Le rendez-vous manqué de l’egomaniac Joeystarr

Ces derniers temps, force était de constater cette habitude un peu facile que nous avions adopté : on ne parlait plus de Joeystarr que dans la rubrique des faits divers ou dans celle consacrée au septième art. Il n’y en avait plus que pour l’acteur reconnu et « bankable », l’ex-taulard presque repenti, et plus récemment selon ses dires l’homme au foyer. Le Jaguarr est donc enfin de retour aux affaires du hip-hop et nous le fait savoir, il n’a qu’une seule ambition : parler de lui et le faire haut et fort. C’est dans ce contexte d’agitation médiatique autour de lui qu’il livre son second effort personnel, intitulé Egomaniac, près de cinq ans après la sortie du précédent opus Gare au jaguarr.

joeystarr L’attente des fans de l’expert de la maison mère se trouvant ainsi à son paroxysme au moment de la parution du disque, qui fait suite à la reformation de NTM en 2008 le temps d’une tournée, gageons dès lors que la plupart d’entre eux n’en seront que plus déçus. Ne vous fiez pas aux premières minutes de l’album, elles sont sensationnelles : Joeystarr en trois morceaux résume et son disque, et son credo, et prouve qu’il est bien encore là. Le jaguarr a passé du temps en cage, et fait sentir qu’il a la rage au ventre : le beat est lourd, le flow tendu, le lexique militaire (« Le hip hop est ma guerre », « toujours prêt à croiser le fer », « j’ai le hip hop belliqueux », etc.). Son envie d’en découdre ne s’arrête pas à l’homérique single « Jour de sortie », qu’il décline en deux versions aussi excellente l’une que l’autre, puisqu’il balance avec son compère Degom en troisième piste un morceau sobrement baptisé « Hip hop » et dont le refrain est parfaitement taillé pour faire communier les publics des salles de concerts où il se rendra cet hiver (« Le hip hop il est où ? Là pas ailleurs »).

La suite est quant à elle beaucoup plus délicate à bien des égards. Le disque ne décolle pas, et au contraire s’enlise égrenant les poncifs désuets que Joeystarr aurait franchement pu éviter. D’abord caricatural, l’artiste propose des thèmes déjà vus et très simplistes : populisme de bas étage revendiqué (« On te voit » et « Je paie pas » où la diatribe sur Roselyne Bachelot était dispensable), règlements de compte sur fond de Bad Boy attitude comme avec « On n On » adressée à Doc Gynéco, sur laquelle on retrouve une volonté exacerbée de prouver sa virilité ultime, que de clichés ! Les instrumentaux et le mixage sont eux totalement hasardeux et pas toujours de très bon goût. Se voulant moderne, et en rupture avec ce qu’il a pu faire auparavant, Joeystarr délaisse les beats emprunts de groove et de funk qui avaient fait le succès du Suprême NTM. Aux basses et rythmes efficacement épurés succèdent des nappes de synthétiseurs ou quelques boites à rythme trop lourdes (« Complexe »). Point de cuivres et trop peu de guitares : dommage.

Mais les vraies lacunes du disque sont autres. Sa longueur pose problème : une heure et dix sept plages, c’est vraisemblablement trop. Surtout quand trois d’entre elles ne sont que des interludes presque risibles tant ils sont inutiles … Le premier de ceux ci vire même au copinage et l’on ne peut s’empêcher de voir en « l’appel » d’Olivier Besancenot une blague ridicule. Joeystarr commet également l’erreur – une de plus – d’avoir inclus dans ses morceaux différents faire-valoir sans talent. Nathy Boss qui intervient sur « On n On » en est la parfaite illustration. Et bien que le Jaguarr ait mentionné sur la pochette une interdiction aux moins de seize ans, on jurerait voir un débarquement de prépubères fraichement sortis d’une cité du fin fond de l’Essonne. Aucun d’entre eux n’a la justesse d’un Kool Shen. Prévisible.

Ceci étant Joeystarr n’en demeure pas moins un formidable interprète, bien plus dans la tension et l’émotion que le débit rythmique machinal pur, hélas trop souvent composant caractéristique du rap. Il est ainsi bouleversant quand il revisite des standards de la chanson française (« Mamy » qui emprunte au « Mamy Blue » de Nicoletta) ; et force le respect lorsqu’il rencontre Oxmo Puccino –poète plus lyrique que Joey-. Le titre « Mon rôle » fait d’ailleurs figure de point d’orgue de l’album, grâce auquel on assiste à un métissage racé et élégant des styles des deux hommes qui se marient à la perfection.

Joeystarr avec ce disque ne sauvera donc pas le hip hop français en pleine dérive. Ca reste évidemment meilleur que beaucoup de productions sorties dernièrement, on pense bien sur à La Fouine ou à Booba, coupables d’albums vraiment mauvais. Et si sa plume acerbe et son phrasé si particulier que l’on apprécie naturellement restent de très bonne facture ; malheureusement c’est quand même très en deçà de ce que nous avons pu connaître via la mythologie du Suprême NTM. Vous avez dit pétard mouillé ?

Joeystarr, Egomaniac – Sony/Jive Epic

4 Comments

  • Kormyr

    Pas du tout d’accord avec cette critique. J’en ai pris plein la gueule avec « On te voit » qui s’écoute … ! J’ai plus les mots pour illustrer le chef d’oeuvre de cette album habile. Je regrette que ce soit pas un pote à moi Joey Starr, un mec a qui je pourrais dire : Tu as un coeur mec, et tu m’ réconcilié avec le rythme offert à l’urgence de vivre par ton imaginaire. Merci à toi, et envoie moi dans les cordes. Ton Album est audacieux, habile, et j’avais besoin pour vivre d’une insolence rythmique très forte qui retrouve l’honneur perdu du rap face aux médiocre Booba ou autres no-cultures … J’ai même failli chialer, tant ton truc suis les règles de ton « Je ». ENfoiré tu m’as eu je t’aime même si t’es un mec qu’a les couilles de l’Art, je t’aime je te le dis, et si ca te gène je t’emmerde !

  • brice

    Vous critiquez sont analyse mais ce qu’il dit n’est pas complètement faux , il a dit quand même les points fort de l’album et les points faible malgré que je suis pas d’accord sur ce qu’il dit sur complexe qui est pour moi le titre qui se rapproche dans les couplés de ce que Joey Starr pouvait proposé avant. Après comparé ce que fait Joey Starr avec Booba et la fouine c’est totalement con sachant que sa touche pas le même publique .Mais aussi c’est vrai que certaines instru de l’album ne sont pas forcement bonne et je trouve que l’effet qu’il a donné dans « dans mon secteurs » malgré que sont titre aurait pu être bon est bof . Puis pour conclure dire que c’est moins bon que NTM c’est normal car le niveau est beaucoup trop haut je pense mais ça reste un album bon quand même qui est loin d’être raté et qui fait plaisir à écouté.

  • Axpal

    Bigre quelle analyse !
    Joey Starr a deux défauts, il ne mange pas chez Sarko (doc Ginéco), il en pleure pas aux resto du coeur (Solaar), et de plus il parle de classes sociales, le summum du vulgaire et du ringard.
    Il reste le meilleur, je l’adore et on se fout de votre analyse bidon.
    Suffit de lire le reste de votre mag pour comprendre que Joey Starr n’a rien a faire chez vous;
    Bonne nuit les petits.

  • Heenok

    C’est tellement facile de critiquer encore et toujours Booba avec des : « Bien sûr », mais il a fait beaucoup pour le rap français et écrit à mon sens mieux que Joey Starr (et puis, au moins, on comprend ce qu’il dit). De toute façon, « NTM, Solaar, IAM, c’est de l’antiquité » !