« Richie » et Sciences Po : ombres et lumières

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Crédits photos : Sciences Po

“On nomme un certain Descoings à la tête de Sciences Po … Tu le connais ?
— Non, qui est-ce ?
— C’est bizarre que cela ne te dise rien, il est de ta promotion à l’ENA…”

Richie, p. 96

1996 : Richard Descoings devient plus jeune directeur de Sciences Po, à 38 ans. “Cela fait dix ans que je m’y préparais !”, lâchera-t-il. Dix ans qui l’ont vu passer de maître de conférences à conseiller du directeur en quelques mois, puis directeur adjoint en à peine deux ans.

Dix ans d’ascension fulgurante qui en auguraient seize autres d’un règne visionnaire mais sans partage ni compromis, parsemé d’éclats, de réformes et de scandales que beaucoup voulaient dissimuler.

C’est ce que peint Richie, avec un œil intéressé, parfois fasciné, sur la vie de Richard Descoings. Dans cet ouvrage à la croisée du récit et de la biographie romancée qui sort ce mercredi, Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde, peint la part d’ombre et de lumière de l’ancien directeur de Sciences Po. Chacun goûte ainsi aux contradictions de ce “Janus des temps modernes”, qui n’est plus tant le directeur mythifié que le réformateur aussi génial que controversé. Voyeurisme ? Regard intime, surtout.

Fantasque, il débouchait vingt bouteilles de grand bordeaux pour défier le chercheur Bruno Latour, fin connaisseur. Habile, Descoings emmenait le spécialiste du monde arabe Gilles Kepel dîner au Siècle et dégotait pour lui les spécialistes les plus convoités. Calculateur, le directeur choyait Dominique Strauss-Kahn, au cas où celui qui donnait ses cours d’économie en Boutmy serait élu à la présidence de la république.

Descoings, Sciences Po, le royaume solitaire

Mais à la “cour de Richard”, dont Raphaëlle Bacqué décrit les chuchotements de couloirs et les intrigues, les failles du royaume étaient flagrantes.

La principale erreur semble être la nomination de sa future épouse, Nadia Marik, au poste de n°2 de l’école, comme directrice adjointe en charge de la stratégie et du développement. A Sciences Po, le rôle de Nadia Marikétait “le point nodal de toute difficulté de gouvernance”, selon un rapport d’un cabinet de consulting commandé par Descoings. “Nommer Nadia Marik au poste de n°2 a contribué à leur enfermement”, explique Raphaëlle Bacqué à La Péniche, qui rappelle que diriger une école avec sa femme était du jamais vu.

Gilles Kepel prend trop d’autonomie et des initiatives dans son dos ? Descoings lui retire sa chaire sur le Moyen-Orient. On le contredit sur l’un de ses monologues pendant ces réunions qui réunissent les chefs de service ? L’impertinent ne remettra pas les pieds autour de la table les semaines suivantes. Le couple Descoings—Marik a banni un opposant ? Interdit pour les autres de le revoir, et gare à celui ou à celle qu’on attrape à la table d’un café avec lui.

“Pour être innovant, il faut être déviant !”

De 2005 à 2010, le salaire de Richard Descoings a augmenté de 70%, passant de 315 000 à 537 000 euros. Les dix membres du comité exécutif ne sont pas en reste : ils reçoivent des primes dont le total avoisine les 300 000 euros. Un temps, il a lorgné sur le Ministère de l’Education nationale, que Nicolas Sarkozy souhaitait lui confier. Plus tard, il a tenté de négocier un salaire digne d’un directeur d’université américaine pour présider Sorbonne-Paris Cité…

L’homme aimait bousculer les conformismes, le directeur n’acceptait aucune remise en cause. Avec Descoings, on pouvait diriger, contrôler l’IEP et croquer la vie dans les bras de deux amants jusqu’à la dernière nuit, être marié à une femme et se revendiquer “premier gay de Sciences Po” en s’accordant la “compagnie” d’étudiants des Beaux Arts transformés en escort-boys entre deux rendez-vous. On pouvait faire la fête avec ses étudiants à Berlin et être hospitalisé quelques mois plus tard dans le plus grand des secrets, après une tentative de suicide.

“Ça en ferait presque un sujet d’examen à Sciences Po, analyse Raphaëlle Bacqué. Pour révolutionner une institution, faut-il être ‘normal’ ? Est-ce qu’il ne faut pas aussi savoir transgresser, choquer, rompre avec le conformisme et les pouvoirs établis ?”

Un ancien étudiant avait peut-être la réponse, justement. “Pour être innovant, il faut être déviant !”, fanfaronnait Descoings. Avant l’ENA, il avait aussi fait Sciences Po.

Richie, Raphaëlle Bacqué, éditions Grasset, 18€.

Richard Descoings et Sciences Po, quelques liens :

Descoings : «Si je trouve que je suis trop payé ? La réponse est non», Libération, 31 janvier 2012
Le monde selon Richard Descoings, Arrêt sur Images, 31 janvier 2012
Richard Descoings a déconstruit un “mythe politique”, Le Monde, 4 avril 2012
Retour sur le départ de Nadia Marik, LaPéniche, 5 septembre 2013
Interview de Richard Descoings, promo IEP SP 80, La Peniche, 6 janvier 2007

Dans la même catégorie : Raphaëlle Bacqué : « il faut voir Richard Descoings comme un déviant créatif   .Raphaëlle Bacqué, grand reporter Monde et auteure de Richie, dans les librairies aujourd’hui, a rencontré LaPéniche pour un long entretien sur les réseaux de pouvoir de l’an  Lire la suite.

One Comment

  • Jean-Patrick Nanteuil

    Le commentaire du livre « Richie » suit la ligne complaisante de l’ouvrage. RD est présenté comme un « réformateur génial » grâce à une déviance sociale, qu’il faut lui pardonner puisqu’elle a produit de si beaux fruits.

    L’ennui est que ces fruits ne sont jamais soumis à examen. Or ils doivent l’être.
    RD a, par exemple,
    – multiplié par 20 les droits de scolarité.
    – multiplié les filières d’entrées en détruisant leurs valeurs de concours
    – éliminé les étudiants issus des classes moyennes. Les étudiants des classes défavorisés étant là pour l’image « sociale », la majorité étant issue des classes ultra favorisées pour financer l’ensemble.
    – accru le nombre d’étudiants en réduisant l’encadrement scientifique. 93% des heures d’enseignement sont faites par des vacataires (source Cour des Comptes) et seulement 7% par des professeurs de ScPo. Aucune institution dans le monde ne peut prétendre être de niveau « universitaire » dans ces conditions.
    – fermé le MBA, après son échec, qui était fatal faute de professeurs de management.
    – été un directeur dictatorial, injuste et irrespectueux des personnes
    – été un formidable hypocrite, proclamant la justice sociale tout en s’en mettant plein les poches.

    Ces échec sur le fond ont été camouflés par un formidable effort de communication, qui fait illusion au niveau national, mais n’empêche pas ScPo de figurer dans les tréfonds des classements internationaux.

    Une évaluation sérieuse des effets de la période Descoings sur SciencesPo reste à faire.