Sciences Po Monde Arabe – 10 ans après : les révolutions arabes depuis 2011

Les révolutions des années 2010-2011 ont profondément affecté les sociétés des pays du monde arabe. A l’origine d’importantes transformations sociales et politiques, ces soulèvements ont également rencontrés des résistances et de fortes oppositions, menant aux situations tragiques que l’on connait aujourd’hui en Libye, au Yemen ou encore en Syrie. Cependant, l’hiver contre-révolutionnaire ne doit pas effacer le souvenir des révoltes et des luttes menées au cours de ces années charnières pour les sociétés arabes. Sciences Po Monde Arabe vous propose un bref retour sur ces événements qui ont impacté durablement ces pays, et invoque l’art comme moyen de résistance et de révolte, toujours et encore d’actualité.

Le 17 décembre 2010 s’immolait par le feu le jeune Tarek Bouazizi, jeune vendeur ambulant tunisien de 26 ans. Giflé par une policière suite à un contrôle de police ayant résulté en une saisie de sa marchandise, son geste incarne alors le désespoir des jeunes chômeurs des régions intérieures de la Tunisie, marginalisées par la priorité donnée aux riches zones côtières sous la dictature de l’ancien président Zine el-Abidine Ben Ali. Relativement marginal, l’évènement allumera pourtant l’étincelle de la révolte contre un régime policier répressif aux politiques économiques libérales, et ce quelques années après un premier soulèvement ouvrier dans le bassin minier de Gafsa étouffé dans le silence. Parties des campagnes déshéritées de la Tunisie, les protestations sont soutenues et structurées par les organisations de la société civile qui les relaieront progressivement jusqu’à la capitale et catalyseront un mouvement de révolte national. Le 14 janvier 2011, après 24 ans de règne, la famille Ben Ali quitte la Tunisie pour l’Arabie saoudite, réalisant par la même occasion l’aphorisme selon lequel « le peuple veut la chute du régime ».

Impensable, la chute de l’un des autocrates les plus violents du monde arabe catalyse l’espoir des peuples voisins qui se rendent compte que la reprise en main de leur destin est possible. Du Maroc au Bahreïn, en passant par la Syrie, des protestations voient ainsi le jour dans l’ensemble du monde arabe. Réprimées dans la violence, peu d’entre-elles donneront lieu à un renversement du régime en place en raison, de la solidité de ce que Mohammed Hachemaoui qualifie de « complexe État-régime », d’interventions extérieures visant à sauvegarder la mainmise du régime sur sa population, ou du savoir acquis par les dictateurs du monde arabe en matière d’instrumentalisation des communautés politiques et religieuses des sociétés arabes. En dépit de certaines avancées, qui se bornent souvent à des changements esthétiques comme la réforme constitutionnelle marocaine de 2011, force est de constater que les soulèvements arabes se sont largement confrontés à des entreprises contre-révolutionnaires.

Pourtant, ces soulèvements de la dignité ont rappelé aux peuples arabes qu’un horizon de liberté était encore possible : liberté d’informer retrouvée grâce au développement de médias alternatifs sur des réseaux sociaux et applications cryptées comme Telegram, liberté de circuler en raison de l’ampleur des soulèvements qui se sont diffusés sur l’ensemble des territoires nationaux, mais surtout liberté de créer, en témoigne la kyrielle d’initiatives artistiques nées de ces contestations populaires et ayant contribué à les faire résonner. Des chants d’Emel Mathlouthi aux graphismes de Hajo en passant par les broderies Mounira Al Solh  ou mêmes les matchs de foot analysés de Amina Menia, les protestataires n’ont pas hésité à recourir à l’outil artistique tandis que les artistes se mêlaient à la population en tant que simples protestataires.

Salutaire, cet élan n’a pas heureusement pas pris fin avec l’hiver contre-révolutionnaire ayant suivi le printemps arabe. À l’intérieur comme à l’étranger, les sociétés civiles du monde arabe continuent de lutter, même sur des terrains de guerre, afin de faire de l’art un vecteur de tolérance, de coopération et de paix. Jeunes et moins jeunes ont contribué dans un effort artistique à transcender conflits et différences afin de créer de nouveaux espaces communs dans des pays où la scène artistique avait presque disparu en raison de son potentiel contestataire.

10 ans après, c’est tout un panorama d’artistes qui continue de se mobiliser afin de perpétuer l’esprit de la révolution. Contemporains de cette génération de jeunes révoltés, nous sommes à Sciences Po Monde Arabe une majorité, originaires ou pas de la région, à y avoir été confrontés au détour de rencontres, de voyages ou de lectures. Pourtant, la voix de cette scène artistique naissante peine souvent à quitter son pays d’origine afin raconter son histoire au-delà de ses frontières.

C’est dans la continuité de ces observations que Sciences Po Monde Arabe décide de lancer le projet de la « Quinzaine Art-abe », manifestation artistique et conférencière organisée au cours du mois de février, et visant à donner un pupitre à ces artistes, activistes ou citoyens qui ont agi pour le changement dans leurs sociétés respectives et aux conférenciers pour en étayer les enjeux. Ainsi, nous sommes fier.es de vous présenter, du 1e au 14 février, la Galerie du Printemps Art-abe, entièrement constituée des œuvres des étudiant.es ayant accepté de participer à cette entreprise de mémoire par leur travail. Nous espérons que ces œuvres pourront inspirer, décrire, enchanter, révolter, faire vivre les révolutions arabes à travers elles. Ces deux semaines seront également ponctuées de témoignages de témoins et de participant.es aux révoltes. De même, nous aborderons le 5 février le rôle clé des femmes dans ces soulèvements, avec notamment une invitée exceptionnelle, Alaa Salah, qui viendra discuter avec nous de la place des femmes dans la révolution soudanaise. Le 8 févier verra l’ouverture de notre cycle de conférences sur les révolutions arabes. Nous aurons alors le plaisir de recevoir Deborah Perez et Vincent Geisser, deux spécialistes de la politique et de l’histoire de la Tunisie contemporaine, pour évoquer avec eux le cas de la révolte tunisienne et de ses conséquences actuelles. Pour finir, nous espérons aiguiser les curiosités autour du monde arabe et créer une forme de vie étudiante en ce début d’année, à travers des soirées jeux, notamment le 6 févier, ainsi que de nombreuses publications culturelles.

Par Sciences Po Monde Arabe