The Social Network, un film juste bien

the-social-network-poster-promo-movie.jpgC’est l’un des plus grands buzz de la décennie. Certains y racontent leur vie, les autres le boudent, mais tout le monde en parle. C’est un monde bleu, peuplé de créatures bizarres, des « murs », des « groupes », des « pages », et des troupeaux entiers de « commentaires ». Il n’y a pas un jour sans que l’on entende, à défaut de prononcer, ce mot. Cette effervescence sociale et médiatique est-elle éphémère, ou caractérise-t-elle l’invention du siècle ? Toujours est-il que notre serviteur et maître, notre meilleur ennemi, j’ai nommé le géant Facebook, a balayé de la Toile Skyrock et MSN pour s’imposer comme nouveau village virtuel aux possibilités grandissantes (messagerie, chat, photos, vidéos, organisation d’évènements…).

Ce qui m’amène à me demander pourquoi Hollywood a attendu tant de temps pour surfer sur la vague Mark Zuckerberg, jeune nerd premier d’Harvard, plus jeune milliardaire de tous les temps, nouveau Bill Gates et tout et tout. Avec à la clé un procès entre 2004 et 2008, un film sur le geek de vingt-six ans nommé 52e personnalité la plus influente en 2008 par le magazine TIME s’est fait attendre. Mais le voila. The Social Network, réalisé par David Fincher (Fight Club, The Strange Case of Benjamin Button) fait salle comble depuis sa sortie ce mercredi 13 octobre. Étudiant en deuxième année à Harvard, Mark, adepte des claquettes Adidas et de la franchise sans détour vient de se faire larguer. Informaticien d’autant plus brillant qu’il est alors bourré et furieux, il crée, pour se venger de la gent féminine, un site permettant de classer toutes les filles de la fac par sex-appeal. En une nuit, le buzz est lancé, et la connexion simultanée de 22 000 étudiants masculins fait sauter le serveur d’Harvard. Immédiatement méprisé par les filles et la direction, Mark est déjà adulé par ses confrères.

C’est ainsi qu’il a l’idée de créer un réseau transposant toute la vie sociale de l’école sur Internet avec l’aide d’Eduardo Saverin, son meilleur (et unique ?) ami. TheFacebook s’étend bientôt à toute l’Ivy League, puis à l’Europe, et en quelques mois ils sont des dizaines de milliers d’utilisateurs. Mark Zuckerberg a la gloire modeste voire blasée (c’est avant tout un informaticien) qui veut que son site reste « cool » au risque de ne faire aucun bénéfice et qui trie ses codeurs sur le volet. Mais à mesure que son invention prend de plus en plus d’ampleur, Mark subit la colère d’anciens camarades qui avaient demandé son aide pour la création d’un site de rencontre exclusif, HarvardConnection, avant qu’il les laisse tomber et reprenne l’idée sans scrupules pour son projet…

Ce film présenté comme un biopic n’en a ni la lourdeur nostalgique, ni le sérieux documentaire. C’est qu’on suit moins l’évolution de Zuckerberg que celle de son bébé, le réseau social qui perd vite son déterminant pour devenir facebook.com. Si la progression est classique (de nerd asocial, le jeune étudiant finit chef d’entreprise sans pour autant quitter ses tongs), le film a le rythme effréné d’un geek s’enfilant des codes à la vitesse de la lumière, en alternant moments-clés de la création de FB et flash-forward sur les procès qu’intentent à Zuckerberg Eduardo Saverin (arnaqué par son meilleur ami) et les frères Winklevoss (plaignant pour vol de propriété intellectuelle). Les acteurs sont assez crédibles, même Justin Timberlake qui nous a agréablement surpris dans le rôle de Sean Parker, un informaticien cabotin et un peu trop beau gosse pour être le créateur génial du site de téléchargement gratuit Napster. On salue aussi la prestation de Jesse Eisenberg, qui façonne un Mark Zuckerberg casanier, solitaire, arrogant, au manque de tact et de classe évidents, bref, tête à claques absolue. Le ton du film, à l’image de son anti-héros, est cynique et décalé, loin de l’humour pesant caractéristique de bon nombre de productions outre-atlantiques. Pour ceux qui s’attendent à une comédie bourré de clichés bien lourds sur les geeks, vous serez surpris par la justesse du récit et la finesse de certaines scènes, ainsi que par la simplicité salvatrice de la BO (presque absente) et par la photographie sans fioritures.

Finalement si ce n’est ni un biopic, ni ne comédie, ni un mélodrame, qu’est donc The Social Network ? Comment raconter la naissance et la maturation d’un site internet sans faire bâiller ses spectateurs ? C’est que David Fincher n’a insisté ni sur les détails technico-informatiques inaccessibles au commun des mortels, ni sur la petite vie des créateurs de Facebook, ni sur le drame du procès. Le résultat est fluide, léger, et fait son petit effet. Regarde-t-on le réseau social d’un autre œil en sortant de la salle pleine à craquer du Gaumontparnasse ? La réponse est non. C’est un bon film, mais son impact n’est pas à la hauteur du bon moment qu’on passe à le regarder; on se demande un peu ce qu’il avait à dire, et il sort vite de notre esprit. Ce film aurait pu provoquer, interroger, troubler, il se contente de plaire, et c’est dommage.

2 Comments

  • PW

    Bravo pour la critique ! (et bien sûr, bravo au film que j’ai A-DO-RE !!)
    Là aussi, je ne vois pas quoi redire à la réalisation. La soundtrack était totalement adaptée aux événements. Malgré les allers-retours entre les conciliations judiciaires et les faits en 2003-2004, on saisit bien les liens entre les événements. Les acteurs étaient dans leur rôle à 101% (même si, l’ayant vu en VO, je n’ai strictement rien compris à cet anglais-américain =( Difficile de faire mieux.
    Il faudrait aussi signaler l’excellente prestation d’Andrew Garfield, l’acteur qui interprète Eduardo S. … même si l’on sait que le film s’est beaucoup basé sur son propre témoignage sur la naissance de TheFacebook.
    Du coup, on a sans doute – et à raison – pris en amitié cet étudiant qui a donné un GROS coup de main à Mark Zuckerberg (en l’aidant à filer les mail-lists de sa fraternité, alors que ce dernier a vraiment tout fait pour qu’on le fuie), avant de se faire jeter comme une vieille chaussette par son ami – manifestement entourloupé par Sean Parker.
    Autre chose : pas un mot sur le campus d’Harvard ? Finalement, on se rend compte que Paris n’est pas l’unique endroit où les étudiants se soûlent. 😛

  • Q. Jagorel

    Chaque film de Fincher est un événement dans le petit monde du cinéma (on se souvient de « Benjamin Button » qui avait marqué par sa puissance visuelle –plus que par l’intérêt de son histoire d’ailleurs- il y a deux ans) : mais « The social network » est un événement tout court. Le film d’une décennie peut-être, en phase avec un monde « qui croit qu’il avance en appuyant sur la touche F5 », comme le dit Fincher lui-même. La réalisation est sans faille –sans un moment de répit- et les dialogues, à bâtons rompus, sont écrits à la manière des plus grands dramaturges. Souvent drôle mais globalement anxiogène, le film est si complet qu’on a presque envie de dire que l’histoire de la naissance de ‘Facebook’ n’est qu’un prétexte pour parler de pouvoir, d’amitié, de trahison et d’argent… tous ces thèmes qui ont tant nourri l’histoire du cinéma. Jesse Eisenberg, dans le rôle de Zuckerberg (ce jeune mal fringué à la tête d’un empire de 25 milliards de dollars) est magistral. L’inévitable manque de recul historique de « The social network », loin d’être un défaut, le place au contraire dans la fébrilité et l’incertitude du temps présent, avec une fulgurance digne de ces cerveaux d’Harvard. Et on en sort essoufflé, éprouvé.