Le chemin de croix du lonesome driver

Cannes 2011 : une sélection éclectique qui aligne les grands noms. Que l’on soit subjugué par sa beauté ou non, l’ampleur du film de Terrence Malick surprend le public et le jury du festival : la palme ne fait aucun doute. Les pronostics vont alors bon train pour la mise en scène. Tout le monde se trompe : Moretti et Almodovar repartiront bredouille. Nicolas Winding Refn non : prix de la mise en scène. Cannes est un festival majeur, comme aiment à le rappeler le combo des critiques Inrocks-Canal qui se la collent tous les ans à la même époque, et le prix que son jury décerne au meilleur metteur en scène signifie souvent le sacre, le couronnement, le reconnaissance, le respect, bref le début. Citons Kassovitz et la Haine. Citons Winding Refn et Drive.

drivePremière séquence : quatre minute chrono (on trahit le driver qui en accorde cinq) d’une intensité hallucinante, bien loin du fracas et de l’hypertrophie musicale des productions américaines du genre. Quatre minute glaçantes d’efficacité, de zig zag entre les bagnoles au rythme de la respiration du driver, des sirènes des flics, des pales de l’helico qui se rapproche, des hurlements des supporters de baseball exténués. Un pacman grandeur nature. Un braquage qui finit bien. Une précision technique et scénographique qui distille un suspense sans explosions ni fusillades. Une course poursuite en silence et phares éteints. Amen.

C’est « comme si » on avait trouvé le pendant californien au cinéma East Coast de James Gray. Même habileté dans les courses poursuites. Même noirceur du scénario comme de l’image. Une différence toutefois : la où Gray s’attache à composer des sagas familiales et transposer les thèmes de la tragédie antique dans les rapports mafieux et amoureux, où les questions de destin voire de déterminisme priment, Winding Refn abandonne le psychologique pour le spectaculaire de la mise en scène. Mise en abyme, métaphore, tout y passe, mais tout y passe parfaitement. Il aurait été pompeux chez d’autres : là, cela semble indispensable. Un film sans failles, sans temps morts. Grande différence avec l’écoeurant et même surstylisé We need to talk about Kevin, quelque chose qui vous prend aux tripes sans rien relâcher pendant 1h40.

Le film reste impressionnant malgré un déficit scénaristique assez flagrant : le braqueur amoureux de la voisine, mariée à une petite frappe, qui en devient le protecteur et se sacrifie pour la joie et l’innocence du gamin. Prévisible. La vengeance, l’homme qui se dresse seul contre la barbarie mafieuse. Vu et revu. La seconde chance pour Standard, le mari d’Irene, la voisine du driver, mais son passé criminel qui le rattrape. Attendu. Redéfinition sommaire du héros : téméraire, il n’hésite pas à prendre fait et cause pour les opprimés. Aucune équivoque la dedans, pas de nuances, le film reste totalement manichéen sur ce point. La bonne idée : celle qui transforme un mec un peu effacé dans la vie en héros de cinéma, le péquenot qui débarque de nulle part pour le devant de la scène, le mec indispensable aux braqueurs, aux mafieux, au gérant du garage dans lequel il bosse, à la voisine, au fils de la voisine, au mari de la voisine enfin. Le cascadeur qui ne broie que du métal dans les productions hollywoodiennes, auquel personne ne prête attention est projeté dans une histoire digne des plus grands hit du film noir. Echo frappant avec la carrière de Gosling, carrière zig zag entre le prix de « l’acteur le plus canon » aux Teen Choice Awards et Cannes.

Gosling d’ailleurs. Il est en quelque sorte la synthèse entre le grand gentil et le méchant un peu con, les deux avatars du héros justicier : subtil mélange de virilité et d’élégance, toujours impeccablement coiffé et sappé même couvert de sang. Taciturne, flegmatique, mystérieux voire timide, sans passé façon Lucky Luke ni famille, ni relation. Mais avec un talent : un homme extraordinaire fondu dans la masse. Le personnage doit être assez creux sur le papier, mais là il s’incarne parfaitement dans la mine impassible de Gosling qui ne se déride que lorsque qu’il défonce littéralement des mafieux. Il passe du flegme à la brutalité la plus crue pour venir en aide d’abord à la mère, puis au gamin, puis au père du gamin qui vient de rentrer de taule, sans que l’on comprenne jamais sa motivation. Pourquoi déroge-t-il à sa règle du « Je ne participe pas au braquage, je ne porte pas d’armes, je ne prend aucune part sur l’argent récolté : je conduis » ? Prétexte scénaristique à l’exercice de mise en scène.

Winding Fern sait séquencer son récit par des vues nocturnes de Los Angeles. Ville tentaculaire, ville de la bagnole, le mythe américain de base, le fondement d’une civilisation qui s’est développée sur la liberté de mouvement et le mythe du capitalisme de Ford et de Chevrolet. On est plus chez Transformers, les jantes ont changé de calibre. Il sait balancer la baston exactement au moment où on l’attend (exemple : monter dans un ascenseur avec à la fois la femme que l’on envie/protège et avec un mafieux armé annonce la baston et le baiser fleur bleue : on aura les deux), sait faire coller électro (forcement) et excès de vitesse sur autoroute vide. L’édifice tient par l’équilibre qu’il arrive à créer entre brillant exercice de style et scenario cohérent et efficace. Les références sont multiples : de Heat à Terminator (le fleuve asséché de Los Angeles). Mais son objectif n’est pas de singer : s’inspirer pour transformer. L’apogée d’un genre.

4 Comments

  • Julien Chaudanson

    Salut Timothée!
    Pour moi, tu fais un ou deux contresens:
    – Le héros est autrement plus mystérieux que ce que tu décris : Il y a des séquences « troublantes » (Ascenseur, anyone? Je n’ai vraiment, mais alors, vraiment pas l’impression qu’il soit une figure positive.
    -La BO, plus disco qu’électro pour moi, est très importante.
    -L’histoire « part » du fleur bleue, comme tu dis, mais s’en échappe très, très vite.
    Après, je suis très perplexe sur la séquence finale. Mais c’est ma seule réserve quand au film.
    En tout cas, merci pour ta critique, je sais très bien que c’est plus facile de critiquer (justement) que d’écrire!

  • Adrien Bouillot

    J’imagine que c’est stylé de se la jouer alternatif en se pâmant sur un film de voiture ? Allons les gens, vous savez très bien que le bon cinéma, celui qu’on regarde dans les petites salles confidentielles du 5e ça n’est ni explosions ni mitraillettes.
    Le cinéma, celui qui transporte, c’est celui qui vous emmène au coeur du sentiment humain à bord d’un train de sincérité, aidé par le langage codé de l’image. Comment oser dire du bien d’un film dithyrambe de la violence et de l’illégalité alors qu’un Wong Kar Wai nous régale des balancements du coeur dans In the mood for love que j’ai vu plusieurs fois. Comment se contenter d’un scénario course poursuite quand un David Lynch perd son spectateur dans les tourments torturés de paraboles sans queue ni tête, que je ne me lasse pas de visionner ?

    Voila, j’espère vous avoir fait réfléchir en travaillant actuellement à une rubrique cinéma digne de ce nom pour l’an prochain. Je me prends à rêver qu’on y célébrera la sensibilité d’un Apichatpong Weerasethakul, le sens du cadrage d’un François Truffaut, réalisateurs que je connais très bien plus que les fossoyeurs d’Hollywood.
    En effet, je suis président du Bureau des Élèves pour l’année 2012-2013.