Le Général Petraeus à Sciences Po: Noël avant l’heure

General David PetraeusAnnoncée discrètement la veille, la venue du Général Petraeus mardi 23 novembre dernier fut une sacrée surprise ! Nombreux furent déçus de n’avoir pu trouver une place pour la conférence en « live » en raison des journalistes et autres membres du gouvernement et de l’Etat major qui avaient occupés Boutmy. On aura apprécié la visite du service de déminage – « Mais.. Y a une bombe ? » – et le silence inquiétant des appariteurs. C’est finalement depuis le profil facebook de Richard Descoings que la nouvelle se répand.

Après le Sommet de l’OTAN à Lisbonne, David Petraeus s’est entretenu avec les députés à huit clos. Docteur en sciences politiques à Princeton, en vrai théoricien il a écrit le nouveau manuel de contre-insurrection de l’US Army. Commandant de Mossoul, puis de toute l’Irak où il a freiné la violence, il finit au Centcom (Moyen Orient) bardé de médailles. Il a utilisé en Irak la stratégie du « surge », l’augmentation temporaire des effectifs, actuellement reprise en Afghanistan. À la demande du président Obama, il a accepté en juin dernier de ne plus s’occuper que des forces de l’ISAF en Afghanistan.

Il parle de la situation avec lucidité et intelligence, faisant preuve de culture et de modestie. Voilà qui est plutôt rafraîchissant quant on sait que son prédécesseur, Stanley McChrystal, détestait Paris – « Too Gucci » – et avait des méthodes pour le moins cavalières, tenant plus de la brute épaisse que du fin stratège. Il avait notamment eu la brillante idée de critiquer publiquement son général en chef Barack Obama, dans le magazine Rolling Stones, et s’était fait immédiatement renvoyé.

Bien plus consensuel, Petraeus n’aborde pas les sujets qui fâchent, d’abord pour ne pas froisser les généraux français présents, ensuite pour rester conciliant avec les gouvernements afghan et pakistanais.

Armé de son PowerPoint et d’un laser il commence la conférence en saluant le rôle des Français et l’influence de militaires comme Galula et Lyautey dont les idées sont reprises dans la doctrine américaine actuelle. Il admet que la stratégie américaine a dû être remise à plat. Il y a encore 22 mois le niveau de violence demeurait faible et l’Irak faisait l’objet de toutes les attentions. Utilisant les leçons apprises en Irak, il a constaté que les organisations nécessaires pour conduire des opérations civilo-militaires n’étaient pas en place. La campagne militaire, depuis l’élection d’Obama, se veut globale, avec plus de troupes, de civils et de moyens pour aider la population et soutenir la réconciliation nationale comme le montre les pourparlers avec une vingtaine de groupes talibans. La mission des GI’s est d’aider le pays à assurer seul sa sécurité pour ne pas redevenir un sanctuaire pour terroristes, et le président Hamid Karzai laisse aux forces de la F.I.A.S. (Force internationale d’assistance et de sécurité) jusqu’en 2014 pour y arriver. Bien que David Petraeus ne le dise pas Karzai est désavoué par la majorité de la population à cause de son clientélisme et des élections frauduleuses qui lui ont permis d’être réélu.

Le général a accentué l’entraînement des troupes d’une Armée Nationale Afghane réorganisée, dans le cadre des E.L.T.O. (Équipes de Liaison et de Tutorat Opérationnel) où les Français jouent un rôle important. L’objectif de porter à 400.000 hommes les forces de sécurité afghanes avec de nombreux Pashtouns du sud est ambitieux, mais c’est surtout leur fiabilité que le Général souhaite améliorer, quand on sait qu’une large partie d’entre eux sont toxicomanes ou corrompus. En révisant les tactiques d’engagement, il évite la mort de civils et utilise à plein les renseignements pour que les soldats connaissent les coutumes et l’ethnie de ceux qu’ils rencontrent.

Le Général Petraeus et ses hommesDepuis février 2009, 80.000 soldats supplémentaires sont arrivés, appliquant la stratégie de l’« anaconda », pour étrangler et étouffer l’ennemi. Il s’agit de limiter leur accès aux armes et l’arrivée de nouvelles recrues étrangères, de supprimer les bases arrières et le soutien populaire, de perturber les sources de financement et la chaîne de commandement qui permettent aux talibans de se reconstituer. Pour cela le Général Petraeus a multiplié les opérations « cinétiques » des forces spéciales, supprimant ainsi de nombreux commandeurs d’importance moyenne et leurs fabricants de mines, principale cause de décès des soldats. Cela ne manque pas de nous rappeler les incursions des drones et des commandos de l’US Army au Pakistan pour tuer les chefs de haut rang, notamment ceux de la Choura de Quetta, conseil de guerre du Mollah Omar. Le général n’en a bien sûr pas parlé. Pour supprimer les sanctuaires et éviter toute implantation locale il compte sur le développement soutenu des forces spéciales afghanes et des milices locales contrôlées par la police. Afin de permettre à la population de vivre normalement, et ainsi « gagner les cœurs et les esprits » il compte sur la base de la stratégie contre-insurrectionnelle : « Clear, Hold, Build ».

Les Américains veulent redonner confiance aux Afghans en créant des bulles de sécurité permettant le développement économique et où la justice et la police s’établissent fermement. À terme les bulles sont censées s’étendre et se connecter. Cela paraît presque impossible tant elles sont minuscules sur la carte du pays que le général commente. Il explique sur un graphique que l’augmentation spectaculaire de la violence depuis deux ans est dû à l’intensification des attaques américaines pour créer ces bulles. Elle devrait diminuer et permettre la mise en place de structures de gouvernance efficaces. Mais le budget d’aide au développement pour la construction d’écoles, de routes ou de marchés reste ridicule comparé à celui des dépenses militaires. Il demeure paradoxal d’apporter la violence pour ensuite redonner confiance aux habitants, autant que de vouloir relancer l’économie tout en luttant contre la culture du pavot, principale source de revenue des Afghans.

David Petraeus n’a cessé de démontrer l’immensité de la tâche, après neuf ans de guerre d’usure dans une société sans aucune infrastructure. On regrette qu’il n’ait pas parlé de l’échec de l’opération Moshtarak dans la ville de Marjah en Février, dans laquelle 15,000 soldats ont été incapables d’empêcher l’infiltration de moins de 1,000 talibans… Il aurait fallu présenter les alternatives à la production d’opium, dont l’Afghanistan est le premier producteur, si elles existent. Bien qu’il ne puisse faire de miracle, Petraeus est sans doute l’homme de la situation, seul capable d’extirper l’OTAN de ce véritable bourbier. Étant un soldat, il ne fallait pas attendre de lui une remise en question de la politique américaine qu’il a justifié par le danger d’un l’islamisme radical pouvant frapper de nouveau, répétant ainsi les communiqués de presse du Pentagone. Si son intervention fut très riche, il faut garder a l’esprit que les officiers de l’OTAN sont des experts pour dissimuler la vérité. On en aura donc presque autant appris en écoutant le général qu’en remarquant les sujets qu’il n’a pas abordé.

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