Revue Ciné : Semaine N°10

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Les vacances débutent à peine, et vous vous demandez déjà comment combler vos longues heures de liberté ? Nos rédacteurs ont pensé à vous, et vous livrent leurs impressions sur les films du moment, entre loisir politique, bactéries, poussière du désert et Twilight réchauffé, avec Week-end Royal, Antiviral, La Porte du Paradis, et Sublimes Créatures.

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    Politique de l’intime ou intime de la politique ? :

  • Week-end Royal (2013), de Roger Michell avec Bill Murray, Laura Linney, Samuel West.
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    Nous sommes à la fin des années 30, dans l’Etat de New-York. La Grande Dépression fait encore rage et les relations internationales se tendent inexorablement… Dans ce climat, les dirigeants du monde acquièrent une importance particulière, et nous voilà catapultés dans la résidence du clan Roosevelt, à Hyde Park.

    C’est un portrait intimiste que nous livre Roger Michell. Il montre la visite du couple royal britannique aux Etats-Unis en juin 1939. Les acteurs ne sont certainement pas les mêmes que dans Le discours d’un roi (Tom Hooper, 2010), mais c’est bien George VI et son épouse Elizabeth que l’on retrouve.

    Cette visite diplomatique porte un sentiment d’imminence, celui de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’arracher une alliance à une Amérique isolationniste, alors que le roi anticipe déjà le Blitz et les bombes sifflantes sur Londres. Ce film se veut historique en cela qu’il relate des faits réels. Il offre aussi un regard plein d’humanité sur les hommes de pouvoir, leurs doutes et leurs devoirs. Comment rassurer les peuples et gagner leur confiance ? Le jeune roi bègue trouve en Roosevelt une figure paternaliste, celle d’un politicien de génie à la communication millimétrée, même depuis un fauteuil roulant…

    Outre cette dimension très historique, la comédie est omniprésente. L’humour est fin et remarquablement efficace. L’étiquette de la monarchie britannique se heurte à une Amérique provinciale dans un joyeux désordre. Les maladresses se multiplient et les absurdités réjouissantes donnent à ce week-end une fraîcheur « non-protocolaire ».
    Le dernier aspect qui mérite d’être souligné est la coloration dramatique de ce film. Daisy, la cousine du président, est une des nombreuses maîtresses de Roosevelt et livre une narration sensible. On voit dans cette heure et demi de cinéma un peu de la complexité des relations amoureuses, des crises de couple et des mœurs « libérées » du clan Roosevelt.

    Il ne s’agit certainement pas d’un film inoubliable. Il tournerait d’ailleurs rapidement à vide s’il durait davantage. Les personnages manquent aussi probablement d’épaisseur et de complexité. Néanmoins, Roger Michell propose un divertissement intelligent, finement scénarisé et qui croise les registres. Cette œuvre impertinente et intime offre un regard sans prétention sur l’histoire en marche, celle des hommes et des hasards.

    Pierre-Yves Anglès.

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      Danger sévère de contagion :
  • Antiviral, (2013) de Brandon Cronenberg, avec Caleb Landry Jones, Sarah Gadon, Malcolm McDowell.
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    Antiviral est un film époustouflant. Dérangeant, certes, mais époustouflant. Imaginez tout d’abord un monde légèrement futuriste, où les seules notes dominantes sont le blanc et le gris. Dans cet environnement glacial par sa stérilité, il existe une méthode révolutionnaire pour s’octroyer quelques bribes de plaisir. Moyennant paiement conséquent, la clinique Lucas vous offre en effet vos stars préférées sur un plateau… où trône une seringue. Pardon ? Oui, vous serez plus proche de vos idoles que vous ne l’avez jamais été. Mais comment ? Par le biais de leurs maladies, bien sûr. Quoi de plus unique que la grippe de votre actrice fétiche, dans vos propres bronches ? Quoi de plus excitant que l’herpès de votre chanteur favori, sur vos propres lèvres ? Voilà le travail quotidien de Syd March, jeune homme d’une vingtaine d’année : vendre des bactéries sacrées à des clients avides de contact avec leurs dieux et déesses. Mais Syd est également un adepte du trafic de germes, et son rôle dans la mafia locale ne tarde pas à lui attirer les ennuis les plus sérieux… Brandon Cronenberg signe ici une oeuvre, non seulement d’une esthétique incroyable, mais surtout regorgeant de questions, de doutes, et de mystère sur les possibilités de la biotechnologie, et sur les ressorts de l’être humain. Jusqu’où irons-nous dans la manipulation du corps ? L’éthique est-elle vouée à être écrasée par les attraits chantants du business ? On ressort de la salle les yeux écarquillés, la gorge nouée ; en bref, littéralement assommé par la puissance de ce film.

    Clara Duchalet.

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      L’histoire infâme de l’Amérique :

  • La Porte du Paradis, (1981 ; version restaurée 2013) de Michael Cimino avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt.
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    Cette semaine, vous décidez de vous la jouer cinéphile averti. Ça tombe bien, dans les salles, il y a la ressortie qu’il vous faut. Un film historique grandeur nature, une fresque épique, un chef-d’oeuvre maudit orchestré par un cinéaste tout aussi infortuné ; un film qui, en 1980, a entraîné la faillite d’un géant hollywoodien (la société de production United Artists). Massacré au montage, raccourci de plus d’une heure, assassiné par la critique, La Porte du Paradis de Michael Cimino revient sur les écrans dans sa version originale, telle qu’elle a été pensée par son réalisateur.
    On est en 1890, dans un trou paumé du Wyoming. De pauvres immigrés européens se font descendre par les propriétaires de bétail du coin. Au temps pour les valeurs de tolérance et d’intégration. On dit auf wiedersehen à l’American Dream et à la tant idéalisée Conquête de l’Ouest.
    Fort de sa rage et de sa détermination, Cimino dépeint la révolte des immigrés face aux propriétaires fonciers. Ces derniers tiennent une liste : 125 hommes et femmes à abattre. Soit la quasi-totalité du county. Le shérif local James Avrill (Kris Kristofferson) serre les dents. Mais ce tranquille homme de principes ne tarde pas non plus à serrer les poings, lorsqu’il s’aperçoit que sa bien-aimée Ella Watson (Isabelle Huppert), tenancière d’un bordel, est sur la death list. Cinquante dollars par tête ; les mercenaires sont engagés et le massacre (en tout point légal) peut débuter.
    Si le réalisateur crache son dégoût, il le fait avec une telle poésie, un tel lyrisme qu’on est très vite saisi. Même si on n’aime pas les westerns. Seuls les paysages monumentaux, balayés par d’amples mouvements de caméra, parviennent à égaler la cruauté de l’Histoire. Les amours – non-conventionnelles – sont prises dans un tourbillon de poussière et une giclée de sang. Et si Jeff Bridges ne vous évoque que les frères Coen, ce sera l’occasion ensuite de faire le malin auprès de vos amis.

    Ariane Kupferman-Sutthavong.

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      Lente, lente dépression :

  • Sublimes Créatures (2013), de Richard LaGravenese avec Alden Ehrenreich, Alice Englert, Jeremy Irons.
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    Sublimes Créatures, ça aurait pu être bien. Léna rencontre Ethan, dont elle tombe amoureuse, mais elle a des pouvoirs surnaturels, ce qui complique les choses. Le tout se déroule sur fond de critique du mode de vie à l’américaine (besoin de popularité des jeunes, omniprésence de la religion, ambiance « small town » étouffante). Ça aurait pu être bien, mais ça n’est pas le cas. 


    « Gatlin est la capitale d’Enchanteurland. »


    Léna et Ethan ne sont pas comme les autres : ils sont intelligents (= ils lisent des livres) et torturés (= ils font des dessins dans des carnets). Il y a les bons et les mauvais sorciers (les bons organisent des repas de famille que les mauvais gâchent). L’anniversaire de Léna tombe par un hasard dingue lors du plus fort solstice depuis 5000 ans. Bref, le film ne fait pas exactement dans la subtilité. 
La forme ne sert pas non plus son propos. L’esthétique ressemble à celle d’une pub SFR ; la nuit, tout est bleu moche ; les intérieurs font « le satanisme par Valérie Damidot » et les sorciers ressemblent à un croisement Disney entre David Guetta et Karl Lagerfeld. On voudrait oublier la musique et les dialogues, et détailler le reste de ce qui ne va pas serait long. 
Reconnaissons cependant que l’acteur principal est charmant et qu’il réussit presque à nous faire croire à leur histoire, au début. Disons aussi que le personnage de Léna est rentre-dedans et un peu ironique ce qui change par rapport aux films du genre, même si cela dure vingt minutes après lesquelles elle est complètement suspendue aux lèvres de son mec. 
Sinon, tout va bien en Amérique : on fait le procès de la mère qui n’a pas aimé sa fille et a préféré rechercher le pouvoir ; les jeunes femmes doivent être protégées et guidées et tous les sorciers croient en Dieu. Pire encore, on trouve le moyen de relier l’histoire à la guerre de Sécession. Ceux qui restent dans la petite ville de Louisiane où se déroule le film sont selon les dires d’Ethan « the ones too stupid to leave, and the ones too dead to move ». Les trop cons pour partir ou trop morts pour bouger, voilà le public de Sublimes Créatures. Mais bon, ça aurait pu être une comédie musicale.

    Julie Henches.

    One Comment

    • pauline jacques

      je ne pense pas Julie que tu sois parvenus a saisir la complexité et la profondeur de sublimes créatures, qui montrent avec brillo les problèmes que les américains rencontrent. Ethan est un super acteur, et je pense qu’il faut vraiment montrer aux gens d’aujourd’hui que oui, l’amour est bien possible entre sorciers, noirs ou blancs. sinon, j’aime bien coment tu écris.
      Cordialement,
      Pauline