Nouveau cycle du Ciné-club « De Guitry à Kechiche » : présentation

Roman_d_un_tricheur_1936.jpgDe Guitry à Kechiche, parcours initiatique autour de la cinématographie française

par Juan Paulo Branco Lopez

« Le film des films, le crédo des cinéphiles » François Truffaut, à propos de La règle du jeu

Le roman d’un tricheur (Guitry)
La règle du jeu (Renoir)
Maine-Océan (J. Rozier)
La graine et le mulet (Kechiche)

Voici qu’avec le second semestre arrivent gazette, nouveau cycle et concours divers et variés. Installés et bien ancrés en Boutmy, nous avons décidé de rendre hommage en cette année naissante à la cinématographie française en vous proposant un petit parcours initiatique traversant les époques sobrement intitulé « De Guitry à Kechiche ». Limités par le nombre de projections, quatre, nous avons tenté de tisser un fin lien entre les années trente, où deux génies aussi opposés que complémentaires que furent Renoir et Guitry se rencontrèrent, la tardive nouvelle vague et le renouveau du cinéma français, qui est pour nous aujourd’hui incarné par Abdellatif Kechiche. Plus que renouveau, nous devrions d’ailleurs parler de relève, tant il semble que Kechiche reprenne le flambeau plus qu’il ne fasse table rase du passé.

Il y a en effet une continuité entre ces artistes et entre ces œuvres que nous avons décidé de vous montrer. Au-delà de l’aperçu historique ici offert, nous avons tenté de révéler quelques lignes de force qui à notre sens lient ces quatre réalisateurs. Si le cycle est un prétexte magnifique pour découvrir ou redécouvrir de véritables chef d’œuvres, il est aussi une invitation à la réflexion, à un plongeon dans l’histoire de la société française et de ses évolutions, magnifiquement dépeintes dans les quatre œuvres proposées. Nous espérons que vous saurez apprécier les points communs, mais aussi les différences et les évolutions dans l’approche du cinéma de ces quatre immenses auteurs qui ont marqué à jamais le cinéma, en France comme ailleurs. Ainsi Guitry avec son  Roman d’un tricheur fut le premier à utiliser la voix-off et permis à un obscur américain du nom d’Orson Welles de réaliser Citizen Kane, et Renoir ouvrit la porte à une Nouvelle vague dont tous reconnaissent aujourd’hui l’importance…

laregledujeu.gifLes quatre films sont des odes à la liberté et se refusent à tout dogme, fusse-t-il celui de l’anticonformisme. Du générique parlé de Guitry à l’utilisation de la vidéo par Kechiche en passant par les fondus non-accompagnés de rupture temporelle de Rozier et le rythme accéléré imprimé à certaines phases de la Règle du jeu, les conventions se voient tour à tour scrupuleusement respectées puis malmenées dans un jeu qui n’a jamais de gagnant, où jamais l’un des auteurs ne cherche à faire de la destruction des règles le centre de son discours. Plus encore, ils n’hésitent pas à s’appuyer sur celles-ci pour mieux les malaxer, les adapter à leur génie et à leur propos, sans oublier quelques menues provocations, ici un regard caméra pour Guitry, là un plan sur un lapin mort pour Renoir.

la_graine_et_le_mulet_0.jpgVéritables créateurs, ne rejetant pas les partis pris esthétiques, ces quatre auteurs ont cependant préféré éviter les discours formels pour se centrer sur leur réel combat, leur sujet véritable: la condition humaine. Leurs films dénotent une certaine forme de gai fatalisme, où les dérives sociétales ne sont pas prétexte au désespoir et au mélodrame, mais ne sont pas ignorées pour autant.

La sublime bataille de Beiji dans La graine et le mulet symbolise le paradigme qu’atteignent les propos de tous ces films: à la fois foncièrement dépendants de la société et du cinéma, les auteurs comme leurs personnages ne peuvent éviter d’en tester les limites, d’aller à leur marge, comme pour les défier, voir tenter de s’en débarrasser.

Tout en voulant se libérer des contraintes que lui impose une société profondément égoïste et raciste et cherchant à s’en émanciper une fois pour toutes, Beiji ne peut que s’appuyer sur elle pour lancer son restaurant et se libérer partiellement. Ainsi tous les personnages cherchent-ils à trouver cet équilibre libérateur, acceptant toujours ce compromis forcé sans amertume, comme acceptent les réalisateurs de se plier aux règles formelles sans frustration, mais avec malice, sachant en jouer pour mieux les déjouer et refusant de les fuir.

maine_ocean.jpgLa bataille de ces auteurs n’est pas essentiellement esthétique, donc. Elle est plus immense, plus intense. Témoins de leur époque, leurs films le sont par le point de vue qu’ils offrent sur la société qu’ils ont choisi de dépeindre. Que ce soient les communautés maghrébines, la haute société monégasque, la grande bourgeoisie d’avant-guerre ou une certaine classe moyenne des années quatre-vingt, aucune œuvre ne refuse ce cadre à la fois sociétal et « épopesque » qui loin de diminuer leur discours, leur donne un ancrage réaliste qui les renforce. Plus ou moins accessoire selon le film, la société détermine systématiquement le destin des personnages, les façonnant et les guidant. Alors que dans Maine Océan les distinctions sociales s’effacent progressivement pour qu’à la fin ne restent que des individus indistincts, La graine et le mulet se refuse à abolir une lutte des classes plus que jamais réaffirmée, où tout est rapport de pouvoir et de domination. C’est dans une certaine mesure ce qui arrive dans le film de Renoir, qui ne réussit à sortir d’un cadre aristocrato-bourgeois oppressant tant sa déperdition semble contraster avec la désinvolture de ses membres: si la thématique des rapports sociaux n’y est pas problématique, elle reste présente tout au long du film et ne cesse d’influer sur son déroulement. Seul reste alors Guitry, Guitry et son regard moqueur, qui ne semble s’appuyer sur la société que pour mieux réaffirmer les caractères de ses personnages, faisant régner l’individualité et la destinée sur tout propos politique et/ou social.

Voilà donc quelques lignes de convergence ici tracées qui ne sauraient être exclusives et que nous aurions aimer développer. Espérons seulement que ces films vous donneront envie de les discuter, de les réfuter ou de les développer, pourquoi pas dans le prochain numéro de la gazette…

A bientôt !

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