« Le FN a compris la puissance du digital dans sa marche vers le pouvoir »

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Anciens collaborateurs parlementaires, férus de marketing, de numérique et de nouvelles technologies, Cyril Courson et Julien Peres ont co-fondé l’Agence Wefluence à la rentrée 2014. Ils accompagnent aujourd’hui élus, collectivités, institutions publiques et entreprises dans la définition et mise en oeuvre de leur stratégie de communication digitale.

Passionnés aussi bien par la communication de campagne que par la communication publique, ils scrutent en permanence les dernières innovations en la matière des start-up, en France comme à l’étranger.

Chaque mois, ils décryptent l’actualité de la communication politique pour La Peniche.  

A défaut d’avoir été le premier parti de France aux départementales, le FN est il aujourd’hui le premier parti de France sur la toile ?

Cyril Courson : Partant du postulat que les médias traditionnels ne sont pas bienveillants à son égard, le FN a parfaitement compris la puissance de la communication digitale dans sa marche vers la conquête du pouvoir. La galaxie numérique du FN est très complète. Il possède des comptes sur les principaux réseaux sociaux, de nombreux sites internet, des applications mobiles, des blogs, son propre réseau social Les Patriotes et même un site de rencontre pour « les sympathisants du FN et de la droite nationale ».

Il n’aura échappé à personne qu’une des stratégies du FN est d’infiltrer les médias en ligne via les commentaires. Le Figaro, Le Monde, L’Express, entre autres, font tous l’objet par les sympathisants du mouvement, de nombreux commentaires sur leurs articles, favorables au FN ou reprenant les éléments de langage du parti.

« La galaxie numérique du FN est très complète. Il possède des comptes sur les principaux réseaux sociaux, de nombreux sites internet, des applications mobiles, des blogs, son propre réseau social »

Quant à savoir si le FN est le premier parti de France sur la toile, tout dépend si l’on se place uniquement d’un point de vue quantitatif ou si le critère premier est celui de l’influence. A titre d’exemple, sur Facebook, le FN se classe 2ème derrière le parti Anti Sioniste et devant l’UMP avec environ 223 000 fans alors que sur Twitter, il est en quatrième position derrière EELV, l’UMP et le PS avec 74 500 followers.

Le web et plus particulièrement les réseaux sociaux, sont au cœur de la stratégie du FN, notamment depuis 2012, année de l’élection présidentielle. Le parti a très vite compris que ses supports numériques étaient la clef pour consolider sa base et élargir son électorat mais aussi et surtout pour briser la verticalité de la diffusion de l’information via les médias traditionnels. On peut même parler aujourd’hui de processus de normalisation plus que de dédiabolisation.

Classement des partis politiques sur Facebook
Classement des partis politiques sur Facebook

Julien Peres :  L’extrême droite a toujours occupé une place à part et importante sur le net, en comprenant très vite la puissance de ce média qui lui permettait dans un premier temps de fédérer sa base militante. Au début des années 2000, l’extrême droite fonctionnait sur le web en cercles concentriques autour de forums ciblés et certains sites bien précis.

Le basculement s’est opéré en 2011 en amont de la campagne présidentielle avec l’arrivée de militants de toutes parts. C’est à ce moment là que le culte du pseudo ou de « l’avatar » a disparu chez les militants d’extrême droite présents sur le net, lesquels ont commencé à devenir des militants 2.0 « normaux ».

La même année également, Marine le Pen est devenue présidente du parti et cette nouvelle façon d’agir sur le web chez les militants d’extrême droite a été renforcée par ce que l’on a appelé la « banalisation » ou « dédiabolisation ». On a ainsi eu la sensation que le Front National a accru sa présence dans l’espace numérique ces dernières années, alors que seul le modus operandi a changé.

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Candidat du FN dans la Mayenne, il mime l’exécution de François Hollande sur Facebook, et plaide la « blague ».

Les profils des candidats FN sur les réseaux sociaux ont causé parfois beaucoup de torts au parti : il y a une sorte de « fachosphère » difficilement contrôlable. Le FN semble être dans un état de bad buzz permanent, qu’est-ce que le parti peut faire contre ça ? 

Cyril Courson :  Lors des dernières élections départementales et comme bien souvent, notamment à cause d’un déficit de cadres politiques, le FN a fait le choix de la quantité au détriment de la qualité.

A l’affichage, c’est vendeur puisque plus de 7500 candidats se sont présentés sous la bannière du parti mais à l’arrivée, certains candidats se sont particulièrement illustrés avec des propos antisémites, racistes et homophobes.

Le FN a bien tenté de limiter la casse en nommant deux personnes en charge de la vérification des contenus sur les réseaux sociaux avant les investitures mais la tâche étant quasi mission impossible, elle a bien évidemment échoué.

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La solution radicale pour restreindre les dérapages en cascade serait l’exclusion systématique de tout adhérent ou candidat, peu importe son niveau hiérarchique au sein du mouvement, qui se serait rendu couple de propos répréhensibles par la loi ou contraires à la charte éditoriale du parti. Marine Le Pen pourrait également condamner publiquement les dérapages et ainsi fixer les lignes jaunes à ne pas dépasser.

La réalité est quelque peu différente car le FN sait qu’il a besoin de toutes ses franges, même les plus radicales et que par conséquent il est obligé de les laisser prospérer dans un certain cadre aux limites très floues, sans quoi il risquerait de se laisser dépasser par la droite.

« Le FN sait qu’il a besoin de toutes ses franges, même les plus radicales et que par conséquent il est obligé de les laisser prospérer dans un certain cadre aux limites très floues, sans quoi il risquerait de se laisser dépasser par la droite. »

Julien Peres :  La causticité et l’affrontement sont dans l’ADN des réseaux sociaux, il n’y a pas de place à l’argumentation. Comme le FN amène la plupart du temps des idées extrêmement clivantes dans le débat public, celles-ci se retrouvent par définition sur le net. 

Le FN se sait scruté par des militants à gauche et à droite ou même par certains journalistes veillant au grain sur l’actualité politique (c’est le cas par exemple de l’excellente idée du Lab Europe 1), mais la méconnaissance des réseaux sociaux par certains cadres locaux recrée ce climat parfois nauséabond. 

Pour autant, excepté quelques graves dérapages, ce léger laisser-faire semble convenir au FN : Marine Le Pen se charge d’adoucir les idées du parti au niveau national tout en laissant parfois se propager des thèses des franges les plus extrêmes sur les réseaux sociaux sans les condamner fermement. Ce double jeu lui permet de ne pas trop se détacher pour l’instant d’une partie de son électorat historique. 

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 Marine Le Pen veut être le hérault des libertés numériques. Le FN peut-il devenir le parti des Anonymous ou des cyberactivistes ? Et si le FN devenait le Parti Pirate français en somme ? 

Cyril Courson : Une phrase de Marine Le Pen résume à elle seule la stratégie du FN qui veut apparaitre comme un rempart contre les attaques aux libertés sur internet : « Je suis déjà la candidate des invisibles, alors pourquoi pas celle des Anonymous, ils luttent contre ceux au pouvoir, ils sont pour la liberté d’expression ». Elle souhaite clairement reproduire dans la sphère des libertés numériques son positionnement de parti hors système qui se bat contre les puissants et protège les opprimés. Le FN se ferait donc le chantre de la liberté d’expression et de la lutte contre la censure face à un état qui limiterait les libertés individuelles.

C’est assez paradoxal dans la mesure où le FN défend en permanence la thèse d’un état fort, centralisé, régalien qui peut tout ou presque au nom de l’intérêt supérieur de l’état. Si l’on observe par exemple l’attitude relativement agressive du FN face au site d’information Mediapart qui lui est généralement hostile, on peut se demander si la liberté d’expression version FN ne serait pas : « la liberté de blâmer tant que cela ne nuit pas à l’image du FN » ?

« Marine Le Pen souhaite clairement reproduire dans la sphère des libertés numériques son positionnement de parti hors système qui se bat contre les puissants et protège les opprimés »

Julien Peres :  Marine Le Pen est dans le fantasme. Elle fantasme le numérique comme elle fantasme par exemple l’Europe. Ce fut le cas pour la sortie de l’euro en arguant que la France devait redevenir libre économiquement, ce fut le centre de son combat pour la liberté d’expression lors de l’Affaire Dieudonné, ce n’est pas étonnant désormais qu’elle communique sur la liberté numérique au moment où le débat sur la « loi renseignement » bat son plein, et qu’elle dénonce une « surveillance de masse ».

Si l’on observe par exemple l’attitude relativement agressive du FN face au site d’information Mediapart qui lui est généralement hostile, on peut se demander si la liberté d’expression version FN ne serait pas : « la liberté de blâmer tant que cela ne nuit pas à l’image du FN » ?

Sur la forme c’est une histoire d’habillage pour que son thème fétiche du protectionnisme s’intègre plus généralement dans celui de « la défense des libertés » bien plus séduisant et moins clivant. Stratégiquement cela lui permet de faire venir les adversaires sur son terrain pour l’élection présidentielle de 2017, qui risque de se jouer en partie sur les libertés et les thèmes environnants.

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