Sebastián Piñera chahuté à Sciences Po

Pinera.JPG« Señor Presidente, Bienvenido a SciencesPo ». Pas besoin de s’étendre, Richard Descoings sent bien que ses compétences limitées en espagnol alliées à l’emploi du temps chargé du Président Pinera incitent à la brièveté. Après s’être rapidement évertué à relier Sciences Po au Chili par les moyens les plus honnêtes possibles, notre directeur s’éclipse pour laisser place à la star de la journée.

Fidèles à son image de président berlusconio-obamesque, le costume sur mesure et le sourire Signal Blancheur de Sebastián Pinera se pointent alors à la tribune, accompagnés du Chef d’État lui même, décidé à séduire cette assemblée que Christian Lequesne, modérateur du débat, a désigné comme «L’avenir de la France».

Et lorsqu’il décide de séduire, le président chilien n’y va pas avec le dos de la main morte. Il commence intelligemment par se munir de son français tout juste correct, celui qui permet de comprendre et se faire comprendre tout en évitant les questions trop compliquées, d’attirer la sympathie de l’auditoire avec un accent à couper au hachoir tout en se faisant pardonner les imprécisions. Et c’est donc dans cette langue que M. Piñera se lance dans un discours relativement court mais dynamique, sans être pour autant particulièrement éloquent.

Certes, le chilien a de la prestance, de l’assurance, et de la droiture. Mais la ficelle est un peu grosse pour ne pas provoquer chez l’auditeur une certaine méfiance spontanée, qui l’emporte assez vite sur l’aspect sympathique du personnage. Car on aurait bien dit par moment que le Président croyait plus s’adresser à un rassemblement de partisans lors d’une campagne électorale à Talcahuano qu’à une assemblée d’étudiants baignés dans le scepticisme et la méfiance depuis le berceau, même envers leur propre hamster. Des étudiants qu’il ne suffit hélas donc pas de caresser dans le sens du poil en flattant leur patriotisme éteint par des envolées sur la révolution française et les poètes maudits pour les rallier à son camp. «Nous aimons et admirons la France» déclare t-il, revendiquant même des liens familiaux avec le pays. Des déclarations qui sentaient plus l’envie que la France l’aime en retour que la sincérité ardente.

Mais le cœur du discours du président est plutôt, sans surprise, le Chili. Le Chili, et le président du Chili. Sur ce point il faut reconnaître que l’enthousiasme débordant de Sebastián Piñera est assez plaisant, et que l’avenir qu’il promet au pays semble radieux. A ce défaut près qu’encore une fois si le président avait voulu tourner un spot publicitaire pour futurs investisseurs il n’aurait pas fait mieux, dans un style assez lisse, aseptisé, pas de ceux qu’on écoute en ayant l’impression d’entendre un homme d’Etat de carrure historique.

Pinera2.jpgC’est d’un Chili moderne, innovant, et surtout «ouvert» que le président Piñera a voulu dresser le portrait, avec une maîtrise de l’hyperbole à faire pâlir les professeurs de Français de première S les plus chevronnés. Politiquement d’abord, avec un Chili dont le «cheval de bataille» n’est autre que de devenir un havre de démocratie et de liberté publique, pour s’imposer comme un «empire des droits de l’homme» et une «démocratie exemplaire». Mais économiquement surtout, dans un pays où, nous dit-il larme presque à la paupière, les catastrophes en tout genre ont conféré au peuple un caractère, une détermination, et une solidarité magnifiques. Il ne se prive pas de vanter, avec raison, les performances assez exceptionnelles du Chili ces dernières années, arguant ainsi d’une croissance de 6% cette année et d’une entrée dans une ère de modernité. M. Piñera en déduit que le Chili sera le premier pays d’Amérique latine à atteindre un développement supérieur, comprenez par là qu’il revendique clairement son accession prochaine au statut de «Pays développé». Une idée que le chef d’Etat résume dans la sentence : «les chiliens ont conquis le droit à l’optimisme». Un optimisme dont il se réclame le principal objet aujourd’hui, s’amusant discrètement à matraquer ses prédécesseurs, et notamment Michelle Bachelet, dont il estime qu’elle s’enfonçait sur la fin dans une crise à plusieurs niveaux.

Et pour prouver que le pays entre dans cette ère de modernité, quel meilleur exemple que ces fabuleux 33 barbus bloqués au fond d’une grotte ? Une aubaine pour le président, qui n’hésite pas à étaler longuement la tartine de ses exploits sur le sujet, insistant sur la réaction immédiate et salvatrice du gouvernement, et sur les moyens incommensurables et terriblement modernes mis en œuvre pour l’opération sauvetage (ou séduction ?). Avec un sens aigu de l’extrapolation, Sebastián Piñera fait de cet épisode un «symbole pour l’avenir», et a décidément une fâcheuse tendance à prendre des airs de messie. A tel point que quand un étudiant subversif lui suggère qu’il aurait fait retarder la sortie des mineurs chiliens pour pouvoir être présent en personne lors du sauvetage, Piñera n’a d’autres armes que le strict démenti à demi à l’aise pour se défendre.

Mais un discours n’est jamais complet tant qu’on y a pas parlé d’ouverture, et le président, bien conscient de cela, s’en est donné à cœur joie. L’homo berlusconius a en effet délayé en une longue tirade ce qu’il aurait pu résumer en disant «Venez chez moi tellement qu’on est tous gentils et qu’on va devenir trop forts». Mais un peu plus diplomate, le chilien s’en est tenu à des déclarations d’une volonté farouche de renforcer ses liens avec l’Europe et «surtout» la France, avec lesquels, nul n’en doute, «nous traversons un moment privilégié de coopération». Un Chili qui s’affiche si ouvert qu’il en oublie presque l’échelle régionale (le Chili reste à distance du MERCOSUR), comme le lui rappelle un étudiant. Et Sebastián Piñera de répondre que cet éloignement régional est lié à la volonté d’une Amérique latine ouverte au monde entier, et non seulement à elle même.

Heureusement pour tous, de nombreux étudiants chiliens étaient présents dans la salle et bavaient d’impatience pour poser au président des questions tranchant nettement avec la notable platitude du discours. Sur ce coup là, on y va crescendo. Au départ, l’expérience politicienne de l’homme paisiblement installé dans son fauteuil l’abrite des discours de certains qui lui reprochent de laisser fonctionner l’État avec une constitution établie en temps de dictature. Il rétorque tout simplement que cette idée est fausse, puisque la constitution a été modifiée avec l’approbation populaire.

Mapuche.pngEn revanche, l’événement prend tout son intérêt lorsque certains audacieux s’aventurent sur le terrain du peuple Mapuche, un peuple aborigène autochtone du Chili martyrisé sous Pinochet et dont la situation est aujourd’hui encore plus que difficile. Cette population a de toujours été mue par de fortes poussées indépendantistes, violemment réprimées par différents gouvernements. Or si on aurait pu croire à une tolérance nouvelle envers ces mouvements dans le Chili démocratique moderne, il se trouve que leur statut n’est aujourd’hui pas clarifié, et que des controverses violentes persistent autour de la criminalisation de leurs actes et des conditions d’édiction de la justice a leur égard. Sur le sujet, l’aisance du président sembla doucement aller se promener ailleurs, bien qu’une décontraction de façade cherche toujours à s’afficher sur les pommettes «bronzées» du président. Les réponses qu’il a d’abord apportées semblaient convenues, pas à la hauteur de l’enjeu, voire démagogiques. Mais les rebelles de Saint Guillaume ne sont pas des insurgés de pacotille, et on a senti la tension monter d’un cran lorsqu’ils ont commencé à interrompre le président sans autorisation, du milieu de la salle, et en criant des arguments passionnés. Puis d’un nouveau cran lorsqu’en réaction à ces comportements, la moitié de Boutmy se prit à applaudir les militants. Un peu désemparé, Piñera eu l’idée salvatrice de remettre en cause sa stratégie du mignon chilien baragouinant du français, et se permit une longue réponse finale en espagnol à ses concitoyens, dont je serais ravi de pouvoir vous exposer la substance si je disposais d’un doctorat en compréhension orale d’espagnol-chilien.

Une fin en fanfare donc, dont le bouquet final fut assurée par une rangée de militants au rez de chaussé de Boutmy, brandissant véhémentement une banderole de la largeur d’un rang à la gloire de la liberté des Mapuches et chantant un slogan équivalent, tandis que le président saluait la salle sous les applaudissements non-standingovationnant de celle ci. Une scène ambiguë et en faux-semblant, un peu à l’image de cet homme qui pourrait sans doute se faire votre ami en 15 minutes sans que dix ans plus tard vous n’ayez toujours envie de lui confier 10 euros.

«Vive le Chili, et vive la France»….

Photographie: Roosewelt Pinheiro / Agencia Brasil. Affiche de campagne: Sebastián Piñera 2010.

13 Comments

  • Seb

    Article tout simplement à gerber.
    Puant de mépris. Vraiment. J’ai honte que ce genre de choses paraisse sur un journal d’étudiants de sciencespo.
    La prochaine, soyez plus humbles et sortez un peu de l’analyse simpliste, merci.

  • M. Aigre

     » Et lorsqu’il décide de séduire, le président chilien n’y va pas avec le dos de la main morte. « 

    Pourquoi pas … mais tout de même, c’est léger …

  • Yop

    Je trouve ça très bien que Piniera parle français, au moins on le comprend et il fait des efforts pour nous… Et c’est facile de critiquer son français, je suis sûr qu’il y a plein de gens ici qui ne maitrise pas leur LV1 aussi bien qu’il ne maitrise le français…

    S’il y avait des Chiliens dans la salle qui ont compris la fin en espagnol (qui devait être très intéressante) pourquoi LaPéniche n’est pas allée les voir ? ou voir des hispanophones… parmi toutes les relation que doit avoir l’équipe de rédaction j’imagine (naïvement) qu’il y a des hispanophones (et avec un peu de chance, au moins un est allé voir Piniera).

    Sinon le contenu de l’article est bien, on peut toujours faire des reproches etc mais ça serait oublier que LaPéniche c’est PAR et POUR des étudiants. Engagez des journalistes professionnels vous qui estimez si mal cet article…

  • Michiel

    Article moyen au style arrogant et parsemé de passages tant inutiles que contradictoires. On se demande si l’auteur étudie bien les sciences politiques et pas seulement le pipeau lorsqu’il s’étonne d’un discours pareil venant d’un président :ces pseudo-critiques viennent d’un univers bisounoursesque (pour reprendre le style de l’auteur). Bref: un mauvais cliché de science po à lui tout seul cet « article »

  • Sebastien

    Bien d’accord avec Guillaume. Les attaques sur Pinera sont d’un niveau encore plus démagogique que ce qu’elles reprochent à Pinera elles-mêmes. On dirait qu’on voit le mal partout aujourd’hui. Alors quoi, pour s’adresser à une assemblée de francais qui ne comrpennent pas un mot d’espagnol ( dont visiblement le rédacteur fait partie), il est interdit de parler leur langue maternelle ? moi je dis contradiction interne, puisque tu expliques toi même qu’en espagnol tu es incapable de comprendre.

    Et puis ce Pinera a ici bien mauvaise presse, alors que quand même, il est gentil. Il veut même être ouvert et en plus il s’intéresse à la france, lui au moins. Et tout ce qu’il souhaite pour son pays c’est du développement et la fin de la pauvreté. Peut on vraiment l’en blamer ?

  • Guillaume

    Il faut le reconnaître, c’est un article de merde

    Alors quand l’horrible Pinera parle français c’est une infâme tactique pour éviter les questions qui fâchent et se permettre des imprécisions, dans un discours peu éloquent et qui suscite la méfiance.
    Mais quand il parle espagnol pour répondre à ses compatriotes… ben l’envoyé spécial de la Péniche qui a l’habitude d' »entendre des hommes d’Etat de carrure historique ». ne comprend pas, forcément il faut un doctorat pour ça. Heureusement d’ailleurs, ça lui permet d’éviter de nous dire si Pinera aurait pu par le plus grand des hasards être plus précis et éloquent dans sa langue maternelle

    Bonus: tu as le droit d’expliquer ce que tu entends par « président berlusconio-obamesque »

  • professeur papamacabrosténoconstililisélarguéropoulos

    « Engagé » ? vous appelez ca engagé vous ? c’est d’une mièvrerie à pleurer vous voulez dire. Tout ca parce que l’auteur a essayé de glisser trois critiques à demi explicites. Faut pas se foutre du monde. Comme disait pierre desproges, « je n’ai pas cette hargne mordante des auteurs qui osent critiquer Pinochet à moins de…. 10000 km de santiago ».

    C’est à ce genre d’engagement aigre doux qu’on a affaire là