Interview : Karim Amellal, responsable du Master Affaires Publiques

LaPéniche.net poursuit son cycle d’interviews de responsables pédagogiques des Masters de Sciences Po. Aujourd’hui, c’est au tour de Karim Amellal, responsable du master Affaires Publiques, de répondre à nos questions. Après l’interview de Pierre Charpentier, reponsable de l’association du Master, il s’agit maintenant d’une description plus détaillée.

  • LaPéniche.net : Quel est le positionnement du Master Affaires Publiques dans l’offre de formation de Sciences Po ? Pouvez-nous nous parler de son évolution ?

Karim Amellal : Le positionnement du master Affaires Publiques est très simple : il est marqué par l’histoire. À l’époque de la section « Service Public », la préparation aux concours, et notamment à celui de l’ENA, constituait le cœur de métier de Sciences Po et l’objectif principal de cette section.

Aujourd’hui le nouvel intitulé du master traduit à la fois la diversification et la modernisation de cette formation. Certes la préparation aux concours administratifs demeure un objectif très important, mais un second objectif vient le compléter. L’autre vocation du Master est désormais aussi de former les étudiants à une insertion professionnelle dans le secteur public au sens large (les entreprises publiques par exemple) ainsi que dans les entreprises du secteur privé qui travaillent en étroite relation avec le secteur public. Il s’agit par exemple de toutes les entreprises, souvent multinationales, qui dépendent de la commande publique, et cela dans des secteurs d’activité extrêmement variés : énergie, BTP, défense, communication, etc. Ce sont par exemple des entreprises telles que Veolia, Vinci, Bouygues, JC Decaux… A cela s’ajoute bien sûr les cabinets de conseil ou d’audit, notamment ceux qui ont d’importants départements « administrations publiques » ou « gouvernement », mais également des établissements financiers dont le cœur de métier est de travailler pour des collectivités publiques ; c’est par exemple le cas de Dexia.

En résumé, le master AP a deux débouchés principaux : les débouchés « concours » et les débouchés « hors concours », dans le secteur public et dans le secteur privé en lien avec le public. Cela se traduit d’ailleurs dans les métiers exercés par les diplômés du master : environ 50% occupent des postes au sein d’administrations publiques tandis que les autres 50% travaillent dans le secteur privé. Je vous signale par ailleurs que le salaire d’embauche des diplômés du master Affaires publiques est relativement élevé puisqu’il s’élève à 35 407 euros en moyenne.

  • LaPéniche.net : Le master AP est-il donc professionnalisant ?

Karim Amellal : Absolument ! En raison du second objectif qui est de former des gestionnaires, le master va même devenir de plus en plus professionnalisant : c’est une priorité pour nous. Notre objectif est d’anticiper et d’accompagner les mouvements de convergence et de complémentarité entre la gestion publique et la gestion privée, car il est clair que la frontière, jadis hermétique, entre le secteur public et le secteur privé tend à s’estomper. Aujourd’hui, un manager dans une administration doit nécessairement comprendre et connaître le fonctionnement d’une entreprise et avoir des notions de comptabilité, d’analyse financière, de gestion des ressources humaines, etc. A l’inverse, un manager qui évolue au sein d’une entreprise très liée au secteur public, comme Véolia ou Vinci, ne peut pas méconnaître l’administration, les processus de décision publique, les règles qui s’imposent aux opérateurs publics, le droit communautaire, etc. Le master Affaires publiques se situe au cœur de cette évolution, avec la conviction forte que la gestion publique et la gestion privée ne sont pas incompatibles ni irréconciliables, mais au contraire complémentaire. C’est ce qui fonde le master Affaires publiques en alternance et c’est bien sûr aussi cette philosophie qui est à l’origine du double diplôme Sciences Po – HEC.

  • LaPéniche.net : Le master AP est-il ouvert sur l’international ?

Karim Amellal : Je ne vais pas vous mentir, à ce stade ce master est encore peu ouvert sur l’international. Mais c’est un souci permanent, bien que très difficile, que de l’internationaliser. En effet, nous sommes entravés par l’héritage d’une tradition franco-française : ainsi la préparation au concours est hyper franco-française car les épreuves du concours font que le cursus en reste encore marqué. Les enseignements en anglais sont donc marginaux. Mais il y aura prochainement de nombreuses possibilités d’internationalisation, avec les filières que nous allons développer par exemple dans le domaine de l’énergie (voir plus bas).

  • LaPéniche.net : Pouvez-vous nous expliquer le principe et l’organisation scolaire du master AP en alternance ?

Karim Amellal : Il s’agit d’un master en deux ans, avec deux semestres d’enseignements au début et à la fin (le premier et le quatrième semestre) qui encadrent une année de césure, avec deux semestres de stage de 6 mois chacun. Le premier stage s’effectue dans le secteur privé, le second dans le secteur public. Cette expérience dans les deux secteurs laisse donc le choix, et offre une complémentarité entre gestion publique et gestion privée.

Ce programme convient donc à des étudiants, soit qui hésitent entre passer les concours et aller travailler directement après leur diplôme, soit qui n’ont pas d’expérience professionnelle substantielle et souhaitent en acquérir une.

Le MAP en alternance a débuté en octobre dernier et compte 70 étudiants qui sont actuellement en train d’effectuer leur premier stage dans le secteur public. Le MAP « classique » totalise quant à lui 230 autres étudiants en 4ème année. Il faut aussi souligner que ce master en alternance a préfiguré, dans son principe et sa philosophie, le double diplôme SciencesPo-HEC, lequel se déploie sur 3 ans et non sur 2.

  • LaPéniche.net : Quels sont les débouchés du master AP ? Non seulement après les concours, mais également les débouchés « scolaires » et privés pour ceux qui ne passent pas les concours ?

Karim Amellal : Tout d’abord, il y a bien sûr les débouchés ouverts par la réussite aux concours administratifs. Comme tout le monde le sait, le master prépare particulièrement bien à l’ensemble des concours administratifs de niveau administrateur :
– ENA
– INET (carrière d’administrateur territorial)
– EHESP (carrière de directeur d’hôpital)
– EN3S (école des gestionnaires de Sécurité Sociale)
– Ministère des Affaires étrangères (il y en a 3)
– de la Banque de France
– des Assemblées (pour des carrières d’administrateur au Sénat et à l’Assemblée nationale)
– ministère des Affaires étrangères
– conseillers de tribunaux administratifs

Selon nos statistiques, environ 40% d’une promotion du master Affaires publiques réussit les concours, soit dans la foulée de leur diplôme, soit après une prépa-concours. Une tendance très nette est d’ailleurs que de plus en plus d’étudiants du master réussissent les concours dès l’obtention de leur diplôme, donc sans faire de prépa-concours.

Que font les diplômés du MAP ?

Un chiffre d’abord : 88% des diplômés du master Affaires publiques ayant terminé leurs études occupent une activité professionnelle.

Quelques remarques maintenant :
En premier lieu, un nombre non négligeable d’étudiants se lancent encore dans une formation complémentaire après l’obtention de leur diplôme (soit une école de commerce, soit un troisième cycle universitaire avec par exemple un autre master à l’étranger en droit), mais cette proportion est en recul, du fait de la professionnalisation accrue du master. C’est une bonne chose, car un diplômé du master Affaires publiques de Sciences Po a déjà une solide formation générale et professionnalisante derrière lui qui lui permet sans difficultés d’accéder avec succès au marché de l’emploi.

Ainsi, une forte proportion d’étudiants se lancent tout de suite le marché du travail via des postes dans le privé ou sur des postes de contractuels, dans de grandes entreprises, des cabinets de conseil, d’audit, de communication et même parfois auprès de banques (la banque Dexia par exemple est une banque qui finance exclusivement des collectivités locales). Ainsi dans tous les secteurs, il existe des entreprises avec des spécificités en relation avec l’Etat et les collectivités locales, qui constituent un débouché important. Je vous ai déjà cité des entreprises telles que Vinci, Veolia ou Bouygues, et il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’entreprises qui dépendent de la commande publique, et qui par conséquent ressentent peu l’impact d’une crise économique, ou financière ! C’est incontestablement l’une des forces du master Affaires Publiques qui dépend ainsi moins de la conjoncture qu’un autre master, car les entreprises et organismes auxquels il permet d’accéder dans le cadre d’un premier poste sont moins impactées que d’autres par le ralentissement de la croissance. L’Etat et les collectivités locales, en effet, offrent un vaste marché !

Enfin, une autre proportion d’élèves poursuit la préparation des concours dans le cadre de l’Année complémentaire de préparation aux concours, dite « prépa concours ».

  • LaPéniche.net : Pouvez-vous nous en dire un peu plus à propos de cette « prépa concours », surnommée parfois prép’ENA ?

Karim Amellal : Il s’agit d’une sixième année, une année de préparation offerte à tous les masters, c’est-à-dire à tous les diplômés de Sciences Po. C’est une année complémentaire de préparation aux concours, qui comprend à peu près 300 élèves (nous n’avons pas de statistiques sur la provenance des masters). Cette préparation est sans condition, sans pré-requis, et il s’agit d’une année entière qui n’est pas semestrialisée. Son organisation de scolarité est donc différente et spécialisée, plus libre et plus fluide : il n’y a par exemple pas d’obligation d’assiduité afin que chaque étudiant puisse suivre les cours dont il a besoin pour passer les concours qu’il souhaite. Outre les enseignements, cette prépa-concours se distingue aussi par la fréquence des entraînements proposés (galops et concours blancs) ainsi que par un dispositif de coaching (accompagnement d’un groupe d’étudiants par un jeune haut fonctionnaire) qui a fait ses preuves.

  • LaPéniche.net : Avez-vous des statistiques sur les réussites aux concours administratifs ?

Karim Amellal : Les « parts de marché » des étudiants de Sciences po aux différents concours administratifs, vous le savez, sont excellentes et en progression. Cela est vrai de tous les concours de niveau administrateur. A titre d’exemple, en 2007, 88% des admis sont issus de Sciences Po, dont une forte proportion viennent du master Affaires publiques et/ou de la prépa-concours. Les statistiques sont aussi excellentes pour des concours au nombre de postes plus réduit, comme les concours d’administrateur des services de l’Assemblée ou du Sénat, ou le concours de conseiller des affaires étrangères. Ainsi, depuis plusieurs années, quasiment 100% des admis à ces concours sont issus de Sciences Po, même s’il faut préciser que ça ne représente qu’un faible nombre de postes. A l’INET (administrateur territorial), un concours dynamique qui attire de plus en plus de candidats, le nombre de Sciences Po admis est en progression : 57% en 2007 contre 44,5% en 2006.

Malgré l’absence de statistiques sur le ratio entre ceux qui présentent des concours et ceux qui sont admis, il y a des tendances majeures qui se dégagent. Ainsi, je le disais il y a un instant, de plus en plus d’étudiants réussissent les concours administratifs directement après leur 5A, sans faire une année de préparation, alors qu’auparavant ce genre de situation était rarissime et que la prépa concours était quasiment une règle. De plus, il existe aussi des élèves qui les réussissent dès la 4A en automne (ils sont entrés en Master et ont donc déjà un diplôme leur permettant de passer les concours). Cela traduit ainsi la qualité de la formation.

  • LaPéniche.net : Dans cette perspective, quels vont être les développements à court terme du master ?

Karim Amellal : En plus du master Affaires Publiques en alternance, qui constitue déjà une première filière, nous allons en créer 4 autres dans 4 domaines porteurs, a priori dès la rentrée prochaine :
– la culture
– l’énergie
– la santé
– les collectivités locales

Il s’agit ainsi d’une étape supplémentaire dans la professionnalisation du master AP, car ces filières permettront d’aller plus loin dans la spécialisation. En plus du cursus fondamental commun à tous les élèves du MAP (droit public, économie, finances publiques, questions sociales, européennes, outils de gestion), les étudiants de ces filières suivront des enseignements de spécialisation, ainsi qu’un stage et un projet collectif dans le domaine de la filière. Le volume des enseignements spécifiques à chaque filière devrait représenter environ 4 heures par semaine et par semestre.

Plus de détails :

– La filière « santé et protection sociale » apportera une formation au management des organismes sanitaires et sociaux (établissements de santé, organismes de sécurité sociale, organismes de prévoyance, institutions mutualistes) et aux métiers des entreprises travaillant en relation avec ce secteur (entreprises d’assurance, industrie pharmaceutique). Pour les élèves qui le souhaiteront, elle comportera une préparation spécifique aux concours de l’EHESP (directeur d’hôpital) et de l’EN3S ;

– La filière « collectivités locales » préparera au management des collectivités territoriales et à certains métiers (expertise juridique, gestion financière, conseil en organisation…) des entreprises travaillant en relation avec ces collectivités (cabinets de conseil au secteur public local, SEM…). Pour les élèves qui le souhaiteront, elle comportera une préparation spécifique aux concours de l’INET (administrateur territorial) ;

– La filière « management de la culture » sera essentiellement centrée sur le management des établissements publics culturels nationaux ou locaux ;

– La filière « énergie » sera destinée aux élèves intéressés par les métiers des organismes de régulation du secteur énergétique (administrations, autorités administratives indépendantes) ou par l’exercice de fonctions impliquant une bonne connaissance des politiques publiques et de l’environnement des firmes au sein d’entreprises du secteur.

Ces spécialisations seront bien sûr optionnelles : les élèves qui le souhaiteront conserveront naturellement la possibilité de ne pas se spécialiser, en suivant la filière générale du master.

  • LaPéniche.net : Est-ce que la maquette pédagogique de la mention « Equipements artistiques et culturels », de l’ancien master Management de la Culture et des Médias, qui sera rattaché au master AP à la rentrée prochaine, est prête ? Qu’est-ce que le côté AP va apporter à cette filière ?

Karim Amellal : Je vous rassure : la maquette de la future filière « management des établissements publics culturels » sera mise en ligne de façon imminente, dans les semaines qui viennent (comme pour les trois autres filières). Nous y travaillons d’arrache-pied pour être en mesure de proposer des enseignements de grande qualité correspondant aux débouchés existants dans le secteur public culturel. Cette filière comprendra donc, outre les enseignements fondamentaux du master Affaires publiques (droit public, économie, finances publiques, outils de gestion, etc.) des enseignements de spécialisation dans le domaine de la gestion des établissements publics culturels. Mais attention : le premier choix doit rester celui du master affaires publiques ! Si vous voulez être scénariste ou producteur, metteur en scène ou écrivain, par exemple, ce n’est pas la peine de prendre ce master… ! Ce que je veux dire par là, c’est que votre projet professionnel doit être adapté à cela : il ne s’agit pas pour nous d’accueillir des créatifs qui ne s’intéressent pas ni aux finances publiques ni à la gestion, mais de former des gestionnaires d’établissement public culturel.

  • LaPéniche.net : Les étudiants qui voulaient intégrer le master MCM ne vont-ils pas se trouver en difficulté face à des profils ambitionnant l’ENA ?

Karim Amellal : Pas du tout. Je pense même qu’on peut parler d’un facteur d’émulation important et d’intérêt mutuel. Il existe déjà une grande diversité des profils et des projets au seins du master AP et nous ne laissons personne au bord de la route ! Par exemple, les professeurs de finances publiques ne sont pas là uniquement pour ceux qui veulent faire l’ENA et qui ont déjà le niveau, mais pour former tout le monde !

  • LaPéniche.net : Diriez-vous qu’il existe un « type de profil » adapté au master AP ?

Karim Amellal : Le master Affaires Publiques est un master dense, exigeant mais surtout passionnant parce toutes ses matières sont liées aux enjeux actuels du débat public. Évidemment le seul critère déterminant est un goût pour le public : que ce soit pour l’énergie, les collectivités locales, les enjeux locaux, l’action publique, la modernisation de l’Etat, ou encore l’Etat lui-même, les questions de politiques sociales internationales ou européennes… Il faut être sensible à ces questions-là, qui reprennent d’ailleurs les intitulés des matières qui existent. Si vous êtes plus intéressés par la banque d’affaire, alors vous allez vous ennuyer dans ce master et ce serait une erreur d’orientation que de choisir AP. Mais je souhaite insister sur le fait que les enseignements sont conçus de telle sorte qu’ils sont à même d’intéresser et de faire progresser tout le monde.


Questions pratiques

• Comment se déroule l’inscription aux Masters ?
Il y a une pré-inscription fin mars-début avril pour les 3A (elle se déroulait le 6 et 7 avril cette année). En juin il faut confirmer son choix et donner un choix définitif en septembre.

• Quels sont les Masters sélectifs ?
Il n’y a pas de sélection pour intégrer les masters de Sciences Po lorsqu’on vient de Premier Cycle, sauf pour :
– les Ecoles de Journalisme et de Communication
– les doubles diplômes (comme le DD HEC/Sciences Po)
– le master Affaires Internationales, pour lequel un « entretien d’orientation » est organisé

Pour plus d’informations, Sciences Po a préparé pour les 3A qui font leur pré-inscription en ce moment un site informatif avec différentes vidéos et de nombreuses statistiques sur les débouchés des Masters.


Retrouvez les interviews d’E. Baldini & de L. Robert pour le Master Finance & Stratégie, de Laurent Bigorgne à propos du réaménagement des Masters à Sciences Po , de Cécile Leclair et d’une étudiante pour le Master Stratégies Territoriales et Urbaines, d’Edith Chabre, responsable du master Droit Economique et enfin le Compte Rendu de la réunion sur le Double Diplôme HEC-Sciences Po.
A venir une autre interview de Karim Amellal sur le Master Affaires Européennes, complétée par des interviews d’étudiants.

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