerter ces équipes mobiles de cas pouvant être suspects.

Une fois contaminées, où vont ces personnes ?

C’est à ce moment que les Centres d’Hébergement Spécialisé Covid entrent en jeu. Avant la création de ces nouveaux établissements en mars dernier, il était demandé aux centres d’accueil et/ou d’hébergements collectifs médico-sociaux de faire comme ils le pouvaient : s’efforcer, avec les moyens du bord, d’isoler un patient positif au Covid-19 afin qu’il puisse être confiné et sans contact avec le reste des résidents. Cette situation était souvent complexe car les chambres dans ces centres sont souvent aménagées pour deux voire quatre résidents. Ce défi a mis en évidence toutes les difficultés organisationnelles  que rencontrent ces établissements, où les résidents, le plus souvent, adhèrent peu aux mesures barrières et au confinement.

Que faire devant cette situation difficile à gérer dans les Centres d’Accueil, et comment éviter la formation de clusters viraux ingérables dans les hébergements collectifs ? Le but est d’extraire ces patients testés « Covid+ » et de les conduire dans un Centre d’Hébergement Spécialisé covid. Là-bas, les conditions d’hébergement et le personnel seront adaptés pour ces patients. 

Ici, un médecin de l’équipe mobile de la PASS (Permanence d’Accès aux Soins de Santé du CHU de Nice) teste un homme présentant les signes du coronavirus.
 Le patient séjourne dans ce Centre d’Hébergement d’Urgence, confiné avec mesures barrières,  en attendant les résultats.

Quels sont les critères retenus pour que le patient soit reçu dans le Centre ?

  • Être testé et diagnostiqué positif au Covid-19
  • Être « sans chez soi »
  • Ne pas présenter de symptômes graves auquel cas, le patient est directement hospitalisé.

Le premier de ces « centres d’isolement sanitaire » a ouvert le 17 mars dernier à Paris. Rapidement, les directives de l’Etat, qui finance le projet, se sont étendues sur l’ensemble du territoire, chargeant ainsi les préfets et les ARS (Agence Régionale de la Santé) de se coordonner afin d’ouvrir au plus vite ces centres. Le nombre d’établissements spécialisés dépend des besoins de chaque département : deux centres seront probablement créés dans les Bouches-Du-Rhône, en raison de la forte population « en précarité » sur Marseille alors qu’un seul centre est prévu actuellement dans les Alpes-Maritimes.

Où se trouve le Centre d’Hébergement Spécialisé Covid dans les Alpes-Maritimes ?

Niché sur les hauteurs de Nice, entouré par une belle nature verdoyante (parfait pour apporter un peu de lumière dans cette période de confinement morose), le centre se trouve sur la commune de Falicon, au Mont-Chauve. C’est un établissement de vacances qui sert habituellement aux personnels EDF de toute la France. Aux vues des circonstances, le gestionnaire associatif a souhaité faire preuve de solidarité, comprenant bien que les vacances de ses adhérents, cet été, seraient singulières…

Vue d’une chambre et entrée du centre d’accueil spécialisé Covid. 

Le plus remarquable dans cette aventure, c’est la rapidité de coordination dans la mise en œuvre du  centre : la DDARS06 (Délégation Départementale 06 de l’ARS), dirigée par M. R. Alexandre, a chargé Mme I. Virem de l’organiser avec la DDCS (Direction Départementale de la Cohésion Sociale) dirigée par M. H. Demai et Mme S. Reverre-Guepratte. C’était sans compter sur l’aide précieuse de l’association ALC (Agir pour le Lien social et la Citoyenneté), qui a répondu présente immédiatement, et sans laquelle rien ne serait possible.

M. Eric Jouan, le directeur d’ALC, est un habitué de l’aide aux personnes vulnérables. Ses équipes s’occupent régulièrement de foyers d’adolescents, de l’aide à l’enfance et de la régulation du 115. Autant dire que cette bataille contre le Covid-19, ALC ne pouvait pas l’ignorer. 

C’est aussi toute une logistique qui s’est organisée pour assurer l’intendance : prévoir le matériel médical nécessaire, les meubles, les draps, les plateaux repas (qui seront distribués dans les chambres) … Et tout cela pensé dans le respect des règles d’hygiènes et des essentielles « mesures barrières ». La directrice du Centre, Mme Doris Dugand, ne laisse rien au hasard ou à une quelconque négligence : les couverts sont jetables et le ménage est laissé à la responsabilité des futurs résidents dans leur chambre respective, afin d’éviter au maximum les contacts.

Kit distribué aux patients : gel hydroalcoolique, masque, mouchoirs et lingettes
Blouses réservées au personnel soignant

Au niveau médical, la DDARS06 a demandé au Centre Hospitalier de Nice (CHUN) de bien vouloir apporter son expertise sanitaire sur le site. Ainsi des infirmières du CHUN sont présentes sur les lieux de 9h à 14h et des médecins d’astreinte passent régulièrement pour suivre les patients. Une pharmacie a été mise en place. L’équipement est bien sûr prévu pour protéger au mieux les soignants et le personnel associatif : masques FFP2 pour les soins (les fameux !), masques chirurgicaux, gants, charlotte, sur-blouses et du gel hydro-alcoolique.

La Protection civile et la Croix Rouge ont répondu présents et sont aussi sur place, prêts à venir en aide au personnel et ce, 24 heures sur 24.

Réunion de crise du personnel de l’équipe médicale et de la Protection civile

 Le Centre est composé de 19 chambres individuelles, à la vue fort agréable. Deux chambres plus spacieuses, et comportant une porte communicante, sont réservées à une éventuelle famille contaminée. Un couple et deux enfants peuvent y être accueillis. 

Chambre individuelle au centre du Mont-Chauve

Et qu’en est-il des principaux concernés ?

Le personnel soignant doit faire face aux problèmes qu’il rencontre quotidiennement dans le contact avec ces personnes « vulnérables », tout en s’adaptant aux consignes de la lutte contre le virus. L’addiction, problème complexe lors d’un confinement, est également prise en charge dans le centre. Des équipes d’addictologie (associatives et du CHUN) passent à la demande pour une écoute et une prise en charge personnalisée. Les prises en charge psychiatriques et leurs suivis sont également organisés. A noter également, les animaux de compagnies sont autorisés et de la nourriture a été prévue.

 Un contact, un combat.

 Gilbert, sans-abri, vit dans la rue depuis sept ans maintenant. Il a, jusqu’à aujourd’hui, refusé tout accueil dans un centre d’hébergement. Mais ce matin, c’est différent. Il a été diagnostiqué positif au Covid-19.

Gilbert est fatigué, épuisé mais refuse catégoriquement l’aide proposée par les aides-soignants. C’est une part importante, pourtant souvent laissée dans l’ombre, que ce travail de négociation qui est à fournir par le personnel soignant et associatif. Tenter, parfois échouer, mais toujours essayer d’établir un lien entre ces personnes qui n’ont pas de « chez soi ». Ne pas avoir peur d’un échec et tenter à nouveau jusqu’à ce que la situation se débloque.

La vérité, c’est que Gilbert a deux chiens. Ses « compagnons de vie » me confie-t-il, ses amis de tous les jours, ceux qu’il n’abandonnerait pour rien au monde, même pas pour sa santé. C’est à ce moment précis que l’importance de la flexibilité du centre prend tout son sens. Le médecin et l’infirmière de la maraude sanitaire lui expliquent qu’il pourra garder ses deux acolytes près de lui, au Centre Spécialisé Covid. Mieux, ils auront un grand terrain à disposition pour profiter du plein air.

Après des moments de discussions, de batailles pour « convaincre », Gilbert accepte enfin la prise en charge ! « C’est pour toutes ces petites récompenses qu’on se lève le matin… » conclut Elodie Merengone, infirmière de l’équipe.

L’addiction… Quelles dispositions ?

Mamuka, originaire de Géorgie, attend devant l’hôpital ce matin. Il réclame de la méthadone. L’équipe « précarité » prend en charge le patient qui s’est déjà évadé hier soir du service des Urgences du CHU de Nice. Vivant à la rue, une équipe mobile l’avait testé et diagnostiqué positif au coronavirus. Mamuka avait refusé le confinement car cela impliquait de perdre « la rue » et « les fournisseurs » qui alimentent ses addictions.

L’équipe interroge le patient avec l’aide d’un traducteur par téléphone. Mamuka ne parle ni Français, ni Anglais. La barrière de la langue est une difficulté récurrente pour l’équipe. Heureusement, des organismes d’interprétariat professionnel permettent des communications et traductions par téléphone et ce 24/24 h et pour plus de 140 langues (ISM Interprétariat).

Le patient, lui, réclame de la méthadone et un kit d’injection. Et après plus d’une heure de négociation sur l’assurance que ses addictions seront écoutées et prises en compte, Mamuka accepte enfin d’être hébergé au Centre du Mont-Chauve. L’association ALC-06 et les infirmières feront intervenir l’équipe d’addiction pour participer  à cette prise en charge coordonnée.

 Le Dr PM Tardieux ne peut retenir son enthousiasme : « C’est une très belle coordination qui est née rapidement et efficacement en pleine période de crise covid ! Comme quoi, dans la crise, les coordinations nécessaires entre le monde Associatif, l’Etat et le Sanitaire (ARS et Hôpitaux) s’opèrent beaucoup plus rapidement… Ils démontrent leurs efficacités et oublient leurs désaccords. »

On ne peut donc que remercier ces personnes qui amènent « l’humain à retrouver sa place » en période de grandes difficultés. Chaque jour, ils viennent en aide à ceux que l’on ne voit pas, ceux à qui l’on ne pense pas mais qui sont pourtant bien là, nos « invisibles » du quotidien.  

Merci Bruno, Martine, Franck, Elodie, Eric, Doris, Isabelle, Stephanne, Pierre-Marie, Nicolas, Karl, Aude, et à tous ceux qui s’engagent courageusement à travers la France en ce moment. Merci à vous tous.