L’Union européenne a-t-elle une politique étrangère ?

Sans titre 2Sans titreLe 30 septembre 2015, Critique de la Raison Européenne organisait à Sciences Po une conférence débat sur la politique étrangère de l’Union européenne. Les deux personnalités invitées à confronter leurs points de vue étaient le député des Républicains Jacques Myard, spécialiste de politique étrangère, et l’économiste Jacques Sapir, spécialiste des questions européennes et de la politique extérieure de la Russie. Tous deux, convaincus et cherchant à convaincre, illustrant leurs propos d’anecdotes plus ou moins récentes, se montrent pessimistes quant à une Europe unifiée. Ils n’excluent pas une prise d’indépendance de la France. La réaction de l’UE face aux conflits est jugée inefficace en raison de la division des Etats membres et serait dirigée par la volonté des Etats-Unis. La question de l’attitude à adopter à l’égard de la Russie est aussi posée. Et au fil de la conférence le rôle de la France est présenté comme insignifiant.

 

Une situation « pire que dans les dernières années de la guerre froide »

Jacques Sapir considère que la politique étrangère européenne est dans une impasse depuis le traité de Lisbonne de 2007. Celui-ci renforçait la coopération des Etats de l’Union européenne dans l’objectif d’une politique étrangère commune. Depuis cette date, l’Europe se voit donc contrainte, au nom de la solidarité européenne, de conduire des politiques contraires aux intérêts nationaux de certains Etats, dont la France, de toute évidence.

© Critique de la Raison Européenne

Face à ce concept étroit de solidarité européenne, certains pays comme la Russie adoptent une attitude défensive. La situation est tendue, et d’après lui « pire que dans les dernières années de la guerre froide », durant lesquelles se réalisait le démantèlement progressif du bloc de l’Est. La chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989 en fut l’évènement emblématique.

Aujourd’hui, la confrontation avec la Russie voulue par les Etats-Unis est reprise par l’UE. Les sanctions contre la Russie ont conduit à des contre sanctions. Leur objectif protectionniste a produit des effets indésirables comme la crise agricole. Cela de manière directe par l’arrêt des exportations en Russie, et indirecte par l’interdiction faite aux pays de l’Union Européenne d’accéder au marché Russe. C’est en effet la hausse de la concurrence au sein de l’Union Européenne qui est un des facteurs de la baisse des prix des produits agricoles.

 

« Devons-nous entrer dans cette logique de confrontation avec la Russie, ou faire la part des choses ? »

La question est posée par Jacques Sapir. Les Russes ne sont pas « blancs comme des agneaux qui viennent de naître ». Vladimir Poutine dénonce un coup d’Etat lors du départ du président Ianoukovitch, bien que cet oligarque « n’ait jamais été soutenu par la Russie ».

Jacques Myard à la gauche de Jacques Sapir © CRE

Une partie de l’Ukraine n’est-elle pas russe ? A l’époque de l’Union soviétique, un contrepoids à la Russie est trouvé, mais sans l’accord des populations. La partie orientale de l’Ukraine est majoritairement russophone et soutient une politique pro-russe.

Au lieu de négocier, les dirigeants de Kiev ont provoqué une guerre civile nécessitant l’intervention de la Russie au profit des régions soulevées. Bien que la Russie ait repris le contrôle de la Crimée qui était ukrainienne depuis soixante ans, elle ne semble pas chercher à scinder l’Ukraine. Elle refuse par exemple de reconnaitre l’indépendance des régions DNR et LNR (Républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk).

La situation militaire ukrainienne échappe à l’Union européenne, ce qui provoque des désordres économiques et engendre le risque que la Russie se détourne de l’Europe et se tourne vers l’Asie. « Il est urgent de trouver une formule qui serait peut-être une variante des accords de Minsk », lance l’économiste.

 

« En lisant le titre de la conférence, j’ai cru que c’était une provocation »

Jacques Myard affirme, en effet, l’existence d’une politique étrangère de l’UE puisqu’une multitude de textes sur la sécurité commune et la défense sont en vigueur. Seulement, l’article 47.2 du traité de l’union européenne met en contradiction le principe de l’union même. « Au cas où un État membre serait l’objet d’une agression armée sur son territoire, les autres États membres lui doivent aide et assistance par tous les moyens en leur pouvoir, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies. Cela n’affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres. Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les États qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. » C’est en réalité l’OTAN qui choisit les politiques étrangères.

L’amphi Erignac n’a pu accueillir que la moitié des candidats à la conférence © CRE

« Nous suivons le troupeau européen »

Jacques Myard prend l’exemple de la livraison des Mistrals à la Russie, annulée par solidarité européenne. Le refus de la vente étant contraire à ses intérêts, la France se retrouve dans une impasse.

A propos de la Syrie, il considère que François Hollande tient un discours n’offrant aucune perspective de repli et mettant la France hors-jeu.

L’Europe a été conçue comme un bloc qui écarte la Russie et les Etats-Unis. Or un bloc ne peut être hétéroclite. Jacques Delors lui-même disait que « L’Europe puissance est une utopie » et savait qu’une politique étrangère commune était impossible. Il est difficile de converger à quinze et encore plus dans une union élargie.

 

Jacques Sapir conclut en prônant (comme à son habitude) la solution de l’indépendance des Etats, l’éclatement de l’UE, et l’éventualité d’un rapprochement de la France avec un certain nombre de pays comme l’Espagne et l’Italie. Une grande alliance entre pays européens ne serait pas nécessaire sauf peut-être au sujet du climat. Et sur ses réjouissance, le spécialiste des questions européennes appelle aussi à un « Front de libération nationale » contre l’euro, faisant toute sa place au FN.

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