Karl Lagerfeld : Démonter la « karlikature »

On a sué, presque saigné. Il a fallu se battre pour obtenir le billet, parfois en passant par la terrible loi du marché noir sciencespiste, il a fallu camper devant Boutmy, il a fallu passer outre les séquelles physiques. Mais on y était, ce 19 novembre, au 3ème rang de l’amphi, le dos droit et la tête haute. LaPéniche revient pour vous sur cette masterclass exceptionnelle.

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SciencesPo avait mis le paquet avec un décor digne des plus grands : caméras, photographes, projecteur, journalistes de Elle fébriles et live-tweeting #ScPoKL. Le gratin est là, allant jusqu’à la présence de Frédéric Mion. But where is Karl? L’ambiance en Boutmy était sans doute aussi survoltée qu’au Stade de France. Et le voilà, 10 minutes 48 après l’heure annoncée. L’entrée théâtrale se fait au son des applaudissements et des évanouissements. Quelques photos sur l’estrade et Mion entame son discours. “Chacun trouve en vous quelque chose qui peut lui parler”. Les premières larmes coulent. Et puis vient l’ultime phrase “C’est un peu comme si nous recevions simultanément Obama et le pape François, deux comparaison qui, j’espère, ne vous blesseront pas”. Karl réprime un sourire derrière ses lunettes noires.

Puis notre directeur laisse la parole à Françoise Marie Santucci, du magazine Next (Libération). L’idée de la conférence n’était pas tant une interview qu’une véritable conversation avec Karl Lagerfeld sur sa vision de la mode, son parcours hors-norme et sa personnalité. Un peu de fantaisie, de poésie et d’histoire 555609_686352004717077_1371328898_npour sortir de notre quotidien morose. Aux futurs critiques désabusés “euh désolée on a pas les mêmes valeurs moi je vais voir NKM/Taubira/le pape” on répond : ne jugez pas avant de l’avoir vu. Un magicien, voilà qui il est. Un soupçon d’humour parsemé d’une touche de snobisme et d’un rien délicieux d’ironie, mélangé avec beaucoup de talent, de passion et le don des punchlines : et vous avez Karl Largerfeld. OVNI de la planète mode au physique si reconnaissable, hier soir en Boutmy il était le roi. Que retenir de cette intervention – à part les coups de coude des photographes en herbes et fans hystériques cherchant LA photo avec le maestro ?

  • Toujours évoluer

“Je n’ai pas fait d’études car je n’ai pas eu le temps”. A 16 ans, il obtient son premier prix dans la catégorie manteau et est engagée par Pierre Balmain. Il conte, en poète, une couture des années 50 “saupoudrée de poussière et d’ennui” avec cette comparaison parlante “à côté les coulisses de Chanel c’est Star Wars”. Karl Lagerfeld précise qu’à « l’époque, l’argent n’existait pas« , hélas aujourd’hui il est partout, notamment au sein même de cette école où les places en Boutmy se vendaient aux enchères. En 1959, il devient directeur artistique de la maison Patou. Puis il rentre chez Chloé et instaure le prêt à porter, c’est une révolution. Dans les années 80 tout s’accélère, c’est Fendi, puis la création de sa propre marque, et la renaissance de Chanel entre ses mains. Aujourd’hui, ce sont toujours ces trois marques, ces trois univers qui font son quotidien.

Comment expliquer cette réussite? “Dans la mode, si vous avez des positions fixes vous êtes foutus”. Ce qu’il faut? S’adapter en permanence.  Le pire selon lui est de perdre le contact avec la modernité. A propos de son partenariat avec H&M pour une collection, il décrit de “l’élitisme de masse”. Quelle plus belle formule pour désigner cette collection?

 

  • Un passionné

1451400_686351561383788_569504874_nJe n’appelle pas ça un travail. C’est un plaisir. Mon métier est un loisir.” C’est un “job full-time”. Il dessine sans cesse et les heures deviennent des secondes. Il a surement des étoiles dans les yeux à ce moment là, mais on ne le saura jamais, ses lunettes de soleil les cachent. C’est simple, il ne s’arrêtera “qu’une fois dans la tombe”. Avec Chanel c’est six collections de prêt-à-porter par an, deux de haute-couture, et à chaque fois une nouvelle excitation. Un hyperactif de la mode, jamais à court d’imagination, qui oublie pour mieux renouveler. “Ce qui m’intéresse c’est ce que je n’ai pas encore fait.” Le regard toujours vers d’autres mondes à conquérir.

Karl Lagerfeld est un curieux insatiable, adepte du old-school pour travailler : ”Je n’utilise aucun computer”. C’est un rêveur qui aime son “monde imaginaire, la lecture, la poésie et la musique”. Les citations et les proverbes pleuvent si vite qu’on a pas le temps de les noter.

 

  • L’art et la manière des “punchlines”

“Tout ce qui n’est pas de moi ne m’intéresse pas.”

“J’ai une bonne mémoire, surtout pour l’inutile.”

A propos de Coco Chanel et de sa vulnérabilité “J’ai un capital d’indifférence qu’elle n’avait pas. Je suis même surpris de moi.”

“Dieu sait que je suis athée!”

“Vous savez, c’est très difficile de discuter avec moi, donc non on ne m’a pas critiqué.”

 

  • Le goût de la décision

Karl Lagerfeld en réunion? Jamais. “Le marketing, je ne sais pas ce que c’est.” (Bien pour le master com’ qui venait l’écouter). Il sait ce qu’il veut et n’en démord pas, et c’est peut être de cette façon qu’il a réussi à évoluer aussi bien. “J’ai une vision et pas deux”.

Le snobisme ?  « c’est un mot qui, franchement, ne me concerne pas » dit-il, pour prononcer dans les dix minutes suivantes une belle tirade : « j’ai la chance d’avoir toutes les portes du monde entier ouvertes » suivi d’un « tout ce qui n’est pas de moi ne m’interesse pas, alors quelque fois je vois quelque chose et me dis ‘tiens c’est pas si mal ‘, j’avais juste oublié que c’était de moi« . Peut-être que la défintion du mot est à revoir Karl…

Mais on ne peut pas lui en vouloir. Parce qu’il joue sur cette ambiguïté entre le snobisme et l’autodérision, qu’il nous envoûte avec son accent allemand à couper au couteau et qu’il nous fait rire avec ses punchlines.

 

  • Un homme qui adore détester : La liste “Je déteste”1459737_686351938050417_996777558_n

–       le mot “embaucher”

–       le mot “apprentissage”

–       les anniversaires

–       le mot “héritage

–       le mot “estime”

–       les choses qui durent trop longtemps…

 

Karl Lagerfeld a surpris avec son naturel, ses sourires (OUI), et sa proximité avec nous autres Boutmysards, ce qui n’a fait que renforcer le culte qui lui était voué. A noter qu’au final Karl a prononcé 6 fois « je m’emmerdais », espérons qu’il ne se soit pas emmerdé tant que ça hier soir, en tout cas nous non.

 

Romane Jourdas et Raphaelle Samama

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