Interview de Marika Bret : « Les gens ne veulent pas d’une extrême droitisation, ils veulent que l’on prenne à bras le corps leurs difficultés, être entendus »

La laïcité, un rêve de tolérance ? 

Le 8 septembre 2021, un an après l’assassinat de Samuel Paty et le procès des attentats de janvier 2015 débutait le procès fleuve des attentats du 13 novembre 2015. Six années plus tard, la plaie reste béante, les souvenirs vifs, la peur et l’espoir se mêlent, séparent les esprits ou rassemblent les âmes. Bercés par des discours effrayants qui désunissent ou réconfortants qui illusionnent, les citoyens semblent égarés, proches mais plus seuls que jamais.

Pour reconstituer des liens entre êtres humains et faire, ou plutôt refaire, du commun, certaines valeurs individuelles mais universelles doivent être rappelées, scandées, célébrées.

C’est donc pour évoquer l’importance de la liberté d’expression, de la tolérance et des valeurs qui y sont associées que l’UEJF Sciences PO, avec La Péniche et le Parlement des Etudiants, organisait un spectacle-lecture du texte posthume de Charb suivi d’une table ronde le 1er décembre 2021. Les étudiants ont pu échanger avec Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo et Marika Bret, responsable des ressources humaines de Charlie Hebdo et chargée de la transmission de la mémoire de Charb. 

Nous nous sommes entretenus avec Marika Bret dans le contexte de polarisation du débat et de l’élection présidentielle de 2022.

Le procès des attentats du 13 novembre s’est ouvert il y a quelques mois, avez-vous des attentes particulières, des craintes ou même des espoirs ? 

Alors l’attente elle est toujours la même, que ce soit pour le procès Charlie ou pour les autres attentats. Ce n’est pas parce que certains terroristes sont morts qu’il n’y a pas de complices. Sans complices il n’y a pas d’attentat. C’est un message extrêmement important à faire passer parce que souvent les complices constituent la bande. La bande de la cité, du trafic. Il y a une espèce d’inconscience totale sur le fait que lorsqu’on on va chercher des armes en Belgique, que l’on va louer une voiture sans savoir pourquoi, on peut se retrouver dans un box d’accusé pour complicité de terrorisme. Et ce message là pour moi, il est essentiel à faire passer partout pour que les choses soient claires : l’acte de terrorisme est, dans les délits, un des plus graves.

Certains terroristes auditionnés ne reviennent pas sur leurs actes et méprisent certaines valeurs républicaines, la laïcité notamment, comment est ce que vous le percevez ? Est-ce un affront ?

C’est toujours dur à entendre ces choses là parce que il se trouve qu’en France, il faut le rappeler, on est dans une République, dans une démocratie. Certes, imparfaite, je n’ai aucune difficulté avec cela et on se bat pour qu’elle soit de plus en plus forte, avec de plus en plus de libertés, parce qu’un pays qui a trop de libertés ça n’existe pas. Oui, l’égalité n’est pas atteinte, mais justement on se bat pour ça. Il y a tant de pays dans le monde qui n’ont pas ce que l’on a nous, cette liberté d’expression qui est un trésor et la laïcité qui est en permanence manipulée. 

La laïcité  c’est quelque chose de très simple en soi, elle affirme la liberté de conscience de chacun. Croire, ne pas croire, changer d’avis : c’est ça la laïcité. Il y a une manipulation sur le sujet. À qui voudrait faire croire que la laïcité ne correspond pas à l’islam, ce qui est faux. Evidemment, elle correspond à toutes les religions pour peu que les pratiquants s’adaptent au cadre de la loi. Ils sont des millions de musulmanes et de musulmans à apprécier la laïcité d’autant plus qu’ils savent bien ce qu’il se passe quand il n’y en a pas. Ils savent ce qu’est un état théocratique, un manque de libertés. 

Donc c’est toujours navrant de voir des enfants de la République en sortir et être dans cette chimère et surtout ce cauchemar d’un état islamique qui va de toute façon à un moment ou à un autre, les détruire. C’est une idéologie qui est barbare déjà, et qui est dangereuse dans son application. Quand on voit en France des gens qui cherchent à accommoder la laïcité, à faire des exceptions au nom d’une religion, je trouve ça catastrophique parce que justement on est à égalité grâce à nos lois. Il n’y a pas de loi en France qui vise un personne de confession musulmane. Aucune. C’est pour cela que je me bats.

Il y a actuellement un projet de loi sur le séparatisme examiné à l’Assemblée Nationale, avez vous un avis ? Est-ce la solution pour affirmer la laïcité sans pour autant attiser les tensions ? 

La loi sur le séparatisme, contrairement à ce que dit l’extrême gauche, ne vise pas les musulmans. Il n’y a pas un seul de ce texte de lois qui les vise spécifiquement. Le thème est récupéré à l’extrême droite qui n’attaque plus les étrangers mais les musulmans. 

Donc effectivement on entend des choses ahurissantes dans l’assemblée de la part de députés dits de droite qui sont bien à l’extrême droite mais aussi de députés d’extrême gauche. 

Est-ce que cette loi sur le séparatisme doit exister ? Je pense que oui. 

Cela fait des années que l’on a mis la poussière sous le tapis, que l’on a pas voulu nommer les choses. Si l’on avait pris à bras le corps toutes ces alertes lancées depuis si longtemps, je pense notamment à Caroline Fourest, il n’y aurait pas eu le 7 janvier. Il n’y aurait pas cette fracture absolument immense, béante, que l’on vit ces dernières années, qui est une fracture qui nous oppose, qui n’a qu’un but, que l’on se déteste. Donc je pense que cette loi peut être utile pour nommer les choses. J’attends tout de même le texte définitif pour m’exprimer vraiment.

Nous sommes dans une année d’élection présidentielle et le climat est particulièrement délétère. La figure d’Eric Zemmour monopolise le débat et des thèmes comme la sécurité ou l’immigration sont au centre des discussions politiques, ou en tout cas semblent l’être pour une partie de la droite et de l’extrême droite. Est-ce la réponse directe à une prétendue droitisation des français ou au contraire, est-ce une cause de la peur ambiante ? 

Qu’est ce que l’on appelle la droitisation ? C’est toute la difficulté. Moi j’appartiens à la famille politique de gauche depuis fort longtemps. Cette gauche humaniste qui considère les gens comme des citoyens et pas autrement. La citoyenneté c’est ce qui nous unit et qui fait notre force en réalité. Alors évidemment il y a un tas de gens qui veulent exploser cette force commune et qui, il faut bien le dire, y arrive un peu. Ce que l’on appelle la droitisation des esprits pour moi c’est aussi le recul de la gauche sur des principes et des valeurs que l’on attendait pas. Ils ont mis la poussière sur le tapis pour certains. Il y a eu un observatoire de la laïcité qui n’a rien observé pendant des années, qui n’a pas vu les alertes lancées par les direction des ressources humaines. C’est à dire, dans les entreprises, des questions sur les tapis de prière, les horaires, les jours de congés, des questions qui ne sont pas nées il y a trois ans mais il y a des années et des années. Les DRH n’ont jamais été entendues et ont dû répondre toutes seules à ces difficultés, parfois bien, parfois mal, de travers mais parce qu’elles n’ont pas été aidées ou soutenues. C’est sidérant. 

Comment ne pas entendre l’alerte quand des sondages disent que certains jeunes gens mettent la Charia avant les lois de la République. C’est un petit nombre pour l’instant, il ne faut pas s’affoler, mais ça commence toujours par un petit nombre. Si l’on ne s’en saisit pas, le petit nombre deviendra quoi ?

Autre alerte de ce sondage c’est les jeunes gens qui ne voient pas l’inconvénient du port de signes religieux à l’école. Donc ils n’ont pas conscience que l’école est un espace préservé de toute influences qui permet l’apprentissage et l’émancipation. 

La droite dans le débat présidentiel, pour convaincre, s’extrême droitise. Mais les gens ne veulent pas de cette extreme droitisation, ils veulent que l’on prenne à bras le corps leurs difficultés, être entendus. 

La sécurité est un sujet, l’immigration aussi, mais ce sujet n’est pas bien abordé en ce moment. C’est un sujet lié au changement climatique qui va mettre des milliers de gens sur les routes. Cette réflexion doit être dépassée et se raccorder à cette préoccupation écologique sur lequel on a une adhésion. La droite ne voit pas cela et ne s’en saisit pas, elle voit ce qu’elle a toujours vu, les choses sous l’angle répressif, point. L’extrême gauche ne peut pas nier cet angle répressif, l’extreme droite ne peut pas dire que c’est le sujet. Il faut revenir à un débat serein, calme pour poser ces problèmes là sur la table. Comment ne pas mettre en face de l’immigration, compte tenu de ce qui s’est passé récemment dans la Mer du Nord, le mot « dignité ». Il n’est plus dans le paysage politique ce mot de dignité.

Selon vous, une partie de la gauche aurait renié ses grands principes. Vous évoquez notamment Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, il était la figure même du « laïcard », soutenant le projet de loi Savary, luttant contre le concordat en Alsace-Moselle, cela faisait partie de ses combats. Que lui reprochez-vous ?

Je suis très en colère contre Jean-Luc Mélenchon. Je transmets la mémoire de Charb depuis cinq ans, j’ai été très proche de lui pendant vingt-cinq ans et donc je connais l’histoire de Charb et de Jean-Luc. Ils ont été ensemble sur un nombre important de combats, dont celui de l’interdiction du Front National qui selon eux n’était pas un parti républicain ou même démocrate.

J’ai l’impression que Jean-Luc a retourné sa veste. Je l’ai vu venir. Il est venu parler à l’enterrement de Charb mais il a participé un peu plus tard à ce que j’appelle la manifestation de la honte, en novembre 2019 pour dénoncer des lois islamophobes. Lesquelles? Ça n’existe pas selon moi. Il a défilé aux côtés d’organisateurs promouvant l’islam politique. Évidemment que tu ne choisis pas qui est à côté de toi dans une manifestation, mais l’appel était initié par ceux promouvant l’islam politique. C’est insupportable. Je pense que Melenchon, et il n’est pas le seul, a eu une espèce d’ivresses de pouvoir après 2017 car il a presque été au deuxième tour.  Et il semble persuadé qu’il existe un électorat musulman, les considérant comme les damnés de la terre. C’est une voie où il n’aurait pas dû s’engouffrer. Je pense aux militants de LFI qui doivent être désemparés.

Certains courants d’extrême droite, le Rassemblement National notamment, proclament la laïcité et prétendent la défendre. Est-ce une récupération ?

C’est faux ! Quand je vois Marine le Pen qui se dit féministe et laïque, c’est faux. C’est un mensonge sur toute la ligne puisque Marine le Pen n’est pas laïque quand elle s’affiche aux côtés des promoteurs des commandos anti-avortements ou des gens qui contestent le droit à la contraception. Laïcité et féminisme sont indissociables. Marine le Pen est laïque quand il s’agit d’islam, elle l’est beaucoup moins quand il s’agit de la religion chrétienne. 

Par ailleurs, elle n’est pas féministe car elle ne défend pas le droit des femmes, qu’elles que soient leurs conditions sociales, leurs origines, leur couleur de peau. Elle défend les droits des femmes pour certaines femmes et pas d’autres. Or, la base du féminisme c’est les mêmes doits pour toutes.

Si elle fait ça c’est aussi parce qu’on lui a laissé le terrain et elle l’a pris. L’extrême droite, dès qu’on lui laisse un centimètre carré de terrain, elle le prend.

Vous êtes chroniqueuse à Clara magazine-femmes solidaires, magazine d’actualité féministe. Comme vous venez de l’évoquez, vous pensez qu’il existe un lien indéfectible entre la notion de féminisme et celle de laïcité. Comment l’expliquer ?

Je suis persuadée de ce lien car la laïcité, pour moi, n’est pas seulement la loi de 1905, il y a surtout l’état d’esprit de cette loi. C’est très important. Elle a permis aux hommes et aux femmes de différencier ce qui est de l’ordre de leur avis politique et ce qui est de l’ordre de leur avis spirituel. Elle a séparé les deux choses. Elle est arrivée après une boucherie, trente ans de guerres civiles, religieuses et enfin, les femmes et les hommes pouvaient émettre une opinion politique, s’émanciper, sans avoir à se référer à une religion. Ce n’est pas rien. À partir de là, c’est ce qui a permis le progrès pour les droits des femmes. 

Par exemple, dans toutes les religions ce qui est promu c’est le droit à la vie absolu, donc pas de contraception, pas d’avortement. En faisant la différence entre les deux ordres, la bataille politique a pu être menée. On voit bien que sans la laïcité il n’y aurait pas ces droits là, c’est valable pour tous les sujets qui relèvent de l’émancipation des femmes car aucune religion, dans ses textes, ne permet l’égalité femmes-hommes. Tout simplement. C’est cette émancipation là qui fait le lien entre laïcité et féminisme. Le meilleur exemple est le fait que des femmes catholiques usent du droit à l’avortement sans difficulté, elles savent où elles mettent leur spiritualité et où elles mettent leurs doits.

Ces deux combats sont ils toujours à mener, sans relâche ?

Oui, non seulement à mener mais à protéger. Je suis sur la même ligne que Simone de Beauvoir. Rien n’est jamais acquis pour les femmes et quand on commence à vouloir rogner les libertés des gens, les premières concernées sont les femmes,. Il n’y a qu’à voir ce qui se passe en Afghanistan. Il faut protéger et combattre, avoir cette vision du monde, pas de l’entre soi franco-française uniquement. Ce sont les femmes du monde entier qui doivent être concernées.

Propos recueillis par Ambre Bertocchi

Crédit image : ©UEJF