Hunger Games: adaptation d’un phénomène littéraire

Après une guerre apocalyptique, une nouvelle société a été bâtie sur les ruines des Etats-Unis. Douze districts, contrôlés par un « Capitole » qui concentre puissance et richesses, doivent désormais donner chaque année, comme punition pour s’être rebellés, un garçon et une fille pour les Hunger Games annuels. Dans une arène colossale et redoutable, les vingt-quatre tributs des districts s’affrontent à mort, des caméras assurant la retransmission en direct du plus morbide des jeux télévisés. Lorsque sa petite sœur est tirée au sort – c’est-à-dire condamnée à mort – Katniss se porte volontaire à sa place. Son seul mot d’ordre, désormais : survivre.

On a (trop) souvent présenté la série Hunger Games comme l’héritier de Twilight ; c’est à vrai dire la pire insulte qu’on puisse faire à ces livres, certes destinés à un public adolescent, mais dont le seul point commun avec les vampires qui scintillent est leur succès commercial. Sans remuer plus longtemps le couteau dans la plaie béante que sont les vampires végétariens pour la culture de l’humanité, il faut comparer ce qui est comparable, et exclure donc toute analogie entre la plus belle série de navets des années 2010 et ce nouveau-venu, qui compte bien déclasser lesdits navets au box-office. Il est dans la nature d’un best-seller de devenir un film, dans un temps, un budget et une finesse de scénario plus ou moins restreints. A ce titre, Hunger Games s’en sort plutôt bien. hunger-games-mocking-jay-440x351.jpg

La première chose qui frappe, c’est la dureté du propos. Des gamins qui s’entretuent, Battle Royale le montrait déjà à sa manière ; mais il s’agit ici d’une société entière qui ferme les yeux sur ses morts. Ou plutôt, les ouvre bien grands, pour ne pas en perdre une miette sur grand écran : l’incarnation vivante du « pain et des jeux », dont Panem, le monde de Katniss, tire son nom.

L’ignominie du sacrifice engendre un malaise imminent, face à cette société malsaine qui semble se complaire dans son auto-mutilation. Ces questions cruelles, le roman se les posait intelligemment. On voyait naître le sentiment d’injustice mû plus tard en révolte, on se figurait les costumes splendides d’une ville richissime et nombriliste, on comprenait les choix – ou l’absence de choix – des enfants-sacrifices dans l’arène. La liberté est d’autant plus prégnante lorsqu’elle n’existe pas, d’autant plus forte qu’elle se manifeste par nécessité. A l’écran, le combat pour vivre, et vivre libre, existe bien, mais a perdu de sa superbe. Les tenues à la pointe de la mode du Capitole sont un peu ridicules, et la personnalité des jeunes gladiateurs à peine esquissée, là où pourtant demeurait le principal problème : que pensent de jeunes tributs livrés en pâture à la mort télévisuelle ?

La dimension télévisée, justement, ne veut pas se faire oublier. A trop vouloir appuyer ses mouvements de caméra, à trop filmer les producteurs du Capitole et trop peu le public des districts, Gary Ross oublie d’installer le climat de tension qu’il recherche. C’est à travers les yeux de son héroïne, la vaillante Katniss, que l’on finit par oublier que l’on filme pour enfin voir ce que l’on filme. Jennifer Lawrence (Winter’s Bone) porte d’un regard toute l’incompréhension qui nous envahit, dans cette grande course à la survie. C’est elle qui, tour à tour proie et chasseur, parvient à rendre au film sa révolte, et au personnage son humanité. La mort, le deuil, autant de notions personnifiées par les romans, il n’y a qu’elle pour les évoquer, épisodiquement, dans le film. Et lorsqu’elle s’écroule pour pleurer une victime innocente, c’est toute l’injustice d’une société qui se dessine, tout le poids de la vie hantée de disparus. hunger-games-1.jpg Dommage qu’il faille déplorer un manque de répondant de la part de ses partenaires : ni Josh Hutcherson, l’autre tribut du district 12, ni Liam Hemsworth ne convainquent dans les rôles masculins – il faut dire que l’intrigue ne les y aide pas, le triangle amoureux n’en étant même pas un. C’est dans les seconds rôles que le casting révèle sa saveur : Stanley Tucci est impeccable en présentateur figé et le trop rare Wes Bentley a conservé l’aura énigmatique qui le faisait briller dans American Beauty.

Si pour les lecteurs des romans, la première partie est une agréable redécouverte de Panem et de son fonctionnement, un spectateur non-averti trouvera longue l’heure et demie qui précède les premiers combats. Ceux-ci, bien que violents et mortels, n’étant jamais une effusion de sang – rappelez-vous, le film ne doit pas être interdit aux moins de douze ans… C’est aux péripéties inventives de rendre à l’arène son intérêt, esquissant en demi-teinte le mépris suprême des directeurs pour leurs candidats, lorsqu’une abeille génétiquement modifiée ou un loup créé par ordinateur deviennent rebondissements avant d’être meurtres. Seul le regard accusateur de Katniss semble toiser le Capitole. On sait bien qu’un, sans doute même deux autres films suivront, et il y a un certain plaisir à avoir peur pour elle sans avoir peur vraiment. Sûrement parce que le potentiel de son actrice est le premier argument du film Hunger Games, et la meilleure raison d’y voir une adaptation satisfaisante, d’un roman qui valait que l’on parle de lui.

7 Comments

  • Mockingjay

    Il faut lire le livre pour bien comprendre. Je trouve que le film a été bien réalisé, et de toute façon, ils ne pouvaient pas absolument tout retranscrire tellement il y a de choses … Certaines personnes n’ont visiblement pas compris que l’auteure veux faire passer un message à travers ses livres : elle dénonce (très violemment certes) la société d’aujourd’hui. Certaines choses, notamment la téléréalité sont devenues tellement pathétiques, et encore, en France, la téléréalité est plutôt gentille. Mais dans certains pays, les Hunger Games ne seraient franchement pas loin d’arriver …

  • Serge Turc

    @Arkhast : T`as fume ou quoi ? Le fait que les ados se connqissent dqns Battle Roytale n`est pas une difference fondamentale. Et le manque de gore dans Hunger Games s`explique aussi par le fait que c`est destine a un public jeune, ce qui se voit aussi au manque de profondeur de l`oeuvre (personnellement, j`ai hurle de rire en voyant que l`auteur passait plus de temps sur les emotions, les coiffures et les robes de Katniss que sur des elements VRAIMENT consistants.
    Ecrire des romans pour ado en surjouant sur le ressort de l`identification -qui n`aimerait pas etre un(e) guerrier(e) megabadasse qui vit une histoire d`amour hypermievre (moi si je serais dans une grotte avec l`elu(e) de mon coeur et la mort qui guette, je me contenterais PAS de ptibizous) avant de devenir une superstar ? – est une recette par trop eculee, et c`est pour ca qu`on a compare Hunger Games a Twilight.

  • tomate

    Le scénario est débile, l’actrice principale est bof, mais je trouve que tu as été méchant avec Peeta. Le mec est pas un mauvais bougre, il est surtout,et c’est ça le plus intéressant, pas beau. Ca change.

  • Woolwool

    N’ayant pas eu l’occasion de voir les livres, je n’ai pas pu comparer le film à l’œuvre originale, mais ces deux heures m’ont globalement paru bien longues. La première partie était assez plaisante, quoique pas transcendante non plus -les mouvements de caméra étaient spécialement désagréables-, mais on sombre dès que les jeux commencent.

    Les scènes incohérentes se multiplient, on frise parfois l’aberrant, et les moments dies d’émotion sont une catastrophe intégrale tant ils sont mal amenés et mal construits. Je n’avais jamais vu un film dont l’agonie, la mort et l’enterrement d’un personnage étaient plus longs que le reste de ses apparitions précédentes. Comment voulez-vous adhérer, comment voulez-vous être ému par la mort d’une petite fille que vous ne connaissez personnellement que depuis moins de cinq minutes ? (dans la vie je veux bien, mais au cinéma ?!)

    Ce film a été une grande déception, mais certaines idées étaient prometteuses, et les livres en eux-mêmes semblent plus ou moins intéressants. À lire, peut-être.

  • Arkhast

    Très bon article sur un bon film. J’ai commencé les livres après avoir vu le film, afin de voir si le scénario respecte bien l’oeuvre originale (je suis toujours très pointilleux à ce sujet). Force est de constater que tout (ou presque) y est. Le jeu des acteurs correspond bien aux personnages qu’ils incarnent. Le film joue beaucoup sur le contraste saisissant entre le superficiel du Capitale et la vraie souffrance des tributs et des districts. La scène du décompte avant le début des jeux vaut à elle seule le détour.
    Un mot sur la polémique qui a frappé le livre (surtout au Japon), à savoir le soi-disant « plagiat » du manga et du livre Battle Royale (tous deux scénarisés par le même auteur). Certes, le principe est le même (faire s’entre-tuer des adolescents), mais là s’arrête toute comparaison : la violence extrême (si vous aimez les cervelles qui giclent, dessinées avec un souci extrême du détail dans le manga), la sexualité, l’ambiance particulièrement glauque et dérangeante de Battle Royale le distingue de Hunger Games, qui est d’ailleurs un peu moins psychologique. Différence fondamentale également : dans Battle Royale, tous les ados sont des membres d’une même classe et se connaissent, ce qui ajoute beaucoup au récit. En conclusion, Hunger Games et Battle Royale n’ont presque rien à voir, et demeurent tous deux bons, voire très très bon dans le cas du manga.