Succession Descoings (2) : Après « l’hyperdirecteur », le directeur « normal » ? Entretien avec Dominique Reynié

Premier des quatre candidats encore en lice pour la succession de Richard Descoings à accepter de nous rencontrer, Dominique Reynié est un pur produit de Sciences Po. Diplômé de l’institut (promotion 1983) où il obtint un DEA en sciences politiques, il ne quittera jamais véritablement la maison : après avoir passé l’agrégation, il revient comme maître de conférences puis professeur des universités au 27 rue Saint Guillaume. Chercheur au Cevipof, il est également directeur général de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), un think tank « libéral, progressiste et européen » proche de l’UMP qui a obtenu la semaine dernière le second prix du meilleur think tank de l’année décerné par l’Observatoire français, derrière Terra Nova.

P1420511D1508572G_apx_470_.jpgConnu pour ses nombreux passages dans l’émission sur France 5 C dans l’air et sa chronique sur France Culture Le monde selon Dominique Reynié, ce dernier connaît par cœur les rouages et les attentes des médias. Projeté devant les comités et les caméras à l’annonce de sa candidature, il maitrise sans problème cette effervescence médiatique et accepte de répondre aux sollicitations de LaPéniche. Le rendez-vous est pris le vendredi 7 septembre, dans un café boulevard Saint Germain.

Immédiatement, Dominique Reynié nous met à l’aise ; autour d’un verre, confortablement assis sur des banquettes rouges en simili cuir, notre entretien prend le tour d’une discussion informelle, jeu auquel il se prête avec aisance. C’est un homme accessible et sympathique, qui nous livre franchement et sans détours sa vision de Sciences Po et de ce qu’il veut en faire.

L’héritage de Richard Descoings

Tout d’abord, il veut « poursuivre» l’œuvre de Richard Descoings et continuer à faire de Sciences Po une « université internationale et sélective ».

Il était en effet un proche de l’ancien directeur, bien avant 1996 par ailleurs, et il nous assure assumer entièrement ce que celui-ci avait réalisé. Quelles que soient les conclusions du rapport de la Cour des comptes (dont il est bien difficile de deviner les grandes lignes malgré tout ce qui se murmure et dont aux dernières nouvelles il se susurre qu’il pourrait ne pas être rendu public), les bénéfices en terme d’image, d’attractivité et de niveau d’enseignement réalisés sous l’ère Descoings sont de toute façon supérieurs aux coûts engendrés. Et de préciser que la France aurait bien de la chance si tous ses milliards de deniers publics pouvaient produire de tels gains.

Il se veut donc le candidat de la « consolidation » des mesures mises en place. « Le temps des révolutions est terminé », explique-t-il. C’est en partie pour cette raison qu’il considère que sa connaissance de la maison est un atout indéniable : sa compréhension des dossiers et des codes de l’IEP lui permettrait une plus grande efficacité une fois à sa tête.

Dominique Reynié présente donc un projet sobre, sans mesure « révolutionnaire », mais qui permettrait de renforcer les réformes menées par son prédécesseur. Il souhaite aussi mettre l’accent sur la prise en compte des profonds bouleversements que le numérique et la culture de l’écran sont en train de produire dans le monde académique, non seulement sur le plan de l’offre mais aussi, plus profondément, sur la manière d’apprendre et d’enseigner, de chercher et de publier.

Un nouveau management plus transparent et démocratique

Il promet tout d’abord une transparence maximale sur les comptes de Sciences Po, en publiant notamment les financements et le montant des primes sur Internet. Il souhaite également un processus de décision plus collégial. Cela se traduirait par la présence accrue de représentants du corps académique, mais aussi des élèves et des salariés dans les assemblées décisionnelles. En effet, selon lui, les projets se doivent d’être présentés à la communauté et modifiés de façon à ce qu’un consensus émerge. Il nous précise d’ailleurs que son expérience à la tête de la Fondapol fut très formatrice à ce propos.

Il veut rompre avec le mode de décision « charismatique» qui permettait à Richard Descoings de faire valoir sa vision des choses et d’octroyer à ses mesures une légitimité suffisante. Après tant d’années fastes, il faut pour la consolidation un directeur « ordinaire », dont le soutien se devra d’être garanti à tous les échelons.

Ouvrir Sciences Po sur l’Europe et les autres IEP

drapeau-europeen.jpgPour poursuivre l’œuvre de Richard Descoings, et parce que l’Europe est un enjeu historiquement et culturellement cher à Sciences Po, Dominique Reynié voudrait davantage renforcer la coopération entre Sciences Po et les grandes universités européennes. L’ouverture internationale est indéniablement l’un de nos atouts majeurs ; mais plutôt que d’intensifier et de diversifier les partenariats dans le monde entier, il souhaiterait consolider ceux qui existent déjà, et envisage ainsi la multiplication de formations communes associant plusieurs grands établissements européens.

Il souhaiterait également que l’école se concentre sur une coopération entre Sciences Po Paris et les IEP de province, notamment en mutualisant les ressources de travail.

Repenser la finance de l’institut

Il se réjouit également de l’augmentation du nombre d’étudiants depuis 1996, mais n’imagine pas cette dynamique en œuvre encore longtemps. Si d’une part les effectifs semblent avoir atteint un seuil optimal, la question délicate des financements se poserait avec insistance (cours supplémentaires, salles de classe, nouvelle bibliothèque, etc). Et ce d’autant plus que dans un contexte de crise économique, il est probable que l’Etat mette un terme à l’augmentation annuelle de 7-8 % de sa contribution au financement de l’Institut comme il le faisait auparavant (à l’occasion de la renégociation quinquennale). Peut-être même réduira-t-il celle-ci suite à la publication du rapport des sages de la rue Cambon… Pour continuer à développer l’institution en gardant le même nombre d’étudiants il faudra donc compter sur de nouvelles ressources.

Le candidat dit cependant ne pas vouloir augmenter les frais de scolarité et répète que « dans (son) monde idéal, l’accès à Sciences Po est gratuit pour tous. ». Oui, pour nous aussi ; mais comment trouver les fonds nécessaires à notre développement ? Il évoque la possibilité de faire des économies structurelles en établissant un plus grand tronc commun notamment au niveau du master (avec des cours obligatoires de relations internationales ou de droit constitutionnel par exemple), ou en réduisant la diversité des cours et des options (en deuxième année par exemple). Pourtant difficile d’imaginer des bénéfices records sur une restructuration des enseignements.

fundraising-tip.jpgIl insiste dès lors sur l’importance d’augmenter le fundraising, qui ne représente aujourd’hui qu’une proportion de l’ordre de 5% du financement de l’IEP (7 millions d’euros). Quand on pense que la contribution de l’Etat est dix fois supérieure, on ne peut que s’interroger sur la faisabilité d’une telle opération. Il faudrait viser non pas le financement du fonctionnement de l’institut mais la constitution d’un capital de 100 millions € dont le placement pourrait abonder de manière pérenne et significative les ressources de la maison.

Si Dominique Reynié se veut clairement « héritier » de l’œuvre de Richard Descoings, il montre quand même des doutes sur certaines mesures sur lesquelles il pourrait revenir.

Il voudrait ainsi notamment revoir la dernière réforme du concours d’entrée pour y réintroduire une épreuve d’ordre général, dont la forme ressemblerait presque à celle du concours commun aux six IEP de province. Il s’agirait d’une épreuve de sciences sociales, où chacun pourrait être interrogé sur deux thèmes dans chacune des six matières qui composent l’ensemble général. Ainsi, les prétendants à l’entrée étudieraient tous avec les mêmes sources un programme précis et limité. Cela permettrait une première sélection sans exclure ceux qui n’ont aujourd’hui ni les moyens de payer une prépa, ni les conditions requises pour rentrer par CEP.

logo_pres.jpgDominique Reynié semble également un peu sceptique sur l’Idex et le PRES Sorbonne-Paris-Cité dont Sciences Po est l’un des membres fondateurs. Bien que la création d’un si grand pôle de recherche dans tous les domaines scientifiques soit une chance, elle pourrait également selon lui représenter un danger pour l’identité de Sciences Po, qu’il considère comme une institution « à part ». La préservation de cette singularité, statutaire, culturelle et académique, est la clé du prochain mandat.

Au bout de deux heures d’entretien, le plus frappant est que Dominique Reynié est passionné par Sciences Po. Il a un avis sur tout, et cet article ne saurait recenser de manière exhaustive toutes les idées qu’il a évoquées. Et si le léger « il faut vraiment que j’y aille, j’ai rendez-vous à France Inter » avec lequel il clôt notre entrevue prouve quelque chose, c’est bien peut-être qu’il n’est pas aussi ordinaire qu’il veut bien le dire.

4 Comments

  • Catherine

    Et les émoluments du futur directeur ?
    qu’ en disent les candidats ?
    Cela ne doit pas faire partie de l’ héritage de R Descoings qui a porté atteinte à l’ image de l’ IEP .

  • Le Corroller Philippe

    Tout à fait d’accord avec le commentaire précédent. Les explications données par Dominique Reynié sur son projet pour Sciences Po sont claires et sans démagogie. Conformes à la conception du débat démocratique à la fois ferme et courtois, dont il donne l’exemple lors de ses interventions sur C’ dans l’air.
    Ph. Le Corroller

  • Roche

    Ma connaissance de D.Reynié se limite aux émissions de Télé aux quelles il participe depuis plusieurs années. Mais son approche claire et approfondie des problèmes me semble nettement au dessus de la moyenne, sans la moindre recherche de mise en valeur de sa personnalité !
    Le terme de normal est à la mode , mais je suis sur que Dominique sera nettement au dessus de cette normalité ! Je ne l’ai jamais rencontré mais seulement entendu toutes les semaines .Si j’avais à voter ce serait lui que je choisirais !

  • Une 3A qui se souvient de sa 1A

    Dominique Reynié, « continuateur ou fossoyeur de la Révolution »?
    Bon article, qui pourrait être moins conventionnel et conforme aux critères esthétiques de l’IEP…Parole d’une 3A qui est très loin des plans en deux parties, deux sous-parties et de ses exposés sur Napoléon…