On a passé la soirée avec Jean-Luc Mélenchon (et un peu avec Catherine Deneuve)

Photographie : Loris Boichot

 Indésirable en amphi Boutmy, Jean-Luc Mélenchon a finalement tenu la conférence de l’année du Front de Gauche SciencesPo hier soir, dans un amphi Caquot bondé au 28 rue des Saint Pères.  

Pierre-Yves Cadalen, membre du bureau FDG, qui le déplorait d’autant plus qu’il était “sûr de pouvoir remplir Boutmy avec un invité pareil« , a accueilli l’ex candidat à l’élection présidentielle pour un débat pseudo-contradictoire avec le très libéral Hadrien Clouet (NDLR : l’administration n’autorise un invité politique à venir à Sciences Po que dans le cadre d’un débat contradictoire; le Front de Gauche a donc feint de se plier à la règle) qui fut certainement l’un des grands temps forts de la vie associative et politique sciencepiste de l’année 2014-2015.

Le maître de conférence doctorant a finalement laissé le député européen s’exprimer pendant un peu moins de deux heures de manière ininterrompue, sans intervention du public, autour de la laïcité et de la souveraineté.

 

Un cours d’histoire passionnant

Remettant en perspective le processus historique qui a conduit à l’émergence du principe de laïcité, Jean-Luc Mélenchon a appelé à une défense absolue de la laïcité et  “« à tenir ferme les principes qui font la France ; parce que si vous lâchez, il n’y a plus de France. (..) Il faut renforcer les anticorps républicains de la patrie et la laïcité en fait parti”. “Nous sommes le seul pays à nous construire sur un programme politique Liberté, Egalité, Fraternité: c’est la République qui fonde la Nation et non l’inverse” a-t-il poursuivi.

Du basculement du rapport de forces entre temporel et spirituel sous Philippe Le Bel  au passage de la liberté de culte à la liberté de conscience, la conférence de Jean-Luc Mélenchon fut sans conteste le meilleur cours d’histoire auquel la plupart des étudiants de la salle n’avaient jamais assisté depuis leur entrée à Sciences Po. L’ancien sénateur a éboui le sinistre amphi Caquot de sa verve et de son érudition tout au long d’une conférence bien plus ambitieuse intellectuement que celle proposée par ses collègues écologistes il y a quelques semaines.

La loi est universelle, elle s’applique à tout le monde de la même manière. Or, l’universalité de la loi suppose l’unité du peuple qui prend la décision, donc il ne peut pas y avoir de loi particulière pour telle communauté qui ne s’appliquerait à tous les autres” a-t-il également poursuivi dans un long réquisitoire contre le communautarisme.

S’attaquant aux vendéens, “ces traîtres à la nation”, Jean-Luc Mélenchon n’a évidemment pas résisté à l’envie de disserter à plusieurs reprises sur la Révolution Française, quitte à indisposer certains auditeurs.  “Il est venu parler des enjeux de la laïcité au 21ème siècle, donc quel est l’intérêt de parler des vendéens, des prêtres réfractaires et de Robert II Le Pieux ?” regrette un des participants.

Photographie : Loris Boichot

 

Une fin de soirée animée

Alors que la conférence s’est achevée aux alentours de 21h, Jean-Luc Mélenchon n’a pas échappé en quittant Sciences Po après de longs applaudissements au micro de Cyrille Eldin. Le leader du Front de Gauche a remonté face à Eldin toute la rue des Saint Pères suivi avec entrain par une nuée de sciencepistes qui se sont précipités sur le journaliste vedette de Canal + pour quelques selfies.

Jean-Luc Mélenchon, accompagné par une quinzaine de sympathisants a ensuite remonté tout le boulevard Saint Germain jusqu’à la rue Bonaparte et le café des deux académies où il a passé la soirée jusqu’à la fermeture de l’établissement aux alentours de 23heures. Le cortège du député européen a notamment croisé le chemin de Michel Hunault, ancien député Nouveau Centre et de Catherine Deneuve, attablée boulevard St Germain, au bar attenant à la Brasserie Lipp en face du café de Flore. Rencontre surréaliste en plein Saint Germain des Près même si Jean-Luc Mélenchon ne l’a pas aperçue.

Mais avec le très sanguin Jean-Luc Mélenchon, cette soirée germano-pratine ne pouvait être de tout repos. Tout d’abord, à la fin de la conférence, il a notamment eu un vif échange avec une étudiante de confession musulmane sur la laïcité : pendant plus de cinq minutes, la science piste a réussi à tenir tête à l’ancien candidat à la présidentielle, jusqu’à le faire sortir de ses gonds. “Vous pouvez comprendre que ça [NDLR : le port du voile] puisse offenser des gens : comprenez que j’en ai ras le bol.”.

Jean-Luc Mélenchon avec Cyrille Eldin. Photographie : Loris Boichot.

Lorsque la jeune étudiante lui fait part de sa crainte de sortir dans la rue de peur d’être menacée, Jean-Luc Mélenchon soupire et se voit alors rétorquer qu’il est facile pour lui de soupirer sachant qu’il a deux gardes du corps à ses côtés.  “J’ai deux gardes du corps avec moi parce que je me tape les fanatiques juifs, les fanatiques musulmans, les fanatiques coptes, les fanatiques bretons, bref, ils en ont tous après moi parce que moi je ne participe à aucune de leur folie” s’emporte alors Jean-Luc Mélenchon.

S’ensuit une altercation acadrabantesque avec un militant Front de Gauche qui le félicite d’avoir su monter une alliance avec l’Union Démocratique Bretonne, parti régionaliste de gauche, ce qui suscite mystérieusement la colère de l’ancien sénateur, qui se demande où l’étudiant a trouvé l’information. Le militant, attaqué, sort alors de ses gonds : “vous êtes pas obligés de m’agresser merde !”. “Allez vous faire éduquer par vos parents et fichez moi la paix” lui répond Jean-Luc Mélenchon avant de partir en interpellant ses proches : « c’était quoi son problème avec celui là ?« .

“There you go again” une heure plus tard dans le café des deux acamédies, en petit comité : face à un sympathisant sciencepiste qui lui fait part de son admiration et qui l’interrogeait sur la pertinence de sa stratégie de communication agressive, le leader du Front de Gauche lui rétorque “vous n’avez  qu’à pas voter pour moi” et quitte la table en grommelant “je vais pas me faire donner des leçons  par un mec de 20 ans, c’est bon”.

 

Mélenchon n’a rien compris à la victoire de Tsipras

Ces deux altercations entre Jean-Luc Mélenchon et ses militants ne sont pas anecdotiques : elles ont un sens, une importance politique qui va bien au-delà de la simple péripétie et je n’ai pas choisi de les rendre publiques dans La Péniche pour le simple plaisir médiocre de l’aspirant journaleux, satisfait de prétendre divulguer un ersatz de scoop qui serait une fin en soi.

Ces deux échanges très musclés, tenus dans un cadre privé ou quasiment privé dans le premier cas, portent un coup fatal au discours tenu par Jean-Luc Mélenchon quant à son attitude soit-disant volontairement agressive et véhémente à l’égard des journalistes.  Celui ci prétend que cette violence et cette brutalité permanentes ne seraient qu’un piège tendu à la classe médiatique, une posture. Jean-Luc Mélenchon ne ferait qu’entrer dans le jeu de la classe “BFM TV” qui passe son temps à “bestialiser l’ennemi”, à le dépeindre comme un “monstre glapissant”.

Soit. Mais alors pourquoi se laisser à aller à de telles saillies devant une poignée de sympathisants ? L’argument de la posture ne résiste pas à l’épreuve des faits que nous avons eu l’occasion de constater hier soir. 

Alexis Tsipras et Pablo Iglesias. Crédits : Aris Messinis, AFP

Une pareille rigidité n’est au fond pas celle d’un homme qui cherche à exercer le pouvoir : c’est celle d’un homme qui a renoncé à convaincre ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. Celle d’un homme qui ne cherche pas à dépasser les 11% des suffrages exprimés. Quel contraste avec un Alexis Tsipras triomphant ou un Pablo Iglesias qui s’apprête à l’être : tous les concepts, toutes les ridigités, tous les dogmatismes d’un Jean-Luc Mélenchon sont justement les vieilles lunes dont se sont débarassées Podemos et Syriza pour accéder au pouvoir ou aux portes du pouvoir.

Alexis Tsipras n’a pas réuni 40% des grecs derrière lui en s’armant de concepts abstraits, de longs discours sur les prêtres réfractaires et les vendéens. Dans une vidéo qui a fait le tour de la toile, Pablo Iglesias prend exemple sur des étudiants partis à la rencontre de citoyens lambda armés de concepts solides et maîtrisant en théorie les processus sociaux de la lutte des classes mais incapables de se faire écouter des gens qui ne comprennent rien.

En s’armant de Gramsci, Iglesias affirme qu’“on se fait avoir depuis des années. Le fait que l’on perde à chaque fois implique une chose : que le sens commun des gens est différent de ce que nous pensons etre juste.” “C’est comme ça que l’ennemi nous veut : petits, parlant une langue que personne ne comprend, minoritaires, cachés derrière nos symboles habituels, où nous ne présentons aucun danger”. Jean-Luc Mélenchon a 33 ans de plus que Pablo Iglesias. Mais Podemos a 33 ans d’avance sur Jean-Luc Mélenchon.

Cet éditorial a pu être écrit grâce à l’aide et la relecture précieuses de Loris Boichot. 

9 Comments

  • Lecteur

    Enfin un article analytique de La Péniche, on retrouve là la fonction originelle de ce journal science piste. Analyse pertinente bien que parfois un peu frêle, merci Alex Baptiste pour ce reportage pour une fois intéressant !

  • Suzy

    « Rencontre surréaliste en plein Saint Germain des Près même si Jean-Luc Mélenchon ne l’a pas aperçue. » Wah putain merci le scoop.

  • Momo

    « vif échange » se terminant par un selfie entre Mélenchon et la jeune femme. Ne déformez pas tout, sinon ça n’est plus du journalisme…

    • Carole.D

      Pablo Iglesias évoque des militants politiques qui s’adressent à des grévistes. Contrairement à ce que vous dites, J.L. Mélenchon s’adapte au public qu’il a en face de lui, je suppose qu’il s’imaginait ces étudiants de Science-Po plus à l’aise pour manier les concepts politiques. Apparemment moins que les gens de la rue… J’ai vu la conférence sur internet (et je ne suis pas étudiante à science-Po), et c’est toujours un moment d’éducation qu’il nous fait partagé, plus ardu que dans un meeting, moins familier que dans une interview, moins chaleureux que dans une rencontre avec des salariés en lutte. Mais j’ai comme l’intuition que vous suivez tout ça de très très loin…
      Si vous connaissiez un peu mieux A.Tsipras, ou depuis un peu plus longtemps que son élection, vous l’auriez peut-être entendu citer et remercier J.L. Mélenchon tout au long d’un discours, c’était en mai 2011, au gymnase Japy. A l’époque, il prenait appui sur ce qui se passait en France avec le Front de Gauche, J.L. Mélenchon et le Front de Gauche étaient ses références pour lui et pour Syriza.
      J’ai l’impression que vous vous laissez un peu trop influencer par la petite ritournelle des médias (des centaines d’articles en deux jours avec le même titre ou le même « concept » : « Mélenchon ne sera jamais Tsipras », « le Front de Gauche ne sera jamais Syriza »…). Chaque fois qu’un titre revient en boucle sur la toile ou dans les médias, on devine qu’il s’agit d’éléments de langage (PS + médias). Franchement, c’est malheureux, mais ce bourrage de crâne est à la fois énervant et pitoyable. On aimerait vous aider.
      La vérité, c’est qu’il fait peur J.L.Mélenchon, (sinon pourquoi les médias écriraient en boucle ce même titre en deux jours ?), il fait peur parce qu’il est brillant, qu’il va de l’avant (l’âge n’a rien à voir là-dedans), il a une capacité incroyable de synthèse. Je le considère comme visionnaire, il a tout à la fois la maturité et une fraîcheur de jeune homme avec une grande capacité à se remettre en question, y compris au niveau de la méthode. J.L. Mélenchon défend ses convictions, certes, mais je suis très souvent étonnée par sa capacité à rebondir sur une difficulté, à prendre le problème différemment, à se renouveler et à se remettre à l’ouvrage… pour celà, il ne faut être ni rigide, ni dogmatique comme vous dites.
      Je vous souhaite cher Alex Baptiste de garder votre fraîcheur aussi longtemps que lui et d’être un peu moins définitif dans vos affirmations.