Le sordide et la grâce: Poetry

poetry_film.jpgIntime. Poignant. Sordide. Voici trois mots pour décrire cette nouvelle perle du cinéma coréen. Découvert à Cannes au mois de mai dernier, « Poetry » (« shi » en coréen) est l’œuvre du réalisateur coréen (et ancien ministre de la culture) Chang-dong Lee (1). Porté sur l’humain et recherchant sans cesse la beauté là où on ne l’attend plus, le cinéaste réalise ici une ode à la poésie.

L’histoire se déroule dans une petite ville de Corée du Sud où vit une grand-mère et son petit-fils. Arborant chapeaux et robes colorées, Mija (Yun Jung-hee) est une femme élégante, raffinée. Un peu excentrique peut-être. Ou suffisamment fantaisiste. Elle est aimante envers son protégé au comportement totalement déconcertant. Un adolescent dédaigneux et égoïste qui engloutit ses repas les yeux rivés sur la télévision. La nuit tout juste tombée, Mija aime pourtant jouer au badminton avec lui. Mais entre eux deux, il n’y a finalement pas vraiment de dialogue. On croise plus souvent un regard, entend tout au plus une remarque. Ne rien dire pour mieux montrer… c’est dérangeant en fait. Voilà un film contemplatif qui ne nous épargne pas.

Un jour Mija apprend que quelque chose de grave est arrivé au collège. Agnès, une jeune collégienne, aurait sauté du haut d’un pont parce qu’elle ne supportait plus d’être violée régulièrement, et ce depuis plusieurs semaines, par six camarades de classe. Effroi ! Mija apprend rapidement que le petit-fils adoré fait parti des ces jeunes criminels. Comment réagir ? Telle une évidence, les pères des cinq autres garçons décident de dédommager la mère d’Agnès afin qu’elle ne porte pas plainte. Avec la complicité du collège, 30 millions de wons (21 000€) lui sont proposés. Terrifiant, n’est ce pas !? Cependant, Mija, élevant seul son petit-fils, ne dispose pas des 5 millions qui constituent sa part. Chang-dong Lee nous renvoie ainsi une image très critique de la société coréenne.

Femme intègre et lucide, malgré une maladie d’Alzheimer qui l’emporte vers l’oubli, Mija trouve une sorte de refuge dans les rimes. Curieusement, elle part à la recherche des mots alors qu’elle commence à les oublier. En effet, elle s’est inscrite, un peu par hasard, à la maison de la culture pour suivre un cours de poésie. Désirant écrire quelques vers, elle met en application, consciencieusement, les conseils de son professeur. Ainsi, elle est amenée à redécouvrir son environnement habituel. Jusqu’alors, elle n’avait jamais véritablement prêté attention aux formes gracieuses des pommes, au vent qui caresse les feuilles, ou même à l’intense beauté d’une fleur rouge. Prosaïsme ? Nullement, cette entreprise stimule Mija ! Elle lui permet surtout d’affronter cet effroyable épisode. Non sans peine bien sûr. Elle reste une femme élevée dans la tradition, à la morale intransigeante, et doit faire face à une société brutale en perte de repères.

Même si la poésie ne libère pas les gens de leur réalité, la quête n’est pas vaine. La pomme est certes mangée et la fleur rouge s’avère artificielle, mais le poème de Mija, Les chants d’Agnès, sert d’épilogue. Les rimes sont d’ailleurs même portés par la voix de la jeune morte. Mija semble enfin avoir pansé les plaies. Expier les fautes. Le film se clôt. On retourne près du fleuve. Confusion. Mija s’en est allée…

Récompensée par le prix du meilleur scénario, cette œuvre est un parfait mariage entre le drame et la douceur. Le sordide et la grâce.

2 Comments

  • cdez

    Tout le monde évoque la Poésie, ce qui se justifie vu le Titre Poetry, mais
    que penser du viol ? de la pratique des tournantes ? et du mutisme d’un des auteurs de cet acte ?
    Que penser aussi du geste des deux enfants qui embrassent leur grand-père (Le président, comme l’appelle Mija) sur la bouche, grand-père handicapé considéré comme objet et sans sentiments ?