La réforme des statuts de Sciences Po pour les nuls

Si tu es beaucoup plus intéressé par les statuts Facebook consternants postés par ton pote de lycée (qui n’a pas même pas eu la mention Très Bien, non mais allô) que par la réforme des statuts de SciencesPo, alors cet article est fait pour toi. LaPéniche te résume les enjeux de cette réforme, à toi qui as soigneusement évité  les tracts de l’UNEF  en slalomant en péniche au moyen de sourires hypocrites ponctués de quelques « non merci » aspirés. Voilà cinq questions/réponses pour comprendre ce qu’est cette réforme des statuts, l’équivalent sciencepiste de la réforme fiscale parce que tout le monde s’en fout et qu’à la fin, rien ne va changer.

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1 – Les statuts de Sciences Po, mais qu’est-ce que c’est ?

Les statuts forment l’architecture institutionnelle de SciencesPo : pour faire clair, ça n’est ni plus ni moins qu’une constitution. Ce que l’on désigne par ce bel acronyme de « SciencesPo » -qui vous permet de vous la péter à votre remise du BAC et qui vous ouvrira d’ici peu les portes de la richesse et de la gloire éternelle (entendez par là chargé de mission dans la sous-préfecture de la Creuse)-, est constitué de deux entités : l’IEP de Paris, public, et la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), privée, qui administre l’IEP, en matière budgétaire notamment.

Il y a ainsi deux organes qui participent à la prise de décision à SciencesPo : le Conseil d’Administration (CA) de la FNSP et le Conseil de Direction (CD) de l’IEP. (à l’envers, ça fait ACDC. Enfin bon.)

Le premier est compétent pour les questions de finance, de politique des ressources humaines : c’est par exemple lui qui vote le budget de l’IEP et qui détermine ainsi les conditions de recrutement et le salaire du personnel.

Il est composé entre autres du directeur de l’ENA, du directeur de l’IEP, de cinq représentants du personnel de la Fondation mais surtout de dix à quinze « auteurs de libéralités », c’est-à-dire les donateurs, qui ne pèsent pourtant que 2% du budget de Sciences Po: en réalité, il ne s’agit nullement de donateurs mais de personnalités cooptées depuis des décennies, à l’image d’Hélène Carrère d’Encausse (qui absente à quasiment chaque reprise, donne sa procuration) ou Alain Lancelot, ancien directeur de l’IEP qui avait adoubé Descoings et est donc totalement favorable à la direction actuelle, par fidélité dynastique.

Le CD est quant à lui chargé de l’organisation des scolarités et du contenu des études, c’est-à-dire des conditions d’admission mais aussi des programmes académiques : il n’a pas voix au chapitre en matière budgétaire. Il est composé de 27% d’élus étudiants (7 pour l’UNEF, 1 pour le MET).


2- D’accord, mais pourquoi on les change ?

Duhamel et Casanova, membres du conseil d'administration de la FNSP hués par les étudiants l'an dernier.
Duhamel et Casanova, membres du conseil d’administration de la FNSP hués par les étudiants l’an dernier.

Parce qu’après la crise de succession houleuse de Richard Descoings, le nouveau directeur Frédéric Mion s’était engagé à réformer les statuts. Il faut dire que le rapport de la cour des comptes de novembre 2012 avait pointé de nombreux dysfonctionnements qui nécessitaient clairement une refonte des statuts, vieux de presque trente ans. La tumultueuse procédure de nomination de M.Mion avait également mis en exergue les limites de ces statuts qui avaient largement entretenu le malaise et la crise dans l’Institut.

Dans son rapport, la Cour avait ainsi dénoncé l’ « absence de contrôle interne des instances délibérantes de SciencesPo » qui avait conduit à une omnipotence de l’exécutif. Un défaut de vigilance dans le contrôle de la direction avait été imputé au CA et au CD qui explique en partie la nécessité actuelle de revoir les statuts. Ce contrôle interne inexistant prend deux formes.

En premier lieu, il est lié au fait que le CA soit entièrement acquis à l’exécutif de SciencesPo : il n’existe pas de réel contre-pouvoir, l’attribution des places et des postes repose essentiellement sur la cooptation et la vassalité vis-à-vis de l’exécutif, « en position de force par rapport aux instances délibérantes » notait la Cour des Comptes dans son rapport. C’est ainsi qu’un enseignant-chercheur en économie que vous connaissez, tout juste intégré au CA, avait défendu bec et ongles  la direction pendant la crise de succession de Richard Descoings, allant jusqu’à réprimander les étudiants pour leur occupation de Boutmy en plein cours magistral.

Par ailleurs, le CA laisse en fait complètement la main à la direction, qui pilote SciencesPo sans contre-pouvoir. Par exemple, le financement de la rénovation des salles de la bibliothèque du 27, d’un montant de 6,9 millions d’euros n’avait pas même été débattu lors d’un conseil : la direction avait prié le CA de valider docilement, sans en avoir discuté au préalable.
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3 – Bon, et que disent les syndicats étudiants ?

L’UNEF a clairement fait de cette réforme des statuts un vrai cheval de bataille et mène une campagne intense pour mobiliser les étudiants, sans guère de succès pour le moment force est de l’avouer, au vu de la petite cinquantaine de participants lors de la réunion d’information tenue le lundi 25 novembre.

Le syndicat a donc clairement formulé ses revendications en vue de la réforme des statuts : il réclame que des élus étudiants siègent de manière permanente au Conseil d’Administration, que le nombre d’ « auteurs de libéralités »  (c’est-à-dire les personnalités cooptées) dans le CA  diminue et que la commission composée d’élèves et de professeurs (la commission paritaire) -simplement consultative- devienne décisionnelle sur les questions pédagogiques.

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Du côté de l’UNI-MET, même son de cloche à quelques détails près ; à l’UNEF, on admet d’ailleurs qu’il « n’y a pas de clivages majeurs », à l’image de la question de la représentation estudiante au CA ou de la commission paritaire . Dans le comité de réflexion constitué pour la réforme des statuts (cf. question 5), l’élu du MET Pierre Bornand avait ainsi affirmé que « l’on doit pouvoir donner un vrai rôle à cette instance démocratique qu’est la CP ».
Il avait par ailleurs évoqué la question de la durée de mandat au Conseil d’Administration : « il ne faut pas avoir peur d’introduire un plafond d’âge sur certaines fonctions ». Par ailleurs, pour éviter la présence d’élus fantômes à l’image de Mme Carrère d’Encausse qui délèguent leurs votes massivement, notamment au président de la FNSP M.Casanova, il avait également proposé de limiter « le nombre de procurations portées par un seul membre ».

 

Mais est-ce que ces revendications portées par les syndicats étudiants sont à même de répondre réellement aux problèmes soulevés par la Cour des Comptes dans son rapport et aux dysfonctionnements de l’école ? La question est évidemment de savoir si une représentation étudiante dans le CA peut réellement constituer un contre-pouvoir, si elle peut être suffisamment avisée pour contester les arbitrages financiers de la direction. Par exemple, les primes dénoncées par la Cour et attribuées aux collaborateurs de Richard Descoings figuraient dans le budget voté par un CA pourtant composé alors de cinq élus étudiants (qui ont uniquement le droit de siéger pour le vote du budget). Du propre aveu d’un responsable de l’UNEF, « même si plus de vigilance et plus de contrôle serait plus efficace, s’ils veulent se distribuer de l’argent les uns aux autres, on ne pourra rien faire. ».

 

4 – Mais ce n’est pas forcément nécessaire non, que la direction de SciencesPo soit démocratique ?

Certes, nul n’est tenu d’accorder du crédit à l’UNEF qui ne jure que par les bienfaits de la représentation estudiantine, et beaucoup considèrent que la démocratie n’a pas lieu d’être dans une organisation comme SciencesPo. Toutefois, la direction de Richard Descoings a  montré les dérives auxquelles menait la concentration du pouvoir entre les mains d’une élite sans opposition. Le bilan d’une direction non démocratique comporte des zones d’ombres non négligeables.

Avec une direction oligarchique et sans contrôles internes, la politique salariale de SciencesPo a été marquée par un certain nombre d’anomalies : des primes allant jusqu’à 10 164€ mensuels ont été perçues par des cadres dirigeants en 2011 et n’étaient encadrées par aucune grille, elles dépendaient complètement du bon vouloir de l’exécutif. Idem pour les salaires des enseignants-chercheurs : dans le département d’économie notamment, certains professeurs ont réussi à maximiser leur utilité en percevant un salaire qui ne respectait pas la grille salariale de l’IEP. Pis, le CA a validé sans broncher des décisions extrêmement préjudiciables pour SciencesPo, à l’image de l’emprunt de 15 M€ contracté auprès de Dexia en 2006, qui était classé dans la catégorie des produits spéculatifs et dangereux. Enfin, la direction avait mis en place une politique très généreuse en matière de logements de fonctions : la Cour des comptes avait noté qu’entre 2005 et 2010, un enseignant-chercheur avait bénéficié de la location d’un appartement de 130m² dans le 5ème arrondissement pour … 130€ par mois.

 

Une militante UNEF pendant le siège devant l'escalier de la direction. Photo par Amal I.
Une militante UNEF pendant le siège devant l’escalier de la direction. Photo par Amal I.

5 – Et cette réforme, elle s’annonce comment ?

Frédéric Mion a mis en place un comité de réflexion rassemblant élèves, enseignants pour aboutir à une proposition commune et devrait à partir de ce texte, soumettre au vote des deux conseils de nouveaux statuts tout en ayant précisé au conseil de direction du 18 novembre « qu’il n’était pas tenu par les propositions du comité ». Et quoiqu’il en soit, les propositions du comité sont loin de satisfaire les élus étudiants, relativement écartés du processus.

Ainsi, Marc Guillaume, secrétaire général du Conseil constitutionnel et président du comité de réflexion avait commis une bourde assez révélatrice en rédigeant une « première proposition du comité de réflexion » dont la date était antérieure à la séance durant laquelle les étudiants avaient formulé leurs propositions. Pis, lors d’une séance du conseil de direction, Frédéric Mion a affirmé à l’élu du MET que le CD pourrait ne pas être convié à amender la proposition finale.

Certes, la proposition du comité de réflexion à Frédéric Mion –qui doit rester secrète mais que La Péniche a pu se procurer en partie- comprend la présence d’élus étudiants au CA, grande première. Mais le poids pris par les auteurs de libéralités ne serait nullement affaibli et pourrait même dépasser la moitié du Conseil d’Administration (contre 30% aujourd’hui) : la cooptation a des beaux jours devant elle… Quant à la commission paritaire composée uniquement d’élèves et d’enseignants, elle ne devrait pas obtenir de pouvoirs décisionnels alors que c’est une revendication phare de l’UNEF.

La direction entretient par ailleurs le flou quant à la date du vote de la proposition finale encore inconnue de Frédéric Mion, ce qui ne peut que détériorer le climat. La récente annonce de la hausse des frais de scolarité ne fait également que durcir le bras de fer entre l’exécutif et les syndicats étudiants. Le siège de l’UNEF devant les escaliers de la direction jeudi dernier influe inévitablement sur le climat qui entoure la réforme des statuts, d’autant que cela remet sur la table la question du vote du budget de SciencesPo, où les élus étudiants n’ont en pratique pas leur mot à dire.

7 Comments

  • Alex Baptiste Joubert

    @Hugo : L’article ne dit absolument pas que l’amphi a été occupé « en plein cours magistral » mais que E.W avait réprimandé les étudiants en plein cours magistral.

  • Victor

    @ Hugo : raisonnement intéressant que le vôtre au paragraphe 2… C’est une réhabilitation du suffrage censitaire ? Celui qui paie le plus est représenté à mesure ?…

  • Hugo

    Je tenais juste à rappeler que l’amphi n’a absolument pas été occupé « en plein cours magistral », il l’a été deux nuits de suite et libéré entre les deux pour les cours justement. Occupy Boutmy n’a perturbé aucun cours.

    De plus, si l’UNEF « ne jure que par les bienfaits de la représentation estudiantine », c’est parce que 28% des ressources de l’institut proviennent des frais d’inscriptions. Il serait donc assez logique qu’au moins un quart des membres du CA de la FNSP soient des représentants étudiants.

  • Jdiscajdisrien

    Lorsqu’on voit comment la LMDE est gérée par l’UNEF (emplois plus ou moins fictifs, délais de réponse et de remboursement abbérants… je n’ai définitivement aucune envie de voir l’UNEF avoir un quelconque réel pouvoir de décision en matière budgétaire au sein de Sciences Po. Même si je ne conteste pas la nécessité de changer l’architecture actuelle de l’organe de décision.

  • Retraitée de la CP

    Salut!

    Bel effort d’intelligibilité, la gouvernance universitaire, c’est pas forcément un truc de nerds syndicalistes ! En effet, les statuts de Sciences Po sont mauvais et servent l’exécutif, mais ils causent aussi du tord AU QUOTIDIEN à Sciences Po. La façon dont sont prises les décisions de pédagogie par exemple, c’est de la compétence des Conseils. Et malheureusement, on constate à Sciences Po qu’une gouvernance non démocratique est inefficace avant tout…

    Pour avoir usé les bancs de la Commission Paritaire durant un certain temps, je ne me peux m’empêcher de corriger ce qui est dit à son sujet. Il s’agit, avant d’être une instance « composée uniquement d’élèves et d’enseignants », du Conseil LE PLUS DEMOCRATIQUE (si ce n’est le seul) de l’institution, car TOUS les membres sont ELUS, au contraire des autres Conseils mentionnés.

    La Commission Paritaire est, de plus, DEJA décisionnelle sur plusieurs champs de compétences, notamment l’exercice des libertés associatives, politiques et syndicales (et non sans succès). La revendication de l’UNEF – et au passage partagée par l’ensemble des élus, enseignants et étudiants de la Commission Paritaire et nombres d’autres élus d’autres Conseils – vise à modifier le caractère consultatif des avis qu’elle rend se rapportant à d’autres sujets qu’elle examine, et en particulier les questions de pédagogie (maquettes pédagogiques etc).

    Alors que ces thématiques sont examinées avec soin et compétences par les élus de la Commission Paritaire (de taille humaine, moins formelle que les autres Conseils, regroupant des élus très familiers des sujets de par leur expérience pédagogique directe) dans le but de formuler des avis voire des motions écrites votées à l’unanimité pour alimenter les positions du Conseil de Direction, lui, décisionnel; force est de constater que celui-ci se mouche avec les avis rendus par la CP. Pourquoi ? Pas par divergence de fond, mais principalement parce que le CD ploie sous des ordres du jours très chargés qui ne permettent pas de consacrer le temps nécessaires à ces questions. Eh oui, parler du projet pédagogique de Sciences Po, des cursus des Masters et des campus en régions, de la réforme des langues… ça prend du temps, avant, pendant, et après un Conseil..

    En fait, rendre la Commission Paritaire décisionnelle sur ces sujets, ça ne renforce pas simplement la démocratie en général à Sciences Po, mais ça contribue aussi à avoir une gouvernance plus efficace concrètement.

    Ainsi, je pense, même s’il est vrai que Mion et son clan verrouillent nombre d’éléments, que l’on tient néanmoins aujourd’hui une occasion pour changer la façon concrète selon laquelle Sciences Po prend ses décisions et donc évolue jour après jour. La question de l’augmentation des frais de scolarité est un énième révélateur de ces questions, et si on veut avoir un véritable impact, c’est maintenant qu’on doit se bouger pour changer un texte figé depuis bien trop d’années.

  • Maxime

    Les étudiants ont leur mot à dire quant au budget de SciencesPo: 5 élus étudiants siègent de manière décisionnelle au CA budgétaire qui aura lieu mardi 10 décembre. (Article 6 des statuts de la FNSP)