Coup de gueule syndical

Deuxième billet de la série consacrée aux polémiques sur l’attribution de primes aux membres du Comité Exécutif de Sciences Po. LaPéniche fait le point sur l’opacité de l’administration et a demandé aux présidents de l’UNEF et du Met leur opinion sur la question…

Pas Content
Sommes nous des « clients » d’une « école privée » qui vendrait une offre de formation et dont le fonctionnement financier ne regarderait personne d’autre que le conseil d’administration ? Ou bien alors, sommes nous des usagers d’un service public ? Qui serait soumis à une certaine transparence. Qui aurait à la fois, l’obligation de satisfaire ses usagers, et de répondre de son fonctionnement administratif.

Sciences Po est une entité juridique complexe et hybride : comme vous le savez, la dénomination « Sciences Po » désigne l’ensemble composé d’une fondation nationale et d’une école. La Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) est une fondation de droit privé reconnue d’utilité publique, à laquelle est confiée la gestion de l’Institut d’Etude Politique, considéré comme un « grand établissement » (Etablissement Public à caractère Scientifique, Culturel et Professionnel). Cet ensemble que l’on nomme Sciences Po est en soi un imbroglio juridique, qui lui a permis de toujours garder une grande indépendance dans son fonctionnement. En revanche, si la part du financement public de l’école a diminué ces dernières années, au profit de financements privés, celle-ci est toujours majoritaire (elle était de 57% en 2010).

Alors Sciences Po, est-elle une école publique ou privée ? Pour Paul Bernardet, président de l’UNEF Sciences Po, et Maxence Mély président du MET Sciences Po, notre établissement est avant tout une grande école, publique, qui doit faire preuve d’une certaine transparence à l’égard de ses usagers, nonobstant les frais d’inscription élevés et les financements privés. Les syndicats majoritaires ont exprimé leur désir de voir les étudiants s’intéresser au fonctionnement de leur école. D’un point de vue intellectuel il est vrai que l’exemple des statuts juridiques de Sciences Po, est tout à fait intéressant pour une école qui forme entre autres de futurs administrateurs et gestionnaires du domaine public. Alors nous avons joué le jeu. Que nous dit l’administration de Sciences Po sur son propre fonctionnement ? Nous nous sommes rendus sur le site internet présentant l’école, afin d’obtenir des réponses.

On constate que tout est très clairement présenté sur le site de Sciences Po: Les relevés de décision et procès verbaux des différents conseils d’administration, aussi bien de la FNSP que de l’IEP, sont disponibles en consultation ainsi qu’en téléchargement. Cependant vous noterez tout en bas de la page une dernière ligne : il s’agit du Comité exécutif, pour lequel aucun compte rendu n’est disponible. Le fameux « Comex » doit sa célébrité à Mediapart. Ce comité regroupe les douze directeurs de Sciences Po, qui vont, entre autres, se partager les primes. Ainsi en 2010, l’enveloppe de ces bonus s’élevait à 420.000 euros, à partager entre neuf personnes, à l’époque. Mais comment, ces primes sont-elles distribuées ? Il nous a été impossible d’en avoir l’information par le site internet de Sciences Po. Ainsi, même un étudiant curieux, et volontaire, ne peut avoir connaissance des critères de redistribution de ces primes, ni même de leur fonctionnement. Ni les syndicats nous représentant, par ailleurs. Quels sont donc les objectifs à remplir pour bénéficier de ces primes ? Qui décide du montant et de la redistribution ? Ce que le site internet de Sciences Po ne nous dit pas, c’est qu’il existe une commission chargée de fixer le montant et la redistribution de ces primes. Cette « commission des rémunérations » est censée être indépendante, mais les cinq personnes y siégeant, siègent déjà dans d’autres instances de Sciences Po (source : Mediapart). Ainsi, le système fonctionnerait en circuit fermé, et ferait la part belle à la suspicion de conflits d’intérêts.

Désireux de connaître le point de vue des étudiants sur ce sujet, nous avons donc interrogé les présidents de l’UNEF Sciences Po et du MET Sciences Po sur trois points : Que pensent-ils de ces rémunérations d’une part, de l’opacité du système d’autre part, et quel va en être l’impact sur leur campagne électorale ?

Que pensez vous de ces rémunérations et de ces primes ?

metMaxence Mély, président du MET nous donne son point de vue « C’est un manque de respect à l’égard des étudiants de Sciences Po. Il y a une coupure avec les étudiants que l’on regrette. On ne peut pas leur demander de payer toujours davantage de frais d’inscription avec des rémunérations aussi étonnantes. Je comprends la réputation des directeurs, je les respecte, mais est-ce qu’eux mêmes savent comment se passe cette redistribution ? Nous qui allons aux mêmes réunions ne savons pas comment ça se passe ! C’est inacceptable que les familles et les étudiants fassent des sacrifices dans ces conditions.» Et d’ajouter : « Est ce qu’en 2012 Sciences Po. fera faillite ? Qui va vouloir donner à une direction qui gagne tant ? Quand la direction de Sciences Po est abimée, l’argent vient moins facilement. »

Paul Bernardet, président de l’UNEF Sciences Po le rejoins et ajoute : « La question du montant est compliquée : on peut comparer son salaire à celui du président d’HEC qui est peut être plus élevé, ou d’un président d’une université française, moins élevé. Il y a une question de politique salariale et économique : est-ce que payer plus attire les meilleurs directeurs ? Avoir les meilleurs directeurs c’est positif pour les étudiants. Mais je ne pense pas que payer autant les directeurs soit nécessaire. On parle de plusieurs centaines de milliers d’euros par an. On pourrait garder les salaires fixes et supprimer les primes. On peut faire une meilleure utilisation de cet argent. Après il convient de relativiser par rapport au budget de Sciences Po qui est vraiment énorme. Par rapport aux frais d’inscription, dire qu’ils les ont augmentés pour augmenter leurs revenus, non. Mais quitte à augmenter les frais d’inscription, autant que cela serve aux étudiants. Soit pour geler les frais d’inscription, augmenter des bourses, créer des salles pour pouvoir travailler. Il ne faut pas tomber dans la paranoïa non plus, Richard Descoings ne s’engraisse pas sur notre dos.».

Et si ce qui les choquait, eux et les étudiants, n’était pas plus l’opacité du système que les montants des rémunérations ?

Pour le président du MET Sciences Po, la réponse est claire : « Je suis complétement d’accord avec ça. Personne ne sait qui paie quoi, et comment. C’est un décalage avec le discours de Descoings qui est un discours égalitariste. Sur quoi se fondent les primes ? Qu’est-ce que le directeur a pu réussir d’extraordinaire en 2011, pour mériter sa prime ? Quels sont les critères ? Si c’est supprimer la culture générale alors c’est triste ! Le bilan de Descoings on ne l’attaque pas en bloc. L’internationalisation est exceptionnelle. On n’attaque pas l’homme non plus. On ne le critique pas sur le même registre que ce qu’on a pu trouver dans la presse. Mais le décalage avec son discours et sa politique vis a vis des étudiants est inadmissible. ».

unefLe Président de l’UNEF Sciences Po assure avoir eu une discussion « calme et argumentée » avec le directeur de l’I.E.P de Paris : « On pense que c’est un problème car il y’a un manque de transparence. La commission des rémunérations a été cachée. Y siègent des personnalités extérieures, on ne sait sur quels critères ! Le montant de l’enveloppe est arbitrairement décidé ! Sciences Po a un statut juridique de grand établissement public, on n’est pas des clients mais des étudiants qui avons des droits, le droit d’être pris en compte et écoutés. On a le droit de savoir ce qui se passe dans notre école, de surcroit quand on paie des frais d’inscriptions. La question de la transparence et du droit des étudiants à avoir une vrai main sur ce qui les concerne est essentielle. Les usagers ont leur mot à dire sur le service public.» Mais il va également tempérer : « Je pense qu’il ne faut pas tomber dans la démagogie en disant que c’est un scandale que les étudiants n’aient pas été avertis, qu’il y avait une commission (la commission des rémunérations. ndlr) qui décide des bonus. Ceci dit, cette affaire soulève une inquiétude légitime sur la transparence. Quand il y a opacité, on se doit de réclamer des explications, sans tomber dans la démagogie : Richard Descoings est directeur, il a le droit de mener sa politique salariale, mais nous avons le droit d’en être informés. Ce qui pose problème, c’est que maintenant que l’on connait ces problèmes de transparence il est encore plus choquant que l’on n’ait toujours pas de réponse. On a l’impression que l’on cherche à nous cacher des choses. »

Alors cette question des montants des rémunérations et de l’opacité, sera-t-elle au centre du débat de la campagne électorale ?

Pour Maxence Mély, « Elle ne sera pas forcément au centre de la campagne, mais notre profession de foi contient quatre parties, et une grande partie s’intitule « Les étudiants et les institutions méritent d’avantage de respect ». Du coté de l’UNEF, « On ne compte pas en faire de manière démagogique un point de campagne central, parce que ce n’est pas intéressant, mais on pense que c’est un problème. » Cependant quand on insiste un peu, il semblerait que l’UNEF ait préparé un ensemble de propositions sur le thème de la transparence : « Tout d’abord on va faire un site internet pour demander aux étudiants, comment ils voudraient que l’argent des primes soit utilisé. Et on a entamé un travail avec les syndicalistes salariés de Sciences Po. pour avoir une discussion sur ce sujet. Le bureau du comité d’entreprise a démissionné il y a quelques semaines. L’ambiance est tendue. »

Alors vont-ils aller jusqu’à demander à participer aux commissions de rémunérations ?

« On ne demande pas a siéger dans ces fameuses commissions. On demande en revanche à avoir des comptes rendus précis. Connaître le fonctionnement. On a le droit de savoir ce qui se passe. Je pense que l’on pouvait faire le choix à l’UNEF de peser sur la polémique, en criant au scandale. Cela fait un moment que l’on parle des frais d’inscription. J’espère que cette polémique va susciter l’intérêt des étudiants afin qu’ils se mêlent d’avantage des affaires de l’école. Cela montre aussi la perversité des frais d’inscription : on paie des milliers d’euros par an. Est-ce nécessaire ? Il y a une indignation légitime. »

Il semblerait qu’à travers les polémiques successives de Mediapart, les syndicats étudiants de Sciences Po. aient choisi le dialogue plutôt que l’indignation systématique. Cependant leurs demandes auprès de l’administration sont restées jusqu’ici sans réponses. Ainsi pour l’UNEF ou le MET, faire campagne autour de ces thèmes n’est pas stratégiquement pertinent, car ils auraient les plus grandes difficultés à se démarquer. Ce qu’ils cherchent avant tout, c’est sensibiliser les étudiants à une plus grande conscience de l’importance de l’implication de chacun, du droit de regard, du droit à la critique, du droit à l’information, sur votre administration.

Merci aux présidents du MET et de l’UNEF, Maxence Mély et Paul Bernardet d’avoir répondu à nos questions.

4 Comments

  • Paul B

    Pierre Pierre Pierre… Tout d’abord sur les deux bouts de citation que tu relies (qui elles-mêmes sont issues de citations très courtes par rapport à la conversation d’une heure que j’ai eu avec Jérémy) : ce que je dis c’est que les bonus représentent un problème, aussi bien au niveau des montants que de celui de la transparence. Cependant, ce n’est pas LE problème majeur à Sciences Po : je pense que parler des frais d’inscription, de la démocratisation, des conditions d’études, de la transparence et de la démocratie d’une manière générale est plus pertinent que de s’attarder uniquement sur cette affaire. Mais cette affaire est révélatrice, significatrice de problématiques plus globales de l’utilisation des frais d’inscription et de la transparence et c’est en cela que je dis que j’espère qu’elle va « susciter l’intérêt des étudiants ». Donc ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit.
    Sur « on fait mal notre boulot »… Je rejoins maxence en partie sur sa citation et c’est aussi quelque chose que j’avais dit à Jeremy quand je dis qu’on ne va pas forcément réclamer de siéger dans toutes les commissions du monde : même en temps que syndicalistes, nous ne pouvons pas être omniscients sur tout ce qui se passe dans tous les domaines partout tout le temps à Sciences Po.
    Sur le carriérisme, je me contenterai d’un bon vieux « lol ». Sur notre représentativité : la participation s’établit autour de 20-25% tous les ans. Avec 40% d’étudiants étrangers donc beaucoup nouveaux à Sciences Po qui sont plus difficiles à toucher, ainsi qu’une promo entière à l’étranger, je pense que cette participation est plutôt acceptable même si bien sûr j’espère qu’elle augmentera encore à l’avenir.
    Enfin, sur le fait que nous soyons « mauvais »… Si tu veux je te donne le bilan 2011 de l’UNEF : le gel des frais d’inscription (donc grâce à l’UNEF, ils n’augmenteront pas l’année prochaine) ; le dixième mois de bourse (un mois de bourse dès septembre, et plus seulement en octobre comme auparavant) ; le refinancement des mutuelles étudiantes (sans lequel tu aurais payé beaucoup plus cher tes frais de santé et ta complémentaire l’année prochaine) ; la délocalisation en région du concours, le maintien d’une voie d’entrée type mention TB, la reforme des épreuves écrites pour que la reforme déplaçant le concours en mars ne rendent pas l’entrée à SP encore plus socialement discriminante) ; l’organisation de réunions de pré-rentrée, de la bourse aux livres ; le recul de la deadline pour les vœux de 3A, la gratuité du passage de l’IELTS pour les masters… J’en passe. 🙂

  • Hervé

    Je ne suis pas d’accord avec les commentaires précédents.
    Appelez à l’abstention ce n’est pas digne. Et puis l’abstention est déjà trop forte.
    Il s’agirait plutôt que les étudiants se déplacent et c’est cette forte participation qui pourrait faire infléchir la direction. Elle comprendrait peut-être que les étudiants en ont marre d’être pris pour des vaches à lait. La redistribution est un bon principe dans l’absolu, mais il y a tout de même des limites (jusqu’à 13 000 euros en master c’est normal ?). Ce système touche particulièrement les étudiants issus des classes moyennes et des familles nombreuses.

    A titre personnel je voterai pour le MET, car je trouve que la suppression de la culture générale et cette triste affaire des rémunérations ont porté un grave coup à la crédibilité de notre institution.

  • pierre plsr

    Il ressort de cet (intéressant) article que les syndicats étudiants, à Sciences Po, sont mauvais.
    Ils nous expliquent que « Nous qui allons aux mêmes réunions ne savons pas comment ça se passe ! » (M. Mely)… eh bien, c’est que vous n’avez pas rempli votre rôle, vous n’avez pas cherché à savoir, vous n’avez pas représenté les étudiants. Vous n’avez rien dit …et « qui ne dit mot, consent ».
    On note aussi l’aspect électoraliste de cette polémique qu’exploitent les syndicats: « On ne compte pas en faire de manière démagogique un point de campagne central, parce que ce n’est pas intéressant » (P. Bernardet), mais un peu plus loin: « J’espère que cette polémique va susciter l’intérêt des étudiants » (P. Bernardet)… il faudrait savoir si c’est intéressant ou non!
    En gros, c’est « On ne va pas trop en parler parce que ça reviendrait à nous mettre face à nos lâchetés, mais on va un peu en parler quand même, histoire de faire légèrement augmenter les taux de participation habituellement minables, qui nous délégitiment dès notre élection »
    Vous tergiversez en raison de vos rapports incestueux avec la direction. Finalement, vous ne faîtes rien, tout occupés, carriéristes incapables que vous êtes, à vous placer, qui à l’UMP, qui au PS ou autres.
    La seule réponse à apporter à vos manquements est l’abstention massive aux élections syndicales.