Hiver et santé mentale, comment appréhender la dépression saisonnière?
L’hiver, dans l’imaginaire collectif, c’est Noël, la neige, les marrons chauds et les chocolats fumants au coin du feu. Malheureusement, la réalité est souvent loin d’être aussi simple et idyllique. Après avoir listé les choses qui surprennent le plus lorsque l’on passe un hiver à Paris pour la première fois, La Péniche continue sa saga hivernale et s’intéresse à l’impact psychologique de la dernière saison de l’année.
Pour les étudiants ultramarins, l’arrivée de l’hiver peut être synonyme « d’angoisse, de solitude et parfois de tristesse, […] parce que l’ampleur du changement est immense. » C’est ce que nous confie Rébecca, étudiante originaire de Martinique ; pour elle, l’éloignement, le froid, la frénésie de la vie étudiante sont autant de facteurs qui influent sur le moral des étudiants originaires d’outre-mer : « Regardons la vérité en face : ce que nous étudiants ultramarins subissons – en nous éloignant de nos racines, de notre famille, de nos habitudes, en découvrant tout à la fois l’hiver, les cinquante nuances de nouilles instantanées et le soleil qui ne semble jamais se lever – est un déracinement des plus brutaux qui soient. » Ainsi, devant tant de nouveautés à appréhender et à apprivoiser, le doute s’installe : on sort alors du cadre des préoccupations « techniques » (comment s’habiller ? comment se prémunir contre les maladies ?) pour en venir à questionner sa place dans cette nouvelle vie et sa capacité à s’y adapter. Sur ce point, Rébecca tient à rassurer : « il faut toujours garder à l’esprit que ces états d’âmes sont tout à fait normaux et ne préjugent en rien d’un échec individuel, encore moins d’une place illégitimement acquise que manifeste souvent le « syndrome de l’imposteur ». »
Cependant, parfois, le premier hiver n’est pas seulement porteur d’une déprime passagère mais bien d’une dépression. La nuance est à connaître : se sentir déprimé correspond à un état passager que chacun est susceptible de connaître à plusieurs moments de sa vie. En revanche, la dépression est une maladie qui se caractérise par des symptômes durables qui altèrent sensiblement et sur le long terme la vie de l’individu. Il est donc important et nécessaire de savoir différencier déprime et dépression, pour ne pas surestimer ni sous-estimer ses symptômes. À ce sujet, Chloé, étudiante d’origine guadeloupéenne, se souvient : « ça a été compliqué dès le départ. Parce qu’il y a la tentation de se dire que ça va passer, que c’est juste un coup de mou, un coup de blues. Après on se rend compte qu’on dort plus que d’habitude, qu’on n’a envie de rien, que c’est de plus en plus difficile de juste faire les choses basiques du quotidien : le ménage, les courses, les cours, même l’hygiène au jour le jour ; tout est une épreuve. Au début, j’ai pris des vitamines, pour moi c’était une baisse d’énergie banale. Ça n’a pas marché. J’ai changé mon alimentation, je me suis forcée à sortir, à voir du monde. A la fin j’annulais toujours tout pour rentrer chez moi et manger un menu happy meal. C’est en rentrant pour le break d’hiver que j’ai pu aller mieux. »
Rébecca et Chloé s’accordent donc toutes les deux pour dire que le premier hiver est une épreuve. Mais cette saison peut aussi constituer une période difficile pour les habitués du 0°C. En effet, la baisse de luminosité pendant l’hiver pourrait être à l’origine d’un trouble affectif saisonnier (ou TAS), c’est-à-dire un épisode dépressif qui surviendrait spécifiquement pendant cette saison. Une moindre exposition à la lumière entraînerait une perturbation de notre horloge biologique, ce qui jouerait un rôle dans l’apparition du TAS. Si ce trouble demeure rare au sein de la population, il est plus fréquent chez les personnes ayant quitté une région ensoleillée pour un climat plus froid.[1] La caractéristique première qui permet de soupçonner un TAS est son expression cyclique : « L’année suivante c’est revenu, je redoublais ma première année, c’était un cauchemar. C’est là que j’ai consulté, que j’ai demandé de l’aide. Reconnaitre le caractère sérieux et répétitif m’a beaucoup aidée », nous dit Chloé.
Une fois ce constat posé, une question demeure : comment prendre soin de sa santé mentale pour son premier hiver mais aussi les suivants ? Pour Chloé, mieux appréhender cette période passe d’abord par « une routine plus saine que d’habitude : légumes, repas chauds toujours, la diminution de la consommation de tabac (qui agit négativement sur le cerveau). » Il est également important de savoir reconnaître ses symptômes pour adopter le comportement que l’on estime être le plus bénéfique : « j’ai appris à prendre du recul aussi. Quand je sens que la dépression pointe le bout de son nez, j’évite le stress et les conflits pour me concentrer juste sur moi, je passe en mode automatique, jusqu’à ce que ça aille mieux. »
Pour les étudiants ultramarins, Rébecca tient à rappeler que ce changement drastique de vie est « aussi une chance. Une chance, car relever ces épreuves nous permet de mûrir plus vite que nos amis qui rentrent chez eux tous les soirs ou tous les weekends. Une chance, parce qu’on apprend ainsi à mieux se connaître : nos forces, nos faiblesses, nos limites. Une chance, qui deviendra fierté avec le recul, devant le chemin accompli et les obstacles déjoués. » Ensuite, elle insiste sur l’importance de parler des difficultés que l’on rencontre : « il ne faut pas hésiter à se tourner vers les autres qui ont partagé des expériences similaires. On s’est tous demandés à quelle fréquence changer nos draps, comment se couvrir quand le thermomètre chute en-deçà des 20 degrés, si une carence en vitamine D peut être dangereuse, pourquoi les « colipays » concoctés par notre famille mettent toujours tant de temps à arriver et pourquoi les billets d’avion sont désespérément si chers. Partager ses doutes et ses difficultés est fondamental parce que cela permet de réaliser que l’on n’est ni les seuls ni les premiers à vivre ces temps douloureux et que d’autres, comme nous bientôt, ont réussi à les surmonter. Notre différence est une force et, avec le soutien de nos pairs, il s’agit de montrer que l’on a chacun et chacune tant à apporter. N’hésitez pas à solliciter les « aînés » ! » Mais alors, où trouver ceux qui sont passés par là avant nous ? À Sciences Po, l’association Sciences Ô est un espace de promotion des cultures ultramarines au sein duquel se retrouve de nombreux étudiants aux parcours divers avec qui il est possible d’échanger et de confronter les expériences.
Enfin, parce qu’il est important de demander de l’aide lorsque l’on en ressent le besoin, nous vous proposons une sélection de structures gratuites d’accueil et d’aide psychologique pour les étudiants :
- Pôle santé de Sciences Po : 13 rue de l’Université. Cellule d’écoute psychologique accessible sur rendez-vous.
- Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP) : de 0 à 20 ans. 15 centres à Paris et 101 au total dans toute l’Île-de-France.
- Maison des adolescents : de 0 à 18 ans.
- Bureau d’Aide Psychologique Universitaire (BAPU) : 2 centres à Paris et 6 en Île-de-France.
La Péniche revient bientôt avec un dernier article sur le
thème de l’hiver ! En attendant, pour continuer à vous informer sur la
santé mentale, n’hésitez pas un jeter un
œil du côté de l’Inno, une
initiative étudiante qui vise à sensibiliser à ces problématiques.
[1] http://santecheznous.com/condition/getcondition/Trouble-affectif-saisonnier