Succession Descoings (3) : Gilles Andreani, la force tranquille

Son CV est aussi impressionnant que le nombre de marches pour atteindre son bureau perché en face du Panthéon : Gilles Andréani, aujourd’hui professeur associé à Paris 2 et Conseiller Maître à la Cour des Comptes, est diplômé de Sciences Po (1975), titulaire d’une licence d’histoire et d’une maîtrise de droit. Passé par l’ENA (1981), il devient délégué adjoint aux études générales au Ministère de la Défense puis sous-directeur du désarmement au Ministère des Affaires Etrangères à la fin des années 1980. Entre 1993 et 1995, il officie en tant que représentant adjoint de la France à l’OTAN en 1993, avant de devenir à deux reprises, entre 1995 et 1999, puis entre 2001 et 2004, Directeur du Centre d’analyse et de prévention du Ministère des affaires étrangères (CAP). Prochaine étape de cette carrière administrative florissante, Sciences Po ?

« J’ai adoré Sciences Po ; j’aime cette école, je l’aime toujours, c’est un objet très particulier »

91a63cc4-cf23-11e1-ab81-33a98222ef60-178x178.jpgEtudiant, enseignant, puis collaborant avec Sciences Po lorsqu’il était directeur du CAP, G. Andréani dévoile d’emblée sa relation privilégiée avec l’Institut : il connaît l’école, demeure un ancien étudiant marqué par ses années sur les bancs de Boutmy, apte à mesurer les « admirables évolutions » qui ont fait de l’IEP ce qu’il est aujourd’hui. Le ton est posé, le sourire cordial et confiant, le projet très clair. Un projet dont il est fier, un projet qui rassemble son expérience au 27 rue Saint-Guillaume, celle d’enseignant dans d’autres établissements, celle, surtout, de fin analyste du mandat Descoings, synonyme de « transformation de Sciences Po », qu’il a suivi avec beaucoup d’ « admiration », pour reprendre ses termes. Une faille au mandat de Richard Descoings ? Il y en a. Mais Gilles Andréani y reviendra.

« J’ai l’avantage de présenter une candidature extérieure »

Qu’il s’agisse de son regard sur le mandat précédent, de l’évolution de l’Institut, de son internationalisation ou de la recherche à Sciences Po, Gilles Andréani présente son « regard distancié » vis-à-vis de l’école comme un atout. Un regard lucide et critique qui interroge la médiatisation excessive de la procédure de nomination  : la succession du Directeur de Polytechnique qui a eu lieu cet été, n’a pas fait autant de vagues, alors qu’elle était tout aussi importante. Mais Gilles Andréani tient à rappeler deux choses fondamentales : premièrement, les enjeux médiatiques lui importent peu ; il ne s’intéresse qu’à son projet et à sa pertinence. Deuxièmement, il n’est pas le candidat de la Cour des comptes et n’a aucune idée de ce que le rapport à paraître peut contenir. Il tient à dissiper ici tout malentendu ; c’est chose faîte. Et d’ajouter dans la continuité : « Je défendrai l’identité, l’autonomie, et si nécessaire, le statut de Sciences Po ». Clair, prévenant.

« Consolider les acquis et corriger les déséquilibres »

Quant aux changements de l’école, hormis celui d’un Directeur bien plus réservé que le précédent s’il venait à être nommé, la révolution n’est pas pour tout de suite : avec G. Andréani et l’orientation qu’il souhaite donner à Sciences Po, nous sommes loin du vent du changement. « J’admire qu’il (R. Descoings) ait forcé le destin. Avec cette énergie, ce degré d’implication, cette résolution, et cette dureté, lorsque c’était nécessaire ». Il nous attendait toutefois au tournant comme nous le guettions à ce sujet, la réplique suivante ne se fait pas attendre : « mais cela ne veut pas dire que je veux continuer comme lui ». Gilles Andréani n’élude pas le rapport de la Cour des Comptes, et évoque le « stress financier » lié à l’augmentation des frais de scolarité et des dépenses de l’Institut. Après l’engouement pour le mandat Descoings, l’heure serait à l’apaisement, « aux transformations nécessaires pour corriger les déséquilibres qui ont été crées ». A titre d’exemple, une réflexion poussée sur la croissance rapide de certaines nouvelles filières, la PSIA parmi elles, serait nécessaire : l’examen sérieux des qualités des cursus et de l’éventail d’enseignements qui sont déployés est un impératif, pour préserver la qualité des études.

« Un rapprochement avec les IEP de province serait légitime »

L’amélioration des relations avec les IEP de province figure parmi ses impératifs : la voie choisie par Richard Descoings, celle d’une prise de distance de Sciences Po Paris vis-à-vis de Lille, Lyon, Strasbourg, Rennes, Toulouse, Aix-Marseille, Grenoble ou Bordeaux, d’un « mépris à peine déguisé », doit être modifiée. A titre d’exemple, pourquoi avoir installé un campus Europe-Moyen Orient à Menton, alors qu’à Aix-Marseille se trouve l’IREMAM (Institut de Recherche et d’Etudes sur la Méditerranée et le Monde Arabe) ? Les incohérences des campus délocalisés existent bien. Surtout, puisque la FNSP est une Fondation publique, l’isolement des IEP est illégitime, chaque Institut d’Etudes Politiques devant bénéficier du soutien de la Fondation Nationale. Quant aux moyens concrets pour améliorer les relations Sciences Po – IEP ? Le constat est là, les solutions pas encore.

L’internationalisation

Exemple le plus retentissant du succès de l’ouverture de Sciences Po, G. Andréani tient également à ce que l’internationalisation se rationalise et s’approfondisse, pour devenir davantage le symbole de l’attractivité et de la qualité des enseignements de l’IEP. L’intégration des étudiants étrangers doit être améliorée, afin de veiller à ne pas avoir d’un côté une communauté étudiante franco-française, et de l’autre une communauté étrangère plus isolée. Ne pas céder ensuite à l’envie d’un élargissement démesuré, pour ne pas perdre la tradition culturelle et politique propre à Sciences-po et son ancrage dans la tradition universitaire française ; tels sont les vœux de Gilles Andréani, qui opterait pour l’intensification de cette internationalisation, grâce à deux facteurs révélateurs d’une école ouverte sur le monde : viser un nombre croissant d’étrangers en thèse, qui témoignerait de l’attractivité et du niveau de l’IEP, ainsi qu’un corps enseignant permanent plus internationalisé.

« Moins une exception, davantage un modèle »

La vision de Sciences Po aujourd’hui vis-à-vis de l’université française lui fait émettre quelques réserves sur la réussite du mandat Descoings dans son rôle de modèle. « Richard Descoings disait : “c’est (le modèle de Sciences Po) la voie à suivre pour l’université française”. Je ne suis pas sûr que ce soit la solution, et c’est le seul point où l’on n’est pas sûr que Richard Descoings ait réussi. Sciences Po réussit admirablement pour lui-même, mais il pourrait le faire davantage en partenariat, en coopération, avec d’autres universités ou grandes écoles françaises ». Concrètement, un élargissement des offres de double-cursus, avec d’autres universités françaises notamment, ferait du projet de Descoings d’élargir le champ universitaire de Sciences Po une réalité, seulement partiellement accomplie aujourd’hui.

Alors, en une phrase, le mandat Andréani ? « un équilibre entre la continuité de la stratégie et une transformation de la gouvernance et de la gestion ». Nous avons rencontré un haut-fonctionnaire plein d’enthousiasme et d’ambitions pour l’école, qui l’exprime d’une façon originale, d’un point de vue très gestionnaire. Connaît-il bien l’école ? Assurément. La vie étudiante et les associations ? Il en veut plus, quitte à se rapprocher du système américain, de sa tradition de service public et d’engagement civique des étudiants. Le voir en Directeur accueillant les élèves de première année avec un discours captivant ? Nous attendons de voir.

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