Sortons de la démagogie ! Billet de (mauvaise) humeur sur la question de la démocratisation de l’enseignement supérieur – réponse de « Moa » à « Romain »
Le présent article nous a été adressé anonymement par un rédacteur qui poste des commentaires sous le pseudo de « Moa ». L’équipe rédactionnelle de LaPéniche l’a jugé conforme à l’esprit du débat qui s’était engagé sur l’article de Romain et a estimé qu’il était de son devoir, en vertu de sa vocation à être « Le Portail des Etudiants de Sciences Po », d’offrir à ses lecteurs une tribune quand ceux-ci la sollicitait. LaPéniche et moi même saluons le geste de « Moa » et appelons nos lecteurs à suivre son exemple.
Clément Caillol
Président
Si l’on se pose aujourd’hui la question des quotas, ce n’est pas par volonté présidentielle. Le premier à avoir prononcé ce mot est Pierre Tapie, président de la Conférence des Grandes Ecoles. Le gouvernement a toujours parlé d’objectifs de boursiers, Descoings de procédure d’entrée particulière.
Pourquoi alors le débat se centre-t-il malheureusement sur ce mot ? Pourquoi la CGE a-t-elle lancé la polémique sur ce terme ? Parce qu’il est extrêmement impopulaire (et à raison !) de parler de quotas aujourd’hui en France. L’universalisme dans lequel nous baignons depuis tous petits nous pousse rejeter ce qui inscrirait dans le droit l’inégalité entre les citoyens. Le problème de l’inégalité dans le droit c’est qu’elle produit des injustices de fait. Stratégie payante : il est tellement plus facile de défendre la non-imposition de quotas que la non-mixité sociale ! La CGE passe donc pour le défenseur acharné de notre « méritocratie républicaine ».
Cette position, « égalitariste » (sic) lui permet de rejeter toute mesure contraignante d’ouverture sociale. Et de se laver les mains des problèmes de notre système d’enseignement supérieur : tout n’est que du ressort des enseignements primaires et secondaires.
Valérie Pécresse, elle, préfère parler d’objectifs. En effet, il est plus simple de parler de mixité que de démocratisation. Cela lui permet de se laver les mains des problèmes de l’université française et du secondaire : tous les maux sont induits à ces élitistes grandes écoles qui refusent de s’ouvrir.
Or les problèmes existent à tous les niveaux. Et le comble est que tout le monde le sait pertinemment ! Le gouvernement le reconnait par la réforme des lycées, et par son offensive sur l’université publique (quoi que l’on pense de ces réformes), l’université a des problèmes et la présence même des grandes écoles permet d’en attester : cessons l’hypocrisie ! Et si on réfléchissait réellement à résoudre les problèmes ? TOUS ces problèmes ?
Changer le lycée ne suffira pas à relancer l’ascenseur social. Aujourd’hui ces fameux 30% de boursiers sont effectivement présents dans les classes prépas. Or nous sommes loin de ces 30% dans les grandes écoles. Cela a été montré, dénoncé maintes et maintes fois : les concours sont socialement discriminants. Langues, Culture générale, épreuves stéréotypées, autocensure, coût des concours exorbitants… Un travail nécessaire est à entreprendre sur les biais sociaux induits par les différentes épreuves, et nous ne pouvons faire l’impasse là-dessus, car c’est l’utilité d’une réforme en amont qui est en jeu.
« Méchant gauchiste, tout ce que tu cherches à faire c’est de baisser le niveau ! ». Rappelons seulement à ceux qui invoquent cet argument, celui qu’ils avancent lorsque l’on parle de l’imposition de quotas : « garantir l’égalité de tous devant un même concours ». Soyez cohérents, chers amis réactionnaires ! Prenons au moins les moyens de la garantir, cette égalité des chances, mais dans les deux sens ! Ok, refusons les quotas de pauvres. Mais refusons aussi les biais sociaux, qui ne sont autres que des quotas de riches ! L’excellence est tout à fait compatible avec l’égalité, et même plus : sans égalité nous ne pourrons choisir réellement les « meilleurs », et donc sélectionner l’« élite ».
Le problème de l’inégalité dans le droit c’est qu’elle produit des injustices de fait. Le problème des inégalités de fait, c’est qu’elles produisent aussi des injustices de fait. Egalité et justice sociale sont donc pleinement liées.
Mais l’égalité des chances alors ? Elle est plus que jamais présente dans la promotion de la « diversité sociale », et l’action positive se veut pleinement moteur de cette possibilité. Avec cependant un inconvénient majeur : celui de la perpétuité nécessaire du système d’action positive. En effet, les étudiants issus de CSP défavorisées pouvant accéder grâce à cela à un enseignement supérieur de qualité deviendront probablement, et c’est tout l’enjeu de l’égalité des chances, des parents d’enfants de CSP favorisées. L’on devrait donc maintenir en place de manière durable un dispositif permettant l’ « égalité des chances » mais qui ne remédierait pas au fond du problème : les inégalités.
Le système d’enseignement supérieur français est notamment marqué par une division entre cursus sélectifs et non-sélectifs, que l’on résume souvent à une fraction « Grandes écoles-universités ». Si l’on appliquait un système d’action positive, comme il en existe à l’IEP, dans chaque grande école, on rendrait certes (enfin, apparemment, mais c’est une autre histoire) les grandes écoles mixtes socialement. Mais on légitimerait du même coup la dualité du système d’enseignement supérieur français, et la sélection sociale qu’il entraîne. Car toute forme de sélection, qu’elle soit « pédagogique », par l’argent, voire par l’échec, est naturellement porteuse de biais sociaux, totalement incompatibles avec l’égalité des chances. En cela, les propositions qu’a faite la ministre de l’enseignement supérieur en guise de conclusion à cette polémique sont largement insuffisantes.
Soutien scolaire, orientation, classes d’excellence, tentative de réduction des biais sociaux, bien sûr, beaucoup de ces points sont louables et permettront certainement de réduire la sélection sociale, mais tant qu’ils n’aborderont pas de front la question de la place des grandes écoles par rapport aux université, ces dispositifs censés promouvoir l’égalité sont, d’avance, voués à l’échec, et légitiment même la sélection sociale.
Reste la diversité. Mais ici encore, le mot « diversité socio-économique » ne doit pas nous tromper. Ce mot est le beau synonyme des « différences de revenus », autrement appelées « inégalités sociales », termes nettement moins reluisants. Si l’on trouve nombre de partisans de la diversité, la défense se fait plus rude quant il s’agit de vanter les mérites des inégalités. Allons même plus loin, et interrogeons-nous sur la réalité d’une diversité qui se tiendrait soigneusement à l’écart du reste de l’enseignement supérieur… La diversité des élites, mais les élites à l’écart de la société !? La promotion de la diversité semble bien loin de l’idée de justice sociale, de l’idée même d’égalité.
Par pitié, sortons du débat fermé sur la diversité fermée des grandes écoles ! Certes, l’action positive n’est qu’un pansement sur une jambe de bois. Mais ça vaut mieux que pas de jambe du tout, et en attendant une vraie jambe de chair et d’os, on fait avec le bois et on le répare du mieux qu’on peut. Ce qui n’empêche pas de développer parallèlement des réformes structurelles, répondant réellement à l’enjeu des inégalités sociales.
C’est là que se pose inévitablement la (bonne) question, celle de la place des grandes écoles, des transformations pédagogiques et des moyens de l’université, pour qu’un service public de qualité soit accessible à chaque étudiant. La démocratisation de l’enseignement supérieur est nécessaire, car c’est par elle que l’on donnera à tous les jeunes la chance d’être étudiant, et à tous les étudiants l’opportunité de réussir ses études. De réussir, tout court.
Par « Moa »
Illustration : http://linter.over-blog.com
One Comment
Alex
Enfin une tribune qui pose les vraies questions ! Enfin aller au-delà du problème de la diversité dans les écoles, combien d’étudiants boursiers, combien « issus de l’immigration » sur les photos de promo !
(j’ai un souvenir particulier du facebook de Richard D. avec un lien vers les photos de son blog lors d’une conférence sur les CEP avec Valérie Pécresse « ma vision de la diversité »… Majorité de « minorités visibles », ou comment perpétuer les a priori sur les CEP.)
Je trouve bonne cette distinction entre les mesurettes prises par Sciences Po, soutenues par la Ministre et le blocage structurel que l’on retrouve dans l’enseignement supérieur en France. L’effet est d’autant plus pervers que les mesures prises, certes nécessaires mais pas franchement suffisantes, servent d’excuses. Les tenants de la sélection sociale peuvent se retrancher derrière elles « voyez nous avons fait des efforts ! » et l’on peut continuer de sélectionner gaiement, les 90% restant, allez, les 70% si les objectifs sont atteints.
Merci à Moa pour cet éclairage qui me rassure concernant la possibilité du débat entre les étudiants de Sciences Po. Tous ne sont donc pas sourds à la question de l’égalité, la vraie, pas celle planquée derrière une méritocratie de façade. Le tout justifié par des procédures d’admission qui perpétuent l’homogénéité sociale des grandes écoles.