Rencontre avec Sciences Po En Marche : « Être impliqué politiquement, c’est toujours une responsabilité »

Il y a quelques semaines, La Péniche recevait Jean Cotte, étudiant de première année et responsable mobilisation au sein de Sciences Po En Marche. Politiques en faveur de la jeunesse, proposition de loi dite « sécurité globale », climat, violences sexistes et sexuelles… Jean Cotte est revenu sur les positions de l’antenne sciencespiste du parti de gouvernement.

La Péniche : Peux-tu nous parler de ton parcours, de ton engagement politique ?

Jean Cotte : « Je me suis engagé en politique pour la première fois à Lyon lors des présidentielles de 2017, pour Emmanuel Macron, sa volonté progressiste et notamment sa vision européenne. Ensuite, j’ai participé à la campagne des législatives, puis des européennes avec « En Marche ! », et à la campagne des municipales lyonnaises pour un candidat progressiste. Quand je suis arrivé à Sciences Po, j’ai rejoint Sciences Po En Marche et on m’a donné la très belle opportunité de rejoindre le bureau en tant que responsable mobilisation. »

Jean Cotte
LPN : Incarner le parti de gouvernement au niveau étudiant, concrètement, qu’est-ce que cela implique ?

« La plupart d’entre nous soutenait le parti de gouvernement avant d’être à Sciences Po et, pour beaucoup, avant qu’il ne soit au gouvernement, donc ça n’est pas uniquement une volonté de soutenir le pouvoir en place. Ensuite, je pense que c’est quelque chose de très important et qui n’est pas si simple, parce que c’est toujours plus compliqué d’être pour, d’être dans une démarche militante pour un gouvernement, plutôt que d’être en opposition.

C’est finalement un travail qui est très enrichissant : on participe à beaucoup de campagnes, notamment relatives aux questions étudiantes, on organise des conférences avec des parlementaires, des membres du gouvernement… Il y a cette idée d’amener les politiques auprès des étudiants et leur permettre d’avoir un rapport privilégié. Ce sont aussi des perspectives de campagnes enrichissantes, avec par exemple un possible référendum concernant l’article I de la Constitution, dans le but de garantir la protection de la biodiversité. »

LPN : Quelles responsabilités, quels enjeux ?

« Je pense qu’être impliqué politiquement, c’est toujours une responsabilité, que ce soit pour un parti qui est dans la majorité ou non, parce que finalement c’est représenter auprès de soi, dans son université et dans son entourage, des personnes qui ont un projet de société fort. Un faux-pas de notre part peut jeter l’opprobre sur une action du parti que l’on soutient. Cependant, ça n’est pas forcément plus difficile pour un parti qui est au gouvernement. Je pense que les représentants des autres partis à Sciences Po ont cette même responsabilité, parce qu’ils savent que leur parole les engage eux, mais aussi leur parti et sa réputation dans l’école. »

LPN : Aujourd’hui, le gouvernement est la cible de nombreuses critiques, notamment relatives à sa gestion de la crise sanitaire. De nombreux étudiants ont notamment exprimé leur mal-être et leur sentiment d’être abandonnés. Détresse psychologique, précarité, décrochage… les mesures récemment adoptées par le gouvernement sont-elles satisfaisantes ?

« Je pense que la situation des étudiants est très clairement préoccupante, qu’on est en temps de crise et que ces mesures vont indéniablement dans le bon sens. Peu de personnes de bonne foi peuvent dire le contraire. D’expérience personnelle, ça fait un bien fou de revenir en présentiel, et les étudiants de tous partis, de toutes sensibilités que j’entends autour de moi disent la même chose. Est-ce que ça reste difficile ? Évidemment. Le Président a par exemple affirmé qu’il était compliqué d’envisager une rentrée normale des universités avant septembre prochain. Cela dit, je pense que les mesures du gouvernement aident véritablement les étudiants. Par exemple, c’était déjà une grande avancée de mettre tous les repas au Crous à 1€ pour les étudiants boursiers, mais le fait d’avoir cela pour tout le monde, c’est un frais en moins. Le chèque « psy », dont les modalités ont été données récemment, c’est également une réelle avancée. Enfin, le retour en présentiel à hauteur de 20%, c’est une bouffée d’air frais pour les étudiants. Vient ensuite la grande responsabilité des universités pour faire en sorte que cette jauge de présence soit appliquée. »

LPN : D’autres mesures que vous aimeriez voir mises en place ?

« Ce sont déjà des mesures qui représentent un grand pas en avant, dont il faut observer les effets concrets. Après, s’il existe des mesures qui permettent une amélioration de la situation des étudiants – tout en responsabilité, en gardant à l’esprit qu’il y a une crise sanitaire qui demeure alarmante – évidemment que nous les acceptons et que nous serons les premiers à les demander. »

LPN : Il y a quelques semaines, La Péniche recevait Léon Thebault, coordinateur d’EELV Sciences Po, au sujet d’une tribune[1] publiée par neuf associations, syndicats et partis politiques sciences pistes contre la proposition de loi dite « sécurité globale ». À ce sujet, que penses-tu de l’article 24 de cette proposition ? S’agit-il d’une remise en question de la liberté d’expression, comme l’affirme cette tribune ?

« La première réponse à cette question doit être basée sur le texte tel qu’il est actuellement. Celui-ci commence par ‘sans contrevenir à la liberté de la presse’, donc c’est écrit, c’est clair que l’article 24 n’y contreviendra pas. Diffuser des images dans le but d’informer, ça n’a pas pour objectif de nuire à l’intégrité physique ou psychique d’un policier. Ensuite, vient la question de la réécriture. Aujourd’hui, le Président de l’Assemblée Nationale Richard Ferrand a déjà indiqué que l’article allait être réécrit pour mettre fin à cette confusion qui pouvait faire croire à certains que la liberté de la presse pouvait être mise en cause. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a d’ailleurs indiqué il y a peu de temps au Sénat qu’il y avait eu une erreur dans l’écriture de cet article et qu’il fallait le réécrire.

Ce qui est sûr, c’est que, dans sa forme actuelle, il ne remet pas en cause la liberté de la presse. Y compris pour des citoyens qui ne sont pas journalistes, le fait de porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique, contrairement à ce que certains ont dit, c’est un terme très précis, qui renvoie à des notions définies du code pénal. Ça concerne notamment les actes de torture et de barbarie, de violence et de harcèlement moral… Parce qu’il ne faut pas oublier une réalité, c’est qu’il y a des dizaines et des centaines de policiers qui sont aujourd’hui menacés, qui ne peuvent plus emmener leurs enfants à l’école sans être harcelés… […] Donc oui, la loi se veut plus dure face à ceux qui harcèlent les dépositaires de l’autorité publique, qui ont vu les agressions à leur égard augmenter de 60% en 20 ans. »

Manifestation du 28 novembre 2020 contre la proposition de loi relative à la sécurité globale. (1)
LPN : Ce que dénoncent ceux qui critiquent cette proposition de loi, c’est que 45 000€ d’amende, c’est une somme conséquente, et que ça aura un effet dissuasif. Est-ce que c’est la bonne façon de protéger les policiers selon toi ? Est-ce que ça ne va pas poser un problème du point de vue des violences policières ?

« Je pense déjà que la meilleure manière de protéger les policiers, c’est d’arrêter de les attaquer, d’arrêter de venir dans des manifestations en tant que casseur pour « attaquer du keuf », comme on le voit souvent écrit sur les réseaux sociaux. La deuxième chose, c’est que si cela permet de dissuader des personnes qui harcèlent des policiers en ligne, c’est une bonne chose. S’ils ne harcèlent pas les policiers, ne les menacent pas, ne portent pas atteinte à leur intégrité physique ou psychique, ils n’ont rien à se reprocher. D’ailleurs, le porte-parole du gouvernement et le ministre de l’Intérieur avaient été assez clairs à ce sujet : des vidéos de violences policières [comme nous avons pu en voir récemment] auraient pu être diffusées. Ce n’était pas harceler ou menacer un policier que de publier ces vidéos. Qui plus est, on ne prend pas en compte l’amendement de l’article 24, affirmant qu’il ne contrevient pas à la liberté de la presse, ni le Beauvau de la Sécurité, qui a été lancé récemment et qui va aboutir à de réelles propositions. La navette parlementaire est toujours en train de se faire – le Sénat a indiqué qu’il voulait aussi réécrire l’article – laissons le temps démocratique s’opérer, mais aujourd’hui l’article 24 ne contrevient pas à la liberté de filmer les policiers. Là-dessus, il n’y a pas de flou, pas de question à se poser. »

LPN : À ce sujet, Léon Thebault évoquait un « recul historique de notre démocratie », initié par le gouvernement d’Emmanuel Macron. Plusieurs organismes ont également alerté la France sur les questions relatives au maintien de l’ordre. Peut-on, comme EELV Sciences Po, parler d’un « tournant sécuritaire » ?

« Je ne pense pas que ça soit un bon terme, il n’y a pas de tournant sécuritaire d’Emmanuel Macron. [En revanche], il avait un programme clair sur la sécurité et aujourd’hui, on observe un réel problème d’insécurité dans certains lieux du territoire. Emmanuel Macron a ainsi contribué depuis le début de son mandat à une hausse des effectifs de la police, pour qu’ils puissent mieux gérer le maintien de l’ordre, essayant de remettre dans le droit chemin [cette organisation], après le désengagement qui avait été opéré par Nicolas Sarkozy.

Pour revenir sur cette question de tournant sécuritaire, je pense qu’il faut quand même voir la loi sécurité globale dans son ensemble. D’abord, il y a la question de la police municipale, qu’on vient mieux doter en prérogatives pour qu’elle puisse être au plus proche du terrain […]. Ensuite vient la question de la sécurité privée, parce qu’il ne faut pas oublier que la France doit accueillir les prochains Jeux Olympiques de 2024 et la coupe du monde de rugby en 2023. Donc non je ne pense pas qu’il y ait un tournant sécuritaire d’Emmanuel Macron, je pense simplement que le gouvernement voit ce qu’il se passe en France et le sentiment des Français, et veut permettre à la police d’être efficace et de nous protéger. »

LPN : Trois attentes pour le Beauvau de la sécurité ?

« Je pense que ce Beauvau va permettre une meilleure relation entre les acteurs de la société civile et les forces de l’ordre, c’est une question qui est primordiale. Ensuite, je pense qu’il va permettre une réelle réflexion au sein de la police pour tâcher, elle aussi, d’être à la hauteur du travail difficile qu’elle fait et d’avoir des discussions constructives avec d’autres acteurs de la société. Enfin, je pense que le Beauvau de l’Intérieur sera l’occasion de mettre à plat de nombreux sujets, méconnus ou mal compris par le public français, pour mieux comprendre comment fonctionne notre police. »

Marche pour le climat (2)
LPN : Emmanuel Macron est aujourd’hui très critiqué pour la non-tenue de ses engagements en matière climatique. Quel est ton avis sur le sujet ?

« Très clairement, la question climatique est préoccupante, c’est même un euphémisme. C’est une excellente nouvelle que la jeunesse s’en saisisse. Nous sommes également préoccupés par la question écologique, mais il y a quelque chose que je continuerai de refuser de dire, c’est qu’Emmanuel Macron ne fait rien pour la planète. Si on regarde les années précédentes, personne n’a fait plus. […] On peut penser aux anciens gouvernements, qui n’avaient jamais su statuer sur Notre-Dame des Landes ou sur la Montagne d’Or : Emmanuel Macron a statué sur les deux. Il s’est également engagé pour la fermeture de toutes les centrales à charbon en 2022.

Je conseille à tous ceux qui critiquent la France du point de vue écologique de regarder des cartes du taux de carbone de la consommation électrique en Europe et dans le monde, où la France apparaît toujours en vert pétant, grâce à notre électricité nucléaire qui est une énergie totalement décarbonnée. Il faut aussi rappeler que sur les 100 milliards d’euros du plan de relance, 1/3 est dédié à l’écologie. 30 milliards d’euros, c’est inédit ! On parle aussi de la prime à la reconversion, la fin de l’exploitation des hydrocarbures, la Convention Citoyenne pour le Climat, la fin des véhicules thermiques d’ici 2040, le coup de pouce vélo à la fin du confinement, la reprise des trains de nuit, la prime à la rénovation, la création d’un délit d’écocide, le fait de pouvoir changer sa chaudière pour 1€, de refuser tout accord commercial avec un pays en dehors de l’Accord de Paris, la loi Climat, la création d’un Conseil de défense écologique… Aujourd’hui, Emmanuel Macron a fait énormément pour l’écologie en France. Le défi est immense, c’est sûr, mais dire qu’il n’en fait pas assez, je trouve ça assez déplacé. »


Mobilisation du 8 février 2021, demandant la démission de l’ancien directeur de Sciences Po Frédéric Mion (3)
LPN : Pour revenir sur l’actualité récente de Sciences Po, à la suite des révélations d’inceste concernant Olivier Duhamel, ancien Président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), faut-il une réforme des instances dirigeantes de notre école ? 

« Avant toute chose, je voudrais exprimer mon profond soutien et toutes mes pensées à toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles, tout particulièrement à toutes les victimes de pédocriminalité et d’inceste, terriblement marquées par cette histoire, et aussi à Victor Kouchner. Les crimes d’Olivier Duhamel sont abjects et je pense que Sciences Po en ressortira changée, il y aura un vrai travail pour mieux lutter au sein de l’institution contre les violences sexistes et sexuelles. Il y a beaucoup à faire et tous les étudiants auront leur rôle à jouer et nous serons parmi eux, pour que notre école soit à la hauteur de ces enjeux colossaux. »

LPN : Idéalement, quel avenir pour la jeunesse ?

« À Sciences Po En Marche, nous faisons partie d’une jeunesse qui s’engage et demande le progrès, qui veut être résolument tournée vers l’avenir, avec une vision profondément européenne. Je pense qu’on pourrait résumer notre engagement à notre volonté, notre envie pour l’avenir. On s’engage pour le progrès, pour une France présente à l’international et qui ne se cache pas. »

Propos recueillis le 02/01/2021.

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(2) Image libre de droit, Pexels, Markus Spiske

(3) Elise Ceyral


[1] Lien de la tribune : https://www.politis.fr/articles/2020/12/securite-globale-ce-nest-pas-la-france-dont-nous-voulons-42605/