Full Metal Timetable

bibliotheque02.jpgIl y a des jours comme ça où il neige, où on glande en biliothèque en comptant les chênes en digérant son crudités-poulet et où on se retrouve en pleine guerre civile. Hier, les premières années procédaient à leurs inscriptions pédagogiques du second semestre et LaPéniche avait un envoyé spécial.

13H58: Confortablement installé au 5ème étage de l’Apple Store, j’étais confronté à un choix cornélien connu de nombreux sciences-pistes : exposé ou épisode de Chuck (HIMYM si on a moins de temps) ? La fenêtre Word et celle de streaming subissait le ping pong incessant de mon cerveau quand je tranchais pour un tour sur Rue 89 sur fond de Muse. Le temps que la page se charge, je ne peux m’empêcher un petit regard vers ma voisine à qui j’ai cédé généreusement ma place 15 min auparavant parce qu’elle devait faire « quelque chose d’important », volant avec plaisir une place réservée et vide depuis 1h30, c’est marqué bibliothèque ou vestiaire du gymnase à l’entrée, j’ai un doute. Elle semble stressée, je crois reconnaître une première année. Je continue ma lecture quand elle donne par mégarde un coup nerveux avec sa souris dans mon classeur. 18 ans et même pas fichue de cliquer droit, je fulmine : l’alcool fait des ravages dans notre jeunesse.

13H59: Deezer lance le live de Knights of Cyclodia (faites-le aussi, histoire de vous immerger), je me détends en hochant nonchalamment la tête et regarde à nouveau ma voisine qui semble carrément avoir peur. Un reporter du National Geographic se régalerait : la main crispée sur sa souris, les yeux injectés de sang fixés sur l’écran, les muscles contractés, la tête qui se rapproche, puis s’éloigne, elle attend le moment propice, elle se contient , un peu comme la femelle lionne qui attend cachée que l’antilope fasse un pas de plus pour la dévorer saignante, sauf que la lionne est encore une bleue. Se pourrait-il que…?

14H: La batterie de Muse s’emballe et la bibliothèque aussi. Comme une rumeur sourde qui se répand le temps d’un éclair, la folie s’empare de la salle. Le nombre de clics par seconde est impressionnant, ma voisine a sorti les crocs et est littéralement frénétique, je réalise enfin : bienvenue aux inscriptions pédagogiques des premières années. Alors mentalement, je l’encourage, ce qui donne un truc du un mélange de Guy Roux et un candidat de Fort Boyard : « Vite, allez, oui oui oui, tu l’as, vas-y, oui non t’as cliqué à côté merde tu fous quoi allez, tes appuis, travaille tes appuis, oui voilà bon chrono, donne tout ce que t’as, oh… oh… c’est bien oui… oui tu l’as, TU L’AS ta conf’ championne, tu l’as !!!! »… La fréquence des clics ralentit… Désespoir? Jubilation? Manque de neurones? Je ne sais pas vraiment, mais elle est quand même blonde. Aïe, les sourcils se rejoignent, signe de panique, les soupires s’enchainent: détresse ?soulagement ? La chasse est ouverte, un vrombissement d’insectes transgéniques carnivores ou des chuchotements hargneux et jaloux – on ne sait pas trop – se répercutent aux quatre coins de l’Apple Store.

14h02: Un mec se mord les doigts dans son canapé, se retenant de faire la même chose sur sa voisine qui vient de lui chipper sa conf du mardi après-midi. Et là, c’est le drame. Les portes claquent, des talons résonnent comme une parade militaire dans cette atmosphère à la fois assourdissante de nervosité et en même temps d’un silence glacial. Une fille débarque comme en 44, bouquin d’histoire au fusil, l’air totalement désespérée, parachutée sur le village normand « 2 ème semestre » sans armes, et cours pour tenter d’arracher un ordinateur. « JE CHERCHE UN PC, JE CHERCHE UN PC !!! », ça ne sert à rien de crier joli-cœur, il n’y a que des macs ici. Ah, enfin une lueur d’espoir, je distingue un sourire apaisé dans tout ce marasme. Raté, c’est juste un 2A qui regarde les photos de Miss France.

14h03: Je me gratte l’épaule. Je savais que j’aurais du laver ce T-shirt avant de l’essayer. Ton Deezer passe maintenant à « Dream is collapsing » d’Hans Zimmer.

14H04: Nouveau rebondissement. En face de moi, cachée derrière son 28 pouces, une petite brune aux bords des larmes. Vous pensez, j’allais courir la consoler, mais une sciences-pote s’en charge déjà. Bien sûr, elle n’en a rien à faire qu’on vienne l’aider, elle se contente de répéter « mais… mais… je suis pas inscrite, je suis pas inscrite !!! »… putain de guerre.

14h06: Les gestes se font plus apaisés à côté de moi, l’opération s’est bien passée au final, elle va pouvoir repartir finir sa permanence au BDE. Quoique, j’entends à nouveau les tambours (comment une souris peut-elle faire autant de bruit ?) des tentatives désespérées d’actualisation de page, quitte à ce que son engin s’enraye. On oublie le langage chatoyant des exposés et on introduit par « ah ben voilà super », on problématise subtilement par « mais c’est quoi ce bordel », première partie « c’est pas possible, non, il y a forcément une erreur », on argumente son malheur à coups de « putains » plaintifs , puis vient la deuxième partie axée sur « c’est foutu, là, je vois plus quoi faire » et on conclut sobrement par un condensé de toutes ces expressions achevées à tous les sens du terme par un « je vais me pendre » (sic). En face, le soutien psychologique des forces arrières est à présent bien en place. Sa copine prend l’air du sciences-piste amical et vraiment désolé, autant dire qu’elle compte se faire payer un ou deux verres au Bizuth (oui, prestation haut de gamme) pour ses conseils avisés et son étude de faillite : il faut commencer le consulting dès le plus jeune âge.

14H10: Les bruits d’armes automatiques se font à présent plus rares. Les voix sont plus aiguës, les respirations tentent de s’apaiser. L’orage est en train de passer alors on essaye de reprendre sa posture « trop cool » mais faussement décontractée parce que le palpitant est à 200 et que ça, c’est pas classe. Les regards commencent à se croiser, on compare les proies conquises à la chasse, on se croirait à la douche des mecs après le premier entraînement de rugby.

14H12: Le gros de la bataille est terminé. Quelques tirs furtifs mais les souris refroidissent progressivement. Il est temps pour le combattant de se connecter sur facebook pour partager ses souvenirs de guerre, sa névrose et autres traumatismes des champs de bataille. Certains passent des appels pour appeler les relations qu’ils ont essayé de tisser en 6 mois dans cet univers impitoyable, ce qui revient à parler de soi en faisant semblant d’écouter les malheurs de ses collègues. D’ailleurs, il reste quelques petites poches de résistances. Il y en a toujours qui veulent se battre jusqu’à la mort, qui n’ont pas compris que tout était joué et qui refusent de se rendre. Alors en face, la consultante a demandé du renfort à la base, et c’est maintenant un escadron Boutmy qui entoure la récalcitrante, lorgnant avec compassion sur l’écran où les horaires terribles obtenus clignotent entre deux actualisations de celle qui refuse obstinément de lâcher son arme, psalmodiant des « ça me saoule » au rythme de ses mouvements de tête. Ailleurs les secours s’organisent, on embarque sur des civières rousses en collants, décolleté hivernal et mini jupe des blessés qui délirent vers la machine a café… putain de guerre.

14H15: Rambette, sur les conseils de son équipe qui commence des simulations graphiques pour déterminer la meilleure stratégie de contre-attaque, dégaine son portable et pour le principe sort dans l’escalier pour aller incendier l’administration. Pour le principe parce qu’elle parle tellement fort et au vu du blindage des murs, c’est comme si elle était sur mes genoux. L’appel semble l’avoir rassuré, petit hochement aux membres de la Boutmy Team, qui se prennent dans les bras, tu sais, comme dans la salle de commande à Houston quand le satellite est « maintenant sur orbite, well done », et choisissent déjà leurs cocktails. Le champ de bataille est maintenant calme, la bibliothèque reprend ses droits, constitutionnels. Seuls les Macs noircis, des flaques de larmes, quelques tâches de sang et loques recroquevillées sur les canapés ou contre le mur rappellent l’intense carnage qui vient de s’accomplir. J’ai une petite pensée pour la fille perdue qui cherchait l’ordinateur, qu’est-elle devenue ? Peut être est-ce elle que je vois sauter par la fenêtre, mais peu importe, mon épisode de Chuck est à présent chargé.

19H12 et 42,43,44… secondes: Une fois rentré chez moi je me remémore avec un sourire paternel ces 18 min d’enfer auxquelles j’ai assisté. Je sors ma chemise blanche à exposé, mon petit sous pull noir (on est sciences-piste ou on ne l’est pas), mon boxer porte-bonheur. Je nettoie consciencieusement ma souris à aération automatique avec accéléromètre intégré pour une meilleure précision des mouvements et vérifie la puissance de ma connexion internet dont j’ai augmenté le débit il y a deux jours. Dire que ces gamins errent encore sûrement en haillons (100% coton et soie), l’œil hagard , préparant une manifestation dans le petit hall et un siège du secrétariat pédagogiques pendant que d’autres, fiers, fermant les yeux, attendent que quelqu’un décroche : « allo… maman… ça y est, j’ai réussi maman, j’ai suivi tes conseils et je… oui j’ai utilisé deux doigts pour cliquer tu as raison c’est plus efficace… maman… si tu savais (petite larme)… ce que j’ai vécu, je peux rentrer ce week-end ? ». Les vétérans eux, dans l’ombre, se préparent. Vendredi, ils seront enragés, armés des chaussettes en soie jusqu’au dents détartrées. Il y aura beaucoup de sang, des sciences-potes crucifiés sur l’hôtel des électifs et des Macs du voisin débranchés « par mégarde ». les heurts passent, seuls les héros et les conférences à 19h15 laissent une trace : alors toi qui lit ces lignes, es-tu prêt ?

Joseph Chapotte featuring Laura Le Saux

16 Comments