Faut-il sauver le concours d’entrée ?

concours.jpgHervé Crès nous demande notre avis sur « l’avancement éventuel » du concours d’entrée avant l’été. Cette éventualité est une certitude car SciencesPo nous annonce que la rentrée 2010 se fera le 1er Septembre. D’ailleurs, l’enquête à laquelle nous sommes tous invités à participer ne propose pas de conserver la date actuelle.

La volonté d’aligner SciencesPo sur la majorité des universités étrangères et des classes préparatoires est légitime. Une université qui insiste sur son intégration dans le tissu mondial des établissements d’élite a intérêt à limiter ses différences administratives. Reste que le choix de la date du concours n’est pas innocent. Un concours juste avant ou juste après les épreuves du baccalauréat c’est dans quelques années la suppression du concours et une sélection sur dossier. Sans préjuger de la volonté de la direction, on notera que trois des quatre dates proposées sont en juin.

Avec un concours fixé autour du bac, les prépas d’été deviendraient des prépas à l’année auxquelles seuls les parisiens auraient accès. Les terminales SciencesPo pulluleraient dans les lycées privés et des « modules » SciencesPo apparaîtraient dans les grands lycées de la capitale. L’iniquité de ce système condamnerait à moyen terme le concours d’entrée.

La seule alternative viable pour le concours, c’est d’avoir lieu fin juillet. Pensons un instant aux candidats des filières scientifiques. Les priver d’un temps entre leurs épreuves du bac et le concours c’est empêcher leur candidatures. Face à des ES et des L, un S a peu de chances sur un concours SciencesPo fin juin. Alors que SciencesPo mathématise son curriculum et ambitionne de développer une renommée internationale en finance et en recherche économique, nous n’avons pas intérêt à réduire la part des scientifiques dans nos effectifs.

Mais pourquoi faut-il sauver le concours d’entrée ? Après tout, n’est-ce pas l’un des archaïsmes de SciencesPo, une bizarrerie gauloise socialement discriminante ? Oui, le concours sanctionne des différences de capital culturel et favorise ainsi les classes les plus favorisées. Nul ne le nie. Et pourtant, certains très privilégiés ne sont pas admis au concours. Je ne peux m’exprimer que pour mon année, mais au concours d’entrée 2006, deux enfants de ministres ont été recalés. Pensez-vous que cela aurait été le cas si la sélection se faisait sur dossier ?

Même s’il oublie les inégalités d’éducation scolaires et extra-scolaires, le concours est encore le mode de sélection républicain par excellence parce qu’il prévient le népotisme et la cooptation à l’entrée des Grandes écoles. Cela ne m’empêche pas d’être partisan d’une sélection partielle de la promotion sur mention très bien ou de soutenir les Conventions d’Etudes Prioritaires. Je vous renvoie à Rawls : « si la liberté est inégale, la liberté de ceux qui ont le moins de liberté doit être mieux protégée. »

Illustration: lewebpedagogique

4 Comments

  • Maxime

    Supprimer le concours d’entree est une bonne initiative, mais appelle un effort necessaire pour repenser l’admission sur dossier. J’imagine (ou plutot j’espere) que l’alternative au concours ne serait pas une simple extension du systeme MTB. Je pense qu’un systeme d’admission sur les competences « scolaro-intellectuelles » (type MTB) mais aussi et surtout sur la personnalite de l’eleve serait plus approprie (un peu comme dans certaines grandes universites americaines, bien que n’etant pas totalement sur de mes dires).

    Marre des androides clones qui marchent en Peniche ou en cafet avec le meme style, la meme tronche et la meme maniere de pensee (la 3A est un vrai soulagement a ce niveau la).

    La selection devrait se faire sur une evaluation de la personnalite des etudiants en plus de leur niveau intellectuel, si tant est que celui ci puisse etre reduit a connaitre vaguement l’histoire des RI de 1945 a nos jours. Bien sur c’est plus complexe d’evaluer une personnalite… Un oral d’admission s’impose alors, ou je ne sais pas, des redactions libres, un truc stupide permettant a l’eleve de prouver qu’il a autre chose dans la tete que ce qu’il a appris au cours de son cursus academique. C’est aberrant qu’on puisse rentrer a sciences po en ayant rien fait ni prouve (moi le premier, etant entre sur mention en ayant glande pendant toute mon annee de terminale).

    Bonne prise de tete!

  • Victor-manuel

    J’estime au contraire que le concours d’entrée est le seul vrai moyen d’intégration. Vous parlez de favoritisme dû au concours, mais croyez-vous qu’une sélection sur dossier ne recouvre pas les mêmes problèmes ? Dites moi en quoi avoir eu 18 ou 19 de moyenne au Bac est plus cohérent que de passer des épreuves ciblées, en rapport direct avec ce qu’on nous demande de faire une fois l’établissement intégré ? Sérieusement dites-moi !
    La fameuse méritocratie dont on nous parle si souvent, si tenté qu’elle existe, se retrouve à mon humble avis bien plus dans un concours d’entrée qui impose de travailler une partie de l’été, c’est à dire ne pas considérer Sciences Po comme un acquis, plutôt que de rentrer parce qu’on a eu les bonnes notes là où il fallait, sachant que chaque lycée est différent, qu’il n’y a pas la même loterie de notation avec le baccalauréat qu’avec le concours d’entrée. Je ne vois pas ce qu’il y a de plus juste à l’entrée par dossier, bien au contraire, les lycées parisiens auront toujours un meilleur niveau (en moyenne) que sur le reste du territoire. Au contraire organiser un concours commun que TOUT LE MONDE, quelque soit sa formation, passera à l’identique et qui sera évalué de la même manière, voilà le choix le plus démocratique !
    Que certains décident de payer des sommes exorbitantes pour faire une prépa d’été, eh bien oui ça arrive, il y en a aussi qui font ça pour améliorer leur score au baccalauréat et in fine pour être pris sur dossier à Sciences Po !

    PS : une certaine prépa d’été, dont je viens, a aussi son propre concours d’entrée, et qui plus est, cette prépa dont je tairai le nom a les meilleurs résultats d’entrée et est la moins chère après le CNED… comme quoi c’est possible !

  • GH

    En ce qui concerne les prépas concours, certes certains lycées parisiens formeront peut etre plus efficacement pendant l’année (et encore, ce n’est pas évident) mais l’important est que la grosse inégalité due aux couts des prépas d’été sera éradiquée. Les élèves auront la possibilité de préparer Sciences Po pendant l’année soit de facon individuelle soit grace à des prépas gratuites dans les lycées publics.
    Reste deux problèmes : les lycées privés ont des formations payantes et certains lycées n’en ont pas du tout.
    Cependant si vous interrogez les personnes autour de vous, très peu ont fait des prépas durant l’année.

    En ce qui concerne le contenu du concours, le programme du bac n’est pas le meme pour toutes les filières. Il faudra s’en tenir au tronc commun et les filières ES et L sont avantagées sur les matières du concours de Sciences Po car elles sont plus « spéacialisées » (par le nombre d’heures de cours et les coef) à ces domaines. Pourquoi ne pas proposer qu’une des 4 épreuves corresponde à une filière : les ES auraient une épreuve d’éco par exemple (ceci permettrait une ouverture à toutes les filières y compris technologiques).

    Enfin, au sujet de la cooptation, si nous regardons les listes que ce soit concours ou dossier, des questions se posent à propos des noms. Je ne sais pas comment cela se passe au niveau des jurys d’admissions donc je ne me permet pas de faire de commentaires, cependant le dossier est aussi une forme d’admission sur le mérite puisqu’il prend en compte les efforts faits sur plusieurs années, ce qui me semble moins arbitraire que le jugement sur un concours unique, dont la correction de chaque épreuve est laissé à l’appréciation d’une seule personne.

  • Moa

    « Un concours juste avant ou juste après les épreuves du baccalauréat c’est dans quelques années la suppression du concours ».
    C’est incroyable comme position ! On ne pourrait plus juger si dans l’absolu une solution serait meilleure qu’une autre, tout de suite on dit « c’est équivalent à le supprimer ».
    Je ne suis pas d’accord : on peut rapprocher considérablement les programmes de révision et dissocier les exigences en termes de réflexion et d’aptitudes dont il faudrait faire preuve. C’est une option qui n’est pas envisagée dans l’article, mais pourquoi ne serait-elle pas viable ? Cela suppose, effectivement, de parler du contenu des épreuves en même temps que du choix de la date. Faut-il s’interdire ce débat ? non ! Ne tombons pas dans le piège de la date-puis-c’est-tout. Le fond et la forme sont strictement indissociables, on le voit bien : alors posons véritablement toutes les questions.

    Sur les prépas d’été et celles d’année, je ne suis pas d’accord non plus : ce ne serait pas remplacer la discrimination sociale par une discrimination géographique. Ce serait avant tout fermer le boulevard de 2 (ou 1) mois laissé à la reproduction sociale. Pendant l’année, quand bien même il y aurait des différences entre les lycées, chaque lycéen peut poser des questions à ses professeurs, être encadré et aidé dans ses révisions. Pas même les prémices de ce semblant d’équité pendant l’été, où sont quand même sacrément discriminés ceux qui bossent pour financer leurs études ou ceux qui bossent par eux-même, quand bien même certains auraient réussi le concours (dont moi). Un contre-exemple ne prouvera jamais rien ! Et si la vraie solution était de calquer les programmes de révision sur ceux du bac (pour réduire considérablement la valeur ajoutée des prépas aux révisions), pour supprimer ce besoin de révision supplémentaire et tendre vers l’égalité des chances tant défendue à l’IEP ?

    Plus besoin d’un été de révision pour les S, qui n’auraient plus toute cette matière supplémentaire à apprendre, et qui pourraient arriver avec leur très bon bac, leur réflexion, et réussir le concours comme tous les autres lycéens. L’article nous donne des contres-exemples de riches qui ont raté, qui auraient réussi par dossier ? Super. Je pourrais vous en trouver pour n’importe quelle position, cela ne justifiera jamais rien. En plus -Dieu merci- le dossier est anonyme. Regardons plutôt les chiffres, les tendances et ouvrons les yeux : BIAIS SOCIAL ! C’est ça la sélection républicaine ?

    Moi je défend l’égalité des chances et la justice sociale. Je défends la démocratisation de l’IEP. Si la république devait rejeter ces valeurs, alors je pense que je vais me mettre à rejeter ce prétendu « idéal » républicain ? Quel IEP voulons nous ? Celui de l’élitisme pseudo »républicain » ou celui de la justice sociale ? Celui de la discrimination sociale ou celui de l’égalité des chances ?

    En tout cas mon choix est fait. Je remercie l’auteur de l’article de m’avoir fait découvrir mon esprit profondément anti-républicain. Je me coucherais moins bête ce soir.
    Alors comme ça je serais démocrate ?